Dès la première phrase, deux grosses bêtises : quand le New York Times, quotidien emblématique du progressisme américain, se penche sur Nantes, il ne fait pas les choses à moitié. On peut voir à Nantes sur les rives de la Loire, y lit-on, « le seul mémorial de France aux esclaves emmenés par des navires français vers le Nouveau monde » (en VO, « France’s only memorial to slaves taken by French ships to the New World »).
La vocation du monument est pourtant explicitement inscrite sur sa façade depuis sa construction en 2012. Il suffit de lire : ce n’est pas un mémorial des esclaves mais un Mémorial de l’abolition de l’esclavage. La tonalité est bien différente : ce qui est commémoré est un fait positif. Par ailleurs, le Mémorial de Nantes n’est ni le seul en France, ni même le premier. Un monument a été érigé à Paris dès 1997, un autre à Saint-Nazaire en 1998, un à Brest plus récemment. La Martinique et la Guadeloupe en ont un aussi, ainsi que la Nouvelle-Calédonie, où pourtant l’esclavage n’a jamais été pratiqué. Le New York Times aurait pu s’en informer sans trop de fatigue : ces monuments sont répertoriés par un organisme officiel, le Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage.
La seconde phrase du New York Times ne rachète pas la première. Elle décrit « un espace clos aux murs faits de bois usé par les intempéries » (« an enclosed space made of weathered wood walls »). Tout visiteur du Mémorial voit pourtant que ses murs sont faits de béton et non de bois. Seul le sol est couvert d’un plancher – qui n’est évidemment pas usé par les intempéries puisqu’il est à l’abri dans un « enclosed space ». La signataire de l’article ne semble pas avoir remarqué la principale caractéristique du monument : d’immenses plaques de verre gravées de citations sélectionnées. C’est à se demander si elle l’a vraiment visité.
La thèse de l’amnésie reprise aveuglément
L’auteur de l’article, Alissa J. Rubin, n’est autre que la directrice du bureau parisien du New York Times (après avoir été la correspondante du journal en Irak et en Afghanistan, signe de l’avenir qu’il prédit à la France ?). Elle endosse la thèse de l’amnésie nantaise à propos de l’esclavage : « pendant des années, Nantes, comme la plupart des villes européennes, a refusé de reconnaître publiquement cette histoire » (« For years, Nantes, like most European cities, resisted public acknowledgment of this history »).
On ne peut pas vraiment lui en vouloir : voilà une trentaine d’années que la gauche nantaise et les associations d’originaires des Antilles martèlent cette thèse absurde, que la documentation officielle du Mémorial n’ose même plus soutenir(1). En effet, c’est facile à vérifier, tous les ouvrages sur l’histoire de Nantes ont fait état, au 19e comme au 20e siècle, du rôle des armateurs et marins nantais dans la Traite transatlantique. Le musée local des Salorges, municipalisé en 1934 et intégré depuis 2007 au musée du château des ducs de Bretagne, a toujours présenté sans la moindre ambiguïté plusieurs documents et objets relatifs au commerce des esclaves.
Il est juste regrettable qu’un journal considéré comme référence par les grandes consciences occidentales récite une thèse propagandiste sans la moindre tentative de fact-checking.
E.F.
(1) Alissa J. Rubin indique par ailleurs que les négriers nantais auraient déporté entre 450.000 et 550.000 esclaves. Cette imprécision a une raison : 550.000 est le nombre inscrit depuis 2012 à l’entrée du Mémorial. Mais au vu de travaux historiques récents, le dossier de presse actuel du Mémorial l’a ramené à 450.000.
Illustration : DR
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