Dictionnaire de Nantes, un monument de papier

13/11/2013 – 18H00 Nantes (Breizh-info.com) – Plus de 160 auteurs, plus de 4 kg, plus de 1.100 pages, encore plus d’illustrations, plus de 1.600 références bibliographiques… : le Dictionnaire de  Nantes est un ouvrage colossal. Ses auteurs ne prétendent pourtant pas avoir écrit une somme définitive sur Nantes. Ils avouent un « accent marqué sur le dernier siècle ». Les événements, monuments, personnages, etc. du 20ème siècle sont privilégiés.

Le Dictionnaire a fait le choix de globaliser certains sujets, ce qui lui permet de se limiter à 712 articles, dont certains très copieux. Par exemple, les maires de Nantes sont traités globalement à l’article Maires. Seuls quelques-uns ont droit à un article spécifique. Kervégan est là, comme Orrion ou Ayrault, pas Bertrand-Geslin ni Gaëtan Rondeau. Comme les Harouys, la famille Charette a droit à un article collectif, consacré moitié aux sept maires que la famille a donnés à la ville, moitié à leur lointain cousin, le héros des guerres de Vendée.

Le même choix a été fait pour les écrivains, les peintres, les sculpteurs. Jules Verne a bien sûr son article, comme Morvan Lebesque, René-Guy Cadou ou Marc Elder. L’anecdotique Elisa Mercœur aussi, ce qui pousse à s’interroger sur la totale absence d’Hugues Rebell. Chez les peintres, Camille Bryen a droit à un article, mais pas Maxime Maufra ou Edgar Maxence, simplement cités, ni Ferdinand du Puigaudeau, pas même nommé. Si l’affichiste de gauche Pierre Perron est cité une demi-douzaine de fois, son quasi-homonyme Pierre Péron est totalement ignoré. À l’instar de celui-ci, les Seiz Breur, nombreux à Nantes, sont systématiquement snobés. Aucun d’eux, pas même Jean Fréour ou René-Yves Creston, n’a son propre article. Youenn Drezen, Jean Merrien, Robert Micheau-Vernez, Jorj Robin, Raffig Tullou ne sont même pas mentionnés.

Des spécialistes parfois trop impliqués

La discipline la mieux servie est probablement l’architecture. La présence d’un copieux article ad hoc se double de notices détaillées consacrées à plusieurs architectes, en général très « institutionnels », comme Évano, Coutan, Crucy ou Roux-Spitz. La présence de Le Corbusier étonne davantage puisqu’elle se justifie par un seul immeuble, même pas situé à Nantes ; en revanche, les Ménard père et fils sont seulement cités. De nombreux articles traitent des quartiers, des églises ou des voies principales. Entreprises et métiers significatifs, y compris le plus vieux du monde, sont aussi couverts.

Les articles sont signés. Les auteurs sont souvent des spécialistes. Les responsables de l’ouvrage ont cependant pris des risques en attribuant certains sujets à des personnes trop directement impliquées. Anarcho-syndicalisme a été confié à un collaborateur du Centre d’histoire du travail, émanation des syndicats, Ouest-France à un salarié du journal (« le souci de la rigueur lui vaut le respect de ses interlocuteurs et lecteurs »), Recherche au président de L’UNAM, Centre d’histoire du travail au fondateur de celui-ci, Yannick Guin, adjoint au maire de Nantes, qui n’omet pas de rappeler son propre rôle. Lui aussi très engagé à gauche, l’ex-avocat Jean Danet a mieux évité l’écueil apologétique dans Justice, tandis que Marie-Hélène Jouzeau s’abstient (trop) modestement dans Château des ducs de rappeler qu’elle a piloté la rénovation du monument.

La réalisation matérielle de l’ouvrage est remarquable. Présenté sous coffret, il bénéficie d’une iconographie en quadrichromie de qualité, abondante et bien légendée. C’est d’ailleurs elle qui lui confère un caractère de référence pérenne car, privilégiant la période récente ou même l’actualité immédiate, bien des articles du Dictionnaire vieilliront vite. « Jean-Marc Ayrault revendique une continuité entre ses réalisations de maire de Nantes et son activité à la tête du gouvernement » conclut ainsi l’article Ayrault, qui vivra mal le prochain remaniement.

