Parti le 4 novembre dernier de Saint-Malo, Eric Bellion a vécu un début de Route du Rhum très particulier. Pour s’abriter de la tempête, il a fait escale durant cinq jours à l’Aber Wrac’h, dans le Finistère. Reparti en course le 10 novembre à bord de sa vénérable goélette, Eric a d’abord fait face à des conditions difficiles.
Mais depuis quelques jours, le skipper de CommeUnSeulHomme glisse vers la Guadeloupe et commence à trouver ce qu’il était venu chercher : l’harmonie par la décélération. Son sponsor a pu le joindre le 21 novembre au matin, alors qu’il évoluait à la latitude de Madère. Nous reproduisons l’interview qu’ils nous ont adressé ci-dessous :
Eric, comment as tu vécu cette escale à l’Aber Wrac’h ?
« Le départ de Saint-Malo a été absolument génial. J’avais envie de continuer ma course, prendre la décision de s’arrêter ou non a été un sacré dilemme. Mais il fallait rester raisonnable, le bateau et moi on se connaissait à peine. Etant donné ma démarche de décélération, il semblait logique de privilégier la raison. L’océan ne m’avait pas encore ouvert ses portes, il fallait patienter. Je me suis donc abrité pendant cinq jours. C’était un peu surnaturel de commencer ainsi la course. Je suis allé au cinéma, je suis resté cloîtré chez moi et j’ai beaucoup dormi pour récupérer de la fatigue accumulée avant le départ. »
As-tu ressenti de la frustration ?
« Oui, voir tous les autres bateaux partir et rester derrière, c’était très compliqué. Mais j’ai rapidement passé le cap de la frustration. J’ai réalisé que si tout le monde veut être premier, il y a un seul heureux et beaucoup de malheureux. Il est intéressant d’aller chercher autre chose dans cette compétition, je ne suis pas le seul à le faire. Nous sommes plein de rêveurs, malheureusement pas assez de rêveuses, à vouloir vivre une aventure hors norme, à notre rythme. L’idée étant in fine d’être fier de soi, d’avoir donné son maximum, d’avoir préservé son rêve. »
Tu es reparti il y a dix jours, le 10 novembre. Si le plus gros de la tempête était passé, la reprise de la course n’a pour autant pas été de tout repos…
« Effectivement les sept-huit premiers jours ont été « hard », avec des vents contraires et surtout une mer déchaînée en raison des dépressions successives. Il y a eu beaucoup de grains et un passage de front très costaud. Je savais que le bateau pouvait encaisser ces mers difficiles. De fait, je n’ai pas de casse particulière à déplorer. Mais ma goélette n’est pas conçue pour le près, dans la mer grosse elle se fait complètement stopper. Puis à partir de vendredi dernier, j’ai pu ouvrir les voiles et descendre pleine balle… »
Le plaisir est donc désormais au rendez-vous à bord de Comme Un Seul Homme ?
« Oui, nous faisons de belles glissades. Le bateau adore ça et se comporte bien. Actuellement il y a 16-17 nœuds de vent et nous avançons à 9 nœuds quasi en route directe vers la Guadeloupe. C’est vraiment très différent de l’IMOCA, bien sûr, j’entre dans une autre dimension. C’est justement ce que je souhaitais : sortir de ma zone de confort, découvrir d’autres choses en moi. J’apprends à connaître ma goélette. Je me régale à la faire avancer au mieux, à la manœuvrer, à trouver nos limites. »
Es-tu en train de trouver ce que tu étais venu chercher sur la Route du Rhum ?
« Je découvre qu’il n’y a pas besoin d’aller très vite pour prendre énormément de plaisir. Mon ancien IMOCA (désormais mené par Damien Seguin, NDR) est déjà arrivé en Guadeloupe et moi il me reste plus de vingt jours de mer. Vingt jours à profiter de la mer, à une allure où je peux observer, écrire, échanger. Tracer sa propre voie en dehors du peloton, choisir son rythme, c’est un vrai bonheur. Je pense arriver après la fermeture de la ligne, vers le 9 décembre. Je suis à 2300 milles de la Guadeloupe, en route directe. »
Regardes-tu les classements dans ta catégorie Rhum Mono ?
« Oui je prends les classements, je regarde comment se comportent les autres. Je suis avant tout curieux, pas avide de mesurer combien de milles je reprends sur les uns et les autres. Ce qui m’intéresse c’est de voir si je marche bien ou pas. J’ai une chance incroyable d’être en mer. Cette participation à la Route du Rhum en goélette est une parenthèse magnifique. Je navigue sur le bateau qui a bercé mon imaginaire d’enfant. J’ai le temps de réfléchir sur des sujets qui me tiennent à cœur. Je trouve l’harmonie avec le bateau et je réponds à mes questions d’homme. Tout ce que j’aime. »
Au-delà de l’aspect sportif, tu mènes en effet toute une réflexion autour de la décélération…
« Avec CommeUnSeulHomme, on explore, on communique, on échange pour savoir comment être heureux, performant et fier de soi en décélérant. C’est notre façon d’oser la différence. J’ai la chance de discuter avec des gens extraordinaires. Trois podcasts ont été enregistrés, d’autres sont à venir, nous les mettrons en ligne au fur et à mesure de la course. »
Eric Bellion a réalisé un documentaire intitulé « Comme Un Seul Homme » qui sortira au cinéma le 13 février prochain
Plus d’infos sur https://www.commeunseulhomme.com/ ou sur facebook
Crédit photo : DR
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