« Je vais avoir de la compagnie chez moi en permanence ! » m’annonce Luisa(1) au téléphone. « Une association va placer chez moi un jeune demandeur d’asile pakistanais. Il s’occupera de la maison, du jardin. » Je la sens tout émoustillée. La solitude lui pèse quelquefois. Et elle peine à entretenir sa grande demeure.
Son cas n’est pas unique. Les associations d’aide aux migrants cherchent désespérément à loger leurs protégés dans la population. Utopia56, originaire du Morbihan comme son nom l’indique, se targue de compter plus d’une centaine d’hébergeurs pour « 1 629 personnes dont 794 enfants » hébergées en octobre 2018, dans son réseau d’Ile-de-France, soit seize personnes par hébergeur ! C’est que les amateurs deviennent rares. L’association Welcome JRS, qui été la première sur le créneau, comptait 7.000 bénévoles en 2015-2016. Il ne lui en restait plus que 1.800 fin 2017. Il faut croire qu’il y a eu des expériences malheureuses.
Utopia56 parle d’« hébergement citoyen ». Pourquoi « citoyen », qui est formellement un substantif ? La dérive n’a pas échappé à l’Académie française, qui note : « Il est fait aujourd’hui un fréquent mais curieux usage du nom Citoyen, qui devient un adjectif bien-pensant associant, de manière assez vague, souci de la bonne marche de la société civile, respect de la loi et défense des idéaux démocratiques. » Luisa, elle, se fiche de la bien-pensance et des idéaux démocratiques. Ce qui l’intéresse, c’est d’avoir un homme de ménage pas cher chez elle. Encore mieux si c’est un beau jeune homme. Cela ne lui coûte que le prêt de l’une de ses quatre chambres inoccupées.
Même bien-pensantes, les motivations de certains hébergeurs sont manifestement ambiguës
Et même annoncées comme bien-pensantes, les motivations de certains hébergeurs sont manifestement ambiguës : la bonne conscience rend aveugle. Le quotidien nantais Presse Océan relatait le 20 novembre l’histoire d’une famille de Loire-Atlantique qui héberge un clandestin présenté par une association. Le jeune Africain a déposé une demande d’asile. Elle a été rejetée. Il n’a donc pas le droit de rester sur le territoire français. Il vit dans l’illégalité, tout le monde le sait – lui-même, l’association et la famille « citoyenne » !
Forte de son autosatisfaction, cette dernière évoque une « relation d’entraide ». « Il cuisine, il nous donne un sérieux coup de main pour le jardin », explique la mère de famille, qui conclut : « Il est loin d’être un poids. Ce serait presque à nous de lui dire « Merci », en fin de compte. » Tardive, cette prise de conscience ! Incomplète aussi : employer un travailleur non déclaré, pour qui tient au « respect de la loi », cela s’appelle travail au noir. De plus, l’aide aux migrants illégaux est légalement punissable (jusqu’à cinq ans de prison et 30.000 euros d’amende) quand elle a pour contrepartie un paiement ou un service. On a vu trop de cas de « jeunes filles au pair » réduites à un semi-esclavage pour ignorer les risques de dérive d’une telle situation. Dérive qui met les associations dans une situation impossible : si elles les dénoncent, elles sapent leur propre action. Mais si elles ne les dénoncent pas, elles sont complices.
(1) Le prénom a été changé.
E.F.
Crédit photo : migrants au square Daviais, Nantes, été 2018. DR.
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Une réponse à “Entre accueil des migrants illégaux et travail au noir, une limite incertaine”
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