Un dinosaure de papier

Cela conduit à s’interroger sur le choix technique et commercial d’une édition papier. La plupart des éditeurs d’encyclopédies ont aujourd’hui migré vers le web, moins coûteux, plus largement accessible, extensible à l’infini et actualisable au fil des événements et de l’évolution des connaissances. Question de génération, sans doute puisque les quatre directeurs de l’ouvrage sont sexagénaires ou presque : Alain Croix est né en 1944, Dominique Amouroux et Didier Guyvarc’h en 1949, Thierry Guidet en 1954. Question de financement aussi : tous quatre ont l’expérience des ouvrages édités grâce à des fonds publics. Alain Croix et Didier Guyvarc’h avaient ainsi réalisé voici quelques années un Dictionnaire des lycées publics des Pays de la Loire de 652 pages, préfacé (et subventionné) par le président de région Jacques Auxiette, qu’on imagine difficilement vendable à un autre public que les lycées publics eux-mêmes.

Mais on peut se demander si le désir de conserver un contrôle idéologique n’a pas aussi joué un rôle, et l’énormité des subventions accordées au Dictionnaire par la ville de Nantes ne contribue pas à écarter les soupçons. Wikipedia a habitué les internautes à intervenir sur leurs sujets de prédilection. Malgré ses défauts, cette formule a du moins l’avantage d’ouvrir tous les sujets au débat. C’est la ruine de l’encyclopédie à la manière soviétique. Or ce monument de papier qu’est le Dictionnaire est comme beaucoup de bâtiments nantais : il penche. À gauche.

Le plus décevant dans cet ouvrage globalement remarquable est que le mauvais exemple vient d’en haut. Alain Croix, son coordinateur et principal collaborateur multiplie les allusions, sous-entendus et raccourcis abusifs. On en trouvera deux exemples dans l’encadré ci-dessous. On s’en tiendra à la lettre A pour ne pas alourdir cet article. Mais Breizh-info reviendra bientôt sur un autre exemple concernant également Jean IV.

Dinosaure de papier à l’heure du web, agaçant à cause de ses tics et biais idéologiques, ce Dictionnaire hors normes est néanmoins une mine d’informations qu’on pourra reprendre en main mille fois – à condition d’accueillir ses commentaires avec un grain de sel. Son prix, 45 euros grâce à son financement par des contribuables qui n’auront jamais l’occasion de le lire, en fait une bonne affaire, ne serait-ce que pour ses illustrations.

[box type= »shadow » ]À l’article Algériens, Alain Croix mentionne « la postière nantaise Anne-Claude Godeau, tuée par la police lors d’une manifestation parisienne contre l’OAS, au métro Charonne ». Anne-Claude Godeau est morte étouffée sous la pression de la foule. Même si le mouvement de foule a été provoqué par une charge de police, ce « tuée par la police » est clairement inadéquat. (Au passage, on note que le même article ne couvre que la période antérieure à 1975, or la présence des Algériens à Nantes n’a sans doute pas régressé depuis trente-huit ans.)

À l’article Anglais, Alain Croix évoque « la faible présence des Anglais à Nantes avant le 19e siècle » hormis celle de prisonniers de guerre, de mercenaires ou celle, « exceptionnelle » de spécialistes comme les « trois artistes qui réalisent en 1408 le tombeau du duc Jean IV dans la cathédrale ». Ces Anglais faiblement présents ont pourtant assiégé Nantes en 1343 et 1380-1381 ; ils ont même brièvement occupé son château en 1354. Jean IV, qui avait longtemps vécu en Angleterre et était marié à une princesse anglaise (il n’épousera Jeanne de Navarre qu’en 1386), a reçu à Nantes de nombreux dignitaires d’outre-Manche, comme le duc de Pembroke et le duc de Canterbury, et même, en 1396, le duc de Lancastre, futur Henry IV, qu’il aidera à monter sur le trône d’Angleterre – et qui épousera sa veuve ! Et ce n’est encore pas tout. Alain Croix allègue ensuite « la forte poussée anglophobe des années révolutionnaires ». Or, dans ses Annales nantaises (1795), Michel Guimar décrit une grande fête donnée à Nantes le 23 août 1790 en l’honneur des Anglais « demeurant à Nantes et dans les villes voisines ». L’historien qu’est Alain Croix ne l’ignore sûrement pas, mais son double raccourci sur les Anglais à Nantes est pour le moins maladroit. [/box]

Dictionnaire de Nantes,
sous la direction d’Alain Croix, Dominique Amouroux, Didier Guyvarc’h et Thierry Guidet,
1104 p. 22×28, Presse universitaires de Rennes, Rennes 2013. 45 €.

Illustration : domaine public via Wikimedia
[cc] Breizh-info.com, 2013, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

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Une réponse à “Dictionnaire de Nantes, un monument de papier”

  1. […] lui a permis de le déployer à son aise, puisque l’ouvrage a été rédigé sous sa direction. Comme promis, en voici un exemple curieux tiré de l’article […]

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