Il est de ces temps où la concordance des esprits entre deux sphères pourtant disjointes — la politique nationale d’un pays en convalescence économique et le jugement distant, feutré, d’une institution internationale — semble dépasser la simple coïncidence pour revêtir les habits d’une alliance doctrinale. Le rapport récemment rendu public par le Fonds monétaire international sur la situation économique de l’Argentine, pays chancelant mais toujours indocile, en est la plus récente et peut-être la plus éloquente illustration.
Il faut ici lire non un audit sec, à la froideur comptable, mais presque un hommage en creux à une certaine vision du monde que le président Javier Milei défend avec ferveur. Rarement le FMI s’est-il montré aussi conciliant, voire enthousiaste, devant une entreprise de réformes aussi radicale. Réduction des dépenses publiques, arrêt des émissions monétaires, libéralisation des changes, retour aux vertus cardinales du marché : tout y est, comme tiré d’un catéchisme libéral que n’aurait pas désavoué Jean-Baptiste Say.
Ce qui frappe n’est pas tant le contenu des observations du Fonds — lesquelles s’inscrivent dans sa tradition depuis l’ère Camdessus — que leur étonnante similitude avec les discours prononcés, jour après jour, depuis la Casa Rosada. Lorsque l’institution de Washington loue la discipline budgétaire, la solidité retrouvée de la monnaie ou la restauration progressive de la crédibilité extérieure, elle semble paraphraser, presque mot à mot, les communiqués présidentiels. On en viendrait à se demander si les fonctionnaires du FMI ne rédigent pas, en marge de leurs consultations techniques, les bulletins de triomphe du gouvernement argentin.
Bien entendu, certains esprits chagrins y verront un péril pour la souveraineté : la dépossession du récit national par une instance étrangère, aussi bienveillante soit-elle. D’autres s’étonneront que la même institution, qui naguère condamnait sans ambages les politiques de subventions massives et les déficits abyssaux des gouvernements péronistes, en vienne désormais à tresser des lauriers à une administration qui, sous couvert d’orthodoxie, s’est mise en tête de démanteler jusqu’aux dernières oripeaux de l’État-providence. Ce n’est pas là une inflexion mineure, mais un changement de paradigme, entériné par une communauté d’intérêts entre créancier et débiteur.
Mais les Argentins, gens lucides et rompus aux volte-face des puissants, ne s’y trompent guère. Ils savent que l’assentiment du FMI n’est pas un gage de prospérité immédiate, mais la promesse, en sourdine, de la poursuite de la rigueur. À Buenos Aires, nul ne danse encore dans les rues à l’annonce de la levée du « cepo », ce carcan monétaire imposé depuis le président libéral Macri. Car si l’horizon économique paraît soudain plus dégagé, les vents de l’inflation soufflent toujours, et les pensions des anciens, elles, restent aussi maigres qu’un jour de carême.
Reste que cette entente presque fusionnelle entre les technocrates du Nord et les ultralibéraux du Sud offre une matière riche à la réflexion. Elle interroge sur la nature du pouvoir économique contemporain : celui qui ne s’exerce plus par la force, mais par la norme, l’expertise et l’aval. Elle révèle aussi, en filigrane, le désir d’un gouvernement atypique d’être enfin adoubé par les cénacles qui jadis l’ignoraient ou le moquaient. Et elle démontre,in fine, que le libéralisme, lorsqu’il cesse d’être un simple instrument de politique pour devenir une foi, peut abolir les distances et unir les continents autour d’une même idée de la vertu : celle de l’équilibre, de la discipline et du marché comme oracle.
Mais que restera-t-il de cette idylle lorsque la réalité argentine — sociale, politique, humaine — reprendra ses droits ? L’avenir le dira. Pour l’heure, la prose du FMI et les harangues de Javier Milei chantent à l’unisson, dans une polyphonie idéologique qui n’a rien de dissonant. Le même texte, sous deux en-têtes différents.
Balbino Katz
Une réponse à “« D’une plume à l’autre : entre Washington et Buenos Aires, une étrange harmonie doctrinale »”
Il est normal que vous retrouviez le même discours chez Milei et au FMI puisque le rapport du FMI fait le point sur la politique du gouvernement argentin : le premier dit ce qu’il fait, le second dit ce que le premier fait. Ils voient la même chose, ce n’est déjà pas si mal. Il est normal aussi que le FMI se montre satisfait puisque le gouvernement actuel cherche à tenir des engagements pris par ses prédécesseurs envers le FMI et pas respectés. Notez d’ailleurs que la politique des prédécesseurs de Milei s’est avérée catastrophique. Faire l’inverse n’est sûrement pas une garantie de succès. Si la « réalité argentine — sociale, politique, humaine — », comme vous l’écrivez, consiste à tenter de dépenser des richesses qu’on n’a pas créées, ça se passera mal, c’est évident, et vous verrez que le FMI ne sera pas satisfait. Ca alors, quelle polyphonie idéologique !!!