Le numéro 213 de la revue Éléments, actuellement en kiosques, consacre son dossier central au « coup d’État des juges », soit la progressive dépossession du pouvoir politique, fruit de la volonté populaire, par le droit et les diverses juridictions qui verrouillent désormais l’action des élus sous le couvert de prétendus « principes supérieurs » qui ne sont au final que des armes idéologiques au service de l’oligarchie libérale mondialiste. Ci-dessous, un extrait du dossier :
« Depuis quelque temps, une injonction s’impose comme la foudre dans le débat public : dès qu’un politique, porté par une ambition qui dépasse même timidement le cadre ordinaire, ose l’esquisse d’un projet audacieux, une accusation tombe : « Si vous faites cela, ce sera contraire à l’État de droit. » Cette sentence, brutale et sans appel, suffit à clore toute discussion. Le politique, comme frappé de stupeur, s’empresse alors maladroitement de battre en retraite : « Mais bien entendu, cela se fera dans le strict respect de l’État de droit. » Mais chacun sait, lui compris, qu’en vérité justement rien ne se fera.
Cette paralysie est la marque de notre époque : celle où le droit s’est détaché de la vie concrète et où les normes abstraites ont étouffé l’élan vital du politique. Les sujets frappés de ce veto moderne sont innombrables : abolition du droit du sol, suppression du regroupement familial, restauration d’une politique pénale, usage de l’article 111 pour refonder la Constitution, nationalisations stratégiques, etc. Autant de domaines où l’impuissance règne, consacrée par ce concept nébuleux qu’est l’État de droit, dont la maîtrise seule revient à une élite judiciaire, nécessairement sage et éclairée, nous dit-on.
L’État de droit, une chimère
Mais qu’est-ce donc que cet « État de droit » ? Derrière cette expression se cache une arme idéologique redoutable. Celle-ci n’a rien d’universel, rien d’intemporel : elle est le produit d’une histoire qui a peu à peu dévié de sa trajectoire. Au sens strict, l’État de droit se définit comme la limitation du pouvoir par le droit. Mais cette définition, simple en apparence, dissimule une réalité bien plus complexe : l’État de droit est une chimère, née du croisement de deux traditions historiques distinctes.
D’un côté, la « Rule of law » (« règne de la loi ») britannique, héritière de la Magna Carta (« Grande Charte ») de 1215, où le droit émerge pour limiter l’arbitraire royal et préserver des libertés individuelles. De l’autre, le « Rechtsstaat » (« État de droit ») allemand, une construction intellectualisée, fruit de la bureaucratisation et de la naissance tardive d’un État moderne allemand. Ces deux traditions, divergentes dans leur essence, furent amalgamées au XXe siècle dans une synthèse introuvable.
La tradition britannique plonge ses racines dans l’année 1215. À cette époque, les barons du royaume, rassemblés contre l’arbitraire obstiné du roi Jean sans Terre, arrachèrent la Magna Carta, établissant pour la première fois des limites à la volonté royale. Bien plus qu’une simple proclamation, cette charte marqua la naissance d’une règle de droit nouvelle et fondamentale : le pouvoir du roi est désormais limité par une assemblée de barons sans qu’il soit possible de porter atteinte à leurs droits individuels, lesquels sont sous la garantie attentive du juge.
Au fil du XVIIe siècle, cet équilibre se renforça : le Parlement, porte-voix des aspirations libérales, supposées comme telles, du peuple britannique, affirma la suprématie de la loi sur le pouvoir royal. Si le juge, dans ces luttes, fut d’abord relégué à un rôle subalterne, il regagna peu à peu en influence grâce à l’œuvre de doctrinaires tel le juriste anglais du XIXe siècle Albert Venn Dicey.
Cependant, il est crucial de comprendre l’harmonie si singulière de cette tradition : le juge et le Parlement constituent deux pouvoirs distincts mais interdépendants. Le pouvoir judiciaire n’est légitime que dans la mesure où il n’empiète pas sur celui, primordial, du législateur, expression de la volonté populaire. Ainsi, la Rule of law demeure avant tout une construction vivante, enracinée dans le sol britannique, et non une abstraction détachée des réalités concrètes du peuple.
La tradition allemande, en revanche, s’inscrit dans un tout autre registre. Le Rechtsstaat, théorisé au XIXe siècle, incarne une pensée formaliste, presque mécanique. Ici, l’État tire son autorité du droit, qu’il impose et applique grâce à son monopole de la coercition. Mais en même temps, l’État est captif du droit, limité par l’ordre juridique qu’il a lui-même institué. Le droit est donc à la fois le fondement, mais aussi la limite à la puissance de l’État. Cette vision est complétée au XXe siècle par le célèbre juriste autrichien Hans Kelsen : selon lui, l’État et le droit ne sont qu’un assemblage hiérarchisé de normes abstraites, chaque norme inférieure devant se conformer à la norme supérieure, l’inconformité étant sanctionnée directement par le juge.
Dans cette vision horlogère, le politique disparaît. Le droit devient un édifice fermé, hermétique à la volonté des peuples, réduit à un jeu de conformité où seuls les juges détiennent le dernier mot. » (…)
Pierre Gentillet (Pour lire la suite : en kiosques ou www.revue-elements.com)
Illustration : DR
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2 réponses à “Revue Éléments n°213 : Naissance de l’État de droit, fin du droit des peuples”
Depuis le décret de Valls en 2017, la Justice n’est plus indépendante, mais sous le contrôle de l’exécutif.
Pas besoin de chercher plus loin les raisons de jugements partisans.
De mon temps un jugement était rendu par un juge au nom du peuple. Qu’en est-il maintenant je ne sais pas.
Si c’est toujours le cas, consultons le peuple pour chaque jugement (par sondage).
On verra bien au bout d’un mois si le juge avait raison pour telle ou telle affaire…