11/11/2013 – 08H00 Rennes (Breizh-info.com) – Longtemps terre de mission pour le FN, la Bretagne serait-elle en train de changer ? C’est en effet ce qui ressort d’un sondage Ifop publié cette semaine par l’hebdomadaire Valeurs actuelles°. Un changement qui trouve son explication dans les analyses opérées par le géographe Christophe Guilluy et la démographe Michèle Tribalat.
Dans « Fractures françaises », Christophe Guilluy a remarquablement décrit le mouvement de séparation des populations qui s’est opéré en France au cours des vingt dernières années. Ce géographe a démontré, preuves à l’appui, que les classes populaires non-immigrées qui habitaient les quartiers périphériques des grandes agglomérations se sont déplacées dans la périphérie lointaine de ces grandes cités pour échapper à la cohabitation avec les populations d’origine non-européenne et pour bénéficier d’une sociabilité plus proche de celle encore en usage dans un passé récent.
Guilluy explique aussi que la France périurbaine et rurale rassemble 60% de la population du pays mais ne produit que 20% des richesses parce que les activités à très haute valeur ajoutée sont concentrées dans les grandes agglomérations urbaines. Il précise que les banlieues des grandes villes, qui sont désormais peuplées principalement par des populations immigrées, sont intégrées dans la partie riche du pays et que leurs habitants bénéficient d’une partie des retombées économiques des activités florissantes, à la différence des périurbains et des ruraux. Contrairement à ce que disent les médias, les zones dans lesquelles la pauvreté est très fréquente ne se situent pas dans les quartiers intérieurs ou périphériques des grandes villes mais bien dans les lointaines cités périurbaines ou dans les départements ruraux. Aujourd’hui, les populations pauvres ne sont pas, pour l’essentiel, d’origine immigrée, mais bien d’origine autochtone.
La thèse de Christophe Guilluy trouve son prolongement dans les travaux de la démographe Michèle Tribalat. Dans son dernier ouvrage intitulé « Assimilation : la fin du modèle français », celle-ci montre que l’assimilation, qui reposait, dans le passé, sur le mélange des classes populaires et des populations immigrées, ne peut plus avoir lieu du fait de cette séparation que les élites n’avaient pas prévue. La communautarisation est en marche.
Interrogé par le JDD (26/10/13), Christophe Guilluy explique que la mutation en cours se traduit par une évolution en matière de géographie politique dans la mesure où la France périphérique constituée des zones péri-urbaines et rurales, qui est majoritaire, est désormais taraudée par le déclin économique et le désarroi identitaire. Il inclut dans cette France des périphéries l’ouest du pays qui, jusqu’en 2012, avait fait confiance aux élites locales et nationales. Cette période est, selon lui, révolue. C’est d’ailleurs en Bretagne – terre d’élection du PS – que s’est formé depuis quelques semaines un puissant mouvement de contestation soutenu par la grande majorité de la population.
Cette évolution est corroborée par le sondage publié cette semaine par le magazine Valeurs Actuelles sur la popularité des idées du Front National dans la région administrative Bretagne. Cette dernière, qui était restée jusque en 2012 extrêmement réservée à l’égard des idées de ce parti, leur est désormais légèrement plus favorable que ne l’est la France entière !
Lors de son passage à Fougères le 26 octobre dernier, Marine Le Pen n’a pas manqué d’évoquer cette évolution, suscitant le scepticisme des journalistes présents à sa conférence de presse. A tort, semble-t-il. Ce sondage permet de penser que, lors des prochaines élections de 2014 et 2015, les scores du parti de Marine Le Pen pourraient être, en Bretagne, pour la première fois au même niveau, voire plus élevés, que ceux du pays dans son ensemble.
Ce sondage confirme les propos tenus par Christophe Guilluy lors de son interview par le JDD, quand il affirmait que le FN a un potentiel électoral très important dans le grand ouest du pays et que les partis politiques dominants ne répondent plus aux aspirations économiques et culturelles des habitants des campagnes de Bretagne et des régions voisines. Ces derniers sont désormais hostiles, selon notre géographe, au libre-échange économique ce qui semble interdire une reconquête de l’ouest par l’UMP. Quant au Parti socialiste, qui a succédé à la démocratie chrétienne dans ces régions qui furent un bastion de la tradition catholique, son échec économique, son libre-échangisme et ses préférences en matière de valeurs sociétales contribuent à le déconsidérer. L’importance de la participation des Bretons et de leurs voisins au mouvement de La Manifestation Pour Tous au cours du printemps dernier est aussi une indication de la divergence en cours. L’histoire est décidément imprévisible.
Bruno Guillard
° Le sondage publié par Valeurs Actuelles (07/11/2013) indique que 35% des Bretons, hors Loire-Atlantique, se sentent « assez proches » ou « très proches » des idées du Front National ; ce total était de 34%, le 12 septembre dernier, pour la France entière. Le Morbihan et les Côtes d’Armor sont les deux départements les plus favorables au FN.
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