Je ne m’y attendais pas. Pas si tôt, pas si abruptement. Et pourtant, le président Javier Milei, ce pourfendeur de la caste, ce contempteur des demi-mesures, a encore surpris son monde. Il a attendu mon départ d’Argentine pour mettre un terme partiel au contrôle des changes — cette camisole réglementaire qu’on appelle en Argentine lecepo cambiario— le gouvernement libertarien engage une réforme audacieuse. Un acte de foi, diront les uns, un saut dans l’inconnu, répliqueront les autres. Mais nul ne pourra nier qu’il s’agit là d’un tournant capital dans l’histoire économique contemporaine du pays.
Lecepo, instauré à l’époque de Mauricio Macri et renforcé par les gouvernements péronistes de Fernández et Kirchner, avait pour but de limiter la fuite des capitaux et de contenir la demande de devises. En pratique, il avait créé un marché noir florissant dont j’ai largement profité lors de mes précédents voyages, découragé l’investissement étranger et contribué à une paralysie économique rampante. La levée, même partielle, de ce verrou monétaire vient redonner de l’air à une économie longtemps soumise à une forme de respiration artificielle.
Désormais, le peso pourra fluctuer librement au sein d’une bande de cotation oscillant entre 1 000 et 1 400 pesos pour un dollar. Le taux de change n’est plus fixé mécaniquement mais autorisé à respirer, dans les limites étroites d’un couloir contrôlé. Le gouvernement y voit un moyen de restaurer la confiance dans la monnaie nationale, sans basculer pour autant dans les affres d’une libéralisation brutale. Les marges de manœuvre sont circonscrites, mais réelles. Il s’agit là d’un régime de change hybride, destiné à apprivoiser les marchés tout en gardant un levier d’intervention en cas de turbulences.
Parallèlement, les restrictions qui frappaient les particuliers sont levées. Les citoyens peuvent à nouveau acquérir des devises sans plafond, sans autorisation préalable, sans suspicion de délit financier. Le fameux quota de 200 dollars mensuels, vestige d’une époque marquée par la méfiance, tombe aux oubliettes. C’est un signal symbolique, presque moral : l’État n’a plus à surveiller les porte-monnaie, ni à infantiliser les épargnants.
Pour les entreprises, les mesures sont tout aussi significatives. Les délais de paiement pour les importations sont réduits, les opérations entre filiales ou sociétés liées sont assouplies, les freins administratifs à la circulation des capitaux sont peu à peu levés. L’Argentine veut redevenir fréquentable, aimable pour l’investisseur étranger, praticable pour l’industriel local. En somme, elle se rêve normale.
Ce geste audacieux s’inscrit dans une stratégie plus vaste de stabilisation économique. Il ne s’agit pas seulement de relâcher les contraintes de change, mais de réorganiser l’ensemble de l’architecture financière. La politique monétaire se veut désormais rigoureuse : plus de financement du déficit public par la planche à billets, plus d’émission pour payer les intérêts de la dette interne. Le gouvernement entend faire du respect budgétaire et de la discipline monétaire les piliers d’un nouvel ordre économique. Une ambition noble, mais semée d’embûches.
Car l’Argentine reste convalescente. L’inflation, bien que ralentie, demeure redoutable. La pauvreté endémique ronge les marges de réforme. Et les réticences sociales ne sont pas moindres. Mais Milei, en forçant l’agenda, cherche à provoquer une rupture de perception : il ne gouverne pas pour gérer la crise, mais pour dissiper les causes de la crise.
Le retour de la convertibilité, même relative, a aussi une portée psychologique. En autorisant les Argentins à acheter des dollars sans limite, l’État envoie un message : la monnaie nationale n’est plus condamnée à fondre comme neige au soleil. La confiance, cet animal capricieux, revient quand elle est traitée avec respect.
Il y a, dans ce coup de théâtre économique, quelque chose de gaullien. Le refus du déclin, l’affirmation d’une souveraineté retrouvée, le pari sur une nation capable de se redresser par sa seule volonté. Javier Milei, en brisant lecepo, ne fait pas seulement tomber un dispositif technique. Il renverse un paradigme de méfiance. Il dit à son peuple : vous êtes majeurs. Libre à vous de réussir.
Reste à voir si les Argentins croiront en eux autant que leur président croit en eux. Mais, à tout prendre, mieux vaut un excès de confiance qu’un éternel repli. Et dans cette geste iconoclaste, on retrouve un soupçon de cette témérité sud-américaine qui, parfois, écrit les plus belles pages de l’histoire économique.
Balbino Katz