Christophe Carichon : « Pour Arnaud Beltrame, sauver une personne valait l’humanité » [Interview]

Il y a un peu plus de 6 mois, le 23 mars 2018, était égorgé le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, par un islamiste, dans le Super U de Trèbes. Un attentat islamiste, un de plus sur le sol français, qui avait profondément ému la population.

Aujourd’hui, le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame fait l’objet d’un livre paru il y a quelques semaines aux éditions du Rocher. Un livre écrit par Christophe Carichon, professeur, historien et ancien auditeur de l’Institut des hautes études de la défense nationale, qui retrace le parcours professionnel et spirituel du gendarme, avant sa fin, tragique et héroïque, en ce 23 mars 2018.

Nous avons interrogé l’auteur d’un livre poignant, qui retrace le parcours d’un homme mort pour la France en faisant face à l’islamisme.

Arnaud Beltrame, gendarme de France – Christophe Carichon – Éditions du Rocher — 16,9 €

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Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, ainsi que vos travaux ?

Christophe Carichon : Je suis professeur dans l’Éducation nationale, au lycée Jean Bodin, des Ponts-de-Cé, dans le Maine-et-Loire. Je suis docteur en histoire contemporaine. Je suis également rattaché, comme chercheur associé, au centre de recherche bretonne et celtique de l’UBO. Je suis enfin officier de réserve dans l’armée de terre au 6e régiment du génie à Angers et ancien auditeur de l’Institut des hautes études de la Défense nationale.

Breizh-info.com : Pourquoi avez-vous décidé, vous l’historien, d’écrire sur la vie et le parcours d’Arnaud Beltrame ?

Christophe Carichon : Plusieurs choses. En tant qu’historien, mon domaine de recherche est l’histoire des mouvements de jeunes. J’avais pas mal travaillé sur la résistance et les jeunes dans la résistance. Au moment de l’attentat de Trèbes, ce qui m’a déterminé à écrire l’histoire du Lieutenant Colonel Beltrame c’est l’entretien que sa mère a donné à la radio. J’ai trouvé cette femme dynamique, volontaire, impressionnante par ce qu’elle disait de son fils.

Elle savait qu’il avait été blessé, mais célébrait déjà en lui le héros. Ensuite, j’ai écouté plusieurs de ses camarades, et ce qui m’a surpris, c’était qu’ils avaient tous la même vision du personnage. J’ai eu l’idée d’en faire une biographie, pensant que ça pouvait intéresser le lecteur, j’en ai parlé à mon éditeur, et de fil en aiguille, je suis rentré en contact avec ses camarades, sa famille (je n’aurai jamais écrit sans leur autorisation). J’ai donc commencé à écrire à partir du mois de mai, et de façon plus intensive après le bac, en juillet.

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Breizh-info.com : Comment a été accueilli votre choix d’écrire ce livre, par la famille du défunt ?

Christophe Carichon : Il fallait que je rencontre sa famille avant. Ils avaient besoin de savoir qui allait écrire sur leur frère, fils et mari. Pour moi c’était un challenge aussi, car je suis historien, spécialiste du 20e siècle, mais là on est plus dans l’histoire, ou plutôt dans l’histoire immédiate, dans l’actualité. Il fallait avoir suffisamment de recul par rapport à l’émotion notamment.

Breizh-info.com : Pouvez-vous revenir sur sa carrière militaire ?

Christophe Carichon : C’est une carrière classique. C’est un garçon qui a la vocation militaire depuis sa tendre enfance. Son grand-père et ses arrières grand-père sont officiers. Il va d’abord rentrer en prépa à Saint-Cyr l’École, puis il va louper par deux fois le concours de l’école spéciale militaire. Mais il va rebondir, il est adepte d’une forme de résilience. Il va partir dans les officiers de réserve, à Draguignan (artillerie) et il prépare le concours de l’école militaire interarmes.

C’est un excellent bosseur, un grand sportif, ce n’est pas un type qui écrase les autres. Il veut être le premier, mais encourager aussi les autres. Il va être major à l’EMIA. Puis étant dans les meilleurs, il choisit la gendarmerie, il sera aussi major à l’école des officiers de gendarmerie de Melun et ensuite il va connaitre tous les postes de la Gendarmerie. Chez les Gendarmes mobiles, en unité spéciale, à la garde républicaine, en gendarmerie départementale. C’est une carrière complète.

Il connait un autre échec, par trois fois, à l’École de guerre. Il réussit à chaque fois l’oral, mais se plante à l’écrit. Mais encore une fois, il rebondit, et poursuit sa carrière.

Breizh-info.com : En tant qu’historien, êtes-vous d’accord avec la qualification médiatique et politique de héros pour qualifier le lieutenant-colonel Beltrame ? Emmanuel Macron l’a comparé à un chevalier… Par provocation, je vous demanderai s’il est pour vous héroïque de sauver une seule vie en échange de la sienne. Cela ne relève-t-il pas plus d’une forme de martyr, aussi beau soit-il ?

Christophe Carichon : Je pense comme ce qu’ont déclaré le général Lizurey et le président de la République que c’est vraiment un héros. Nous n’en avons plus des masses aujourd’hui — à part les footballeurs, ce qui est très relatif. C’est un héros parce qu’on n’a pas beaucoup de gens comme ça. C’est un vrai patriote. Il n’a sauvé qu’une personne, mais pour lui, officier de gendarmerie, sauver une personne valait l’humanité.

En sauvant cette jeune fille, il fait son boulot, vraiment. Il ne respecte pas stricto sensu les procédures dans la lettre, mais il les respecte dans les faits. Oui, c’est un héros. Un modèle qui peut être présenté aux jeunes, aux élèves, à la population, qui s’y retrouve d’ailleurs. Il faut voir le nombre de plaques de rues, de squares, de casernes, baptisées du nom de Beltrame. On n’a pas eu un tel engouement depuis bien longtemps autour d’un officier français.

Breizh-info.com : Pouvez-vous nous parler du rapport à la religion catholique du lieutenant-colonel Beltrame ? Et la franc-maçonnerie ? Il semble y avoir une longue quête d’identité dans son parcours…

Christophe Carichon : Arnaud Beltrame est intéressé par le sacré. Son frère m’a dit que tout ce qui peut l’améliorer, il prend. Tout ce qui peut le faire monter. Aussi bien dans le domaine du corps que dans la recherche spirituelle.

Beltrame est un nom italien, il est né dans l’Essonne, mais sa mère est bretonne, et vous savez comme moi que la bretonnité se transmet par les femmes. Il est attaché à son golfe du Morbihan, a un appartement à Sarzeau. Il va grandir au milieu des menhirs et des dolmens. Il s’intéresse à l’ésotérisme, à la quête du Graal. Sa chapelle préférée est Tréhorenteuc. Il n’y a pas la figure du père dans sa famille (famille divorcée), et peut-être que sa quête spirituelle est aussi une manière de compenser ce que son père ne lui a pas apporté.

De l’ésotérisme, il passe à la franc-maçonnerie. En même temps qu’il se convertit au catholicisme, il rentre dans la franc-maçonnerie. Il n’y voit pas au début de contradiction. Il va chercher une famille et des réponses à des questions philosophiques.

Il fréquente aussi beaucoup les Augustines de Malestroit. Mais aussi les Cisterciens de Timadeuc.  La rencontre avec sa femme (il a été marié une première fois, a annulé son mariage), la femme de sa vie, Marielle, va accélérer sa conversion au catholicisme. Il va approfondir sa foi, et là c’est vraiment un tournant. Le premier donc, c’est Timadeuc, la découverte de la foi catholique, puis la rencontre avec son épouse.

Il n’a pas conscience de l’antagonisme, de l’opposition entre catholicisme et franc-maçonnerie. Il est pourtant les deux, mais il ne voit pas la difficulté. Il y voit des réponses possibles à ses questions. Mais à la fin de sa vie, il se pose tout de même la question de la compatibilité entre les deux. Comme c’est un homme entier, il n’aurait pas tourné le dos à ses amis du jour au lendemain.

Breizh-info.com : Vous concluez par un chapitre intitulé « postérité d’Arnaud Beltrame ». En qualifiant son assassinat de terroriste, en évitant soigneusement et fréquemment d’employer le mot islamiste pour qualifier son assassin, politiques et médias ne font-ils pas injure au lieutenant-colonel Beltrame, mort dans les mains, non pas d’un simple terroriste, mais bien d’un homme se revendiquant soldat de l’Islam ?

Christophe Carichon : Beaucoup de journalistes, mais aussi de politiques, n’osent pas utiliser certains mots, ils sont formatés. Ils n’appellent pas un chat un chat. C’est comme pour l’égorgement, on ne dit pas qu’il a été égorgé, mais poignardé au cou, c’est du délire complet.

Je cite Emmanuel Macron qui lui a été le premier à nommer l’ennemi. Si on ne nomme pas l’ennemi, on ne pourra pas le combattre. Après c’est sûr que le politiquement correct de certains journalistes ou de certains politiques qui ne veulent pas nommer l’ennemi est dommageable. Et beaucoup de musulmans n’hésitent pas eux aussi à nommer les djihadistes, les islamistes. Il faut nommer l’ennemi, comme le dit François Régis Legrier dans son livre sur la guerre juste. On ne fait pas la guerre à un concept ou à un mode d’action, mais à un groupe, à un État.

Propos recueillis par Yann Vallerie

Crédit photo : DR
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