Jeffrey Sachs, diplômé de Harvard et titulaire d’un doctorat, est un économiste américain dont les travaux et les publications font référence. Dans une vidéo récente, il commente le bouleversement actuel du monde et nous fait part de ses conclusions.
Le monde multipolaire va provoquer la fin du monopole du dollar
Alors même que la bataille pour le nouvel ordre mondial monte en intensité depuis l’arrivée de Donald Trump et de son équipe à la Maison Blanche, au grand dam de l’État profond américain, Jeffrey Sachs arrive à la conclusion que les « mondialistes », tenants du monde « monopolaire » ont d’ores et déjà perdu la partie car le « deep state » des États-Unis n’est plus en mesure de dominer le monde. Une des conséquences est dans le déclin du dollar car « une monnaie monopolaire ne peut se maintenir dans un monde multipolaire ».
Et il ne manque pas d’arguments pour le justifier :
Tout d’abord, on constate une réelle désaffection pour le dollar. Jusqu’à présent, dans les périodes d’incertitude politique et économique, le dollar servait de valeur refuge. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas en raison de la montée en puissance d’autres économies, notamment en Asie, qui entraîne la diminution relative de la part de l’économie américaine et l’affaiblissement du dollar sur les marchés internationaux.
Ensuite, il y a une raison technologique due au fait que le système du dollar américain est spécifiquement un système inter-bancaire et qu’il est devenu obsolète.
Enfin, la « militarisation » du dollar, qui a permis de saisir plusieurs réserves de change, et l’extra-territorialisation du Droit américain ont sapé la confiance envers cette monnaie de ceux qui l’utilisaient et qui s’en détournent aujourd’hui. C’est ce qui a poussé notamment les BRICS à recourir à d’autres monnaies pour leurs transactions internes.
Pour toutes ces raisons, le rôle du dollar va s’affaiblir dans les années à venir.
L’émergence de nouvelles puissances et de nouvelles monnaies
La Chine voulait, dans un premier temps, s’accommoder du système dollar. Elle a fini cependant par internationaliser sa monnaie, le Reminbi, et ouvrir le marché à des capitaux étranger. Pour tenter de l’en empêcher, la finance internationale a mis des « bâtons dans les roues » de la Chine mais rien n’a fonctionné. Consciente que le système dollar n’était pas neutre mais favorisait les États-Unis, la Chine a progressivement modifié la nature de ses réserves de change de façon à être de moins en moins dépendante du dollar.
Cependant, au-delà des propos de Jeffrey Sachs, une autre menace commence à peser sur le dollar :
celle d’un retour à l’étalon-or. L’un des arguments majeurs des banquiers mondialistes pour imposer le dollar était sa convertibilité en or. Si, au début du XXème siècle, la plupart des monnaies étaient convertibles en or, ce n’était plus le cas en 1944, année des « accords de Bretton-Woods » et seul le dollar avait maintenu cet étalon. Avec le recul, on peut dire que les banquiers ne l’avait conservé que pour pouvoir mieux imposer la monnaie américaine au reste du monde. Le 15 aout 1971, le président Nixon annonçait, laissant croire qu’il s’agissait d’une mesure temporaire, l’arrêt provisoire de cette parité. Voici ce qu’en dit la « Lettre de la banque » du 15 octobre 2021, 50 ans plus tard :
«Il s’agit d’un basculement fondamental car la monnaie avait toujours été reliée à l’or ou à l’argent, elle s’y identifiait même pendant des siècles à travers les pièces qui circulaient, ou des documents qui attestaient qu’ils représentaient tel poids en or, ce qui a permis le développement de la banque. Avec les accords de Bretton Woods signés en 1944, nous n’étions plus dans un étalon-or strict comme au XIXe siècle mais dans un système bancal où l’or et le dollar possédaient le même statut de monnaie de réserve, dans un rapport de 35 dollars l’once (31,1 grammes) les autres devises se trouvant au second plan. Le ver était dans le fruit et la tentation était grande pour les États-Unis de faire du dollar la seule monnaie de réserve dans le monde et de s’affranchir de la contrainte de l’or. Ce qui fut donc fait il y a un demi-siècle. »
Dans ce système sans référence, les différentes monnaies allaient s’apprécier uniquement les unes par rapport aux autres et la double nature de la monnaie américaine (domestique et internationale à la fois) lui permettait ainsi de devenir la monnaie de réserve internationale. Cela donnait à ceux qui l’émettait un avantage « exorbitant » qui n’avait pas échappé à de Gaulle. Dans sa conférence sur le dollar et l’étalon-or de février 1965, il parlait, au sujet des Américains, de « ce dollar qu’il ne tient qu’à eux d’émettre » Remarquons qu’en 1965, le dollar était, en apparence, toujours convertible en or, mais de Gaulle a osé dire ce que beaucoup de gens savaient déjà, à savoir que la couverture-or du dollar, fixée à 35 $ l’once, n’était plus garantie par le stock d’or de la Réserve fédérale.
Son abandon n’a été qu’une régularisation qui a permis d’émettre des dollars sans limite.
Normalement, cela aurait dû conduire à une dévaluation massive de cette monnaie, émise sans autre contrepartie que des bons du Trésor américain. Or, le statut de monnaie de réserve internationale faisait que tous les autres pays voulant faire du commerce international avaient besoin de se couvrir des risques de change dans un marché monétaire fluctuant. Ils étaient donc obligés de racheter la dette américaine émise sous forme de bons du Trésor. Dès lors, les Américains pouvaient accumuler une dette gigantesque sans encourir le moindre risque.
C’est cette situation idyllique qui est en train de prendre fin en raison de l’émergence de nouvelles monnaies utilisées dans certaines organisations comme les BRICS+ ou l’OCS. Les sanctions qui ont frappé la Russie depuis 2022 ont accéléré ce phénomène car la Russie ne pouvait plus vendre ses exportations dans le système interbancaire occidental.
Aujourd’hui, l’emploi du dollar dans les échanges commerciaux diminue fortement car le développement économique des organisations précitées fait que leur PIB global dépasse celui de tout le reste du monde. Si le dollar est moins demandé, le risque de change lié à cette monnaie diminue et les bons du Trésor américain vont devenir difficile à vendre. Aujourd’hui, la FED les rend encore attractifs en augmentant leur taux d’intérêt, mais c’est une sorte de soin palliatif.
Demain, c’est le mur de la dette américaine qui risque de bouleverser tout le système monétaire lié au dollar.
Le retour à l’étalon-or
Cela apparaît de plus en plus probable et il y a un indicateur qui ne trompe pas : celui du cours de l’or. Il y a quelques jours, l’once d’or, dont le cours avait été fixé en 1934 à 35$, vient de dépasser les 3000$, (et même 3300$ le 16 avril 2025, d’après le site l’or et l’argent).
Ceci ne peut s’expliquer que par des achats d’or énormes fait par les banques et les banques centrales qui n’ont plus confiance dans les bons du Trésor US et qui veulent se couvrir des risques au moyen de ce qui redevient une valeur universelle : l’or.
Dans ces conditions, le retour à l’étalon-or souhaité par de Gaulle n’est peut-être qu’une question de temps.
Jean Goychman
Membre du Cercle National des Economistes
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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