Javier Borrego, un juge espagnol au parcours judiciaire imposant, s’est entretenu avec europeanconservative.com pour discuter de l’état de la primauté du droit en Europe. Ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, ancien procureur et ancien membre de la Cour suprême espagnole, il fait autorité dans l’évaluation des menaces qui pèsent sur l’indépendance de la justice en Europe.
Dans cet entretien, Borrego met en garde contre la dérive dangereuse de la justice européenne vers la politisation. Il critique également la proposition espagnole d’une loi d’amnistie, la qualifiant d’attaque directe contre les principes fondamentaux de l’Union européenne.
Traduction breizh-info.com
Avec votre expérience à la Cour suprême espagnole et à la Cour européenne des droits de l’homme, comment évaluez-vous la santé de l’État de droit en Europe ?
Javier Borrego : De manière générale, la justice européenne fonctionne bien au sein de ses différents systèmes judiciaires, tant continentaux que britanniques. L’existence de la Cour de justice de l’Union européenne pour assurer la primauté du droit de l’UE et de la Cour de Strasbourg pour protéger les droits de l’homme en est la preuve. Cependant, les pressions politiques et médiatiques affectent l’indépendance judiciaire.
Les tribunaux européens se politisent-ils ?
Javier Borrego : Le système judiciaire européen n’est pas isolé du contexte politique mondial. Un problème inquiétant est la « spirale du silence » décrite par Elisabeth Noelle-Neumann : certains groupes parviennent à imposer leurs opinions par la pression des médias, ce qui conduit à ce que des questions sensibles telles que la maternité de substitution ou l’adoption par des couples de même sexe soient tranchées en fonction de la visibilité médiatique et non pas nécessairement sur la base de critères strictement juridiques.
Un cas allemand illustre ce phénomène : un homme marié qui a légalement changé de sexe a voulu être enregistré comme mère après la naissance de son enfant. Après avoir fait l’objet de plusieurs procédures judiciaires et avoir été porté devant la Cour européenne des droits de l’homme, un jugement complexe a été rendu qui n’a pas résolu le problème sous-jacent, laissant la porte ouverte à de futures controverses.
Un autre exemple inquiétant est le récent jugement rendu contre Marine Le Pen en France, où une réforme législative a permis une disqualification politique immédiate malgré la suspension d’autres sanctions. Ces exemples illustrent bien comment la pression médiatique et politique peut influencer des décisions judiciaires critiques.
En parlant de la condamnation de Marine Le Pen et de la pression médiatique : est-ce que la même chose se produit également en Espagne avec des cas comme les lois radicales sur la violence sexiste ?
Javier Borrego : Oui, en effet. La loi espagnole du « oui seulement oui » a généré des situations dans lesquelles la pression médiatique et politique a considérablement entravé l’indépendance de la justice. Par exemple, dans l’affaire du footballeur Dani Alves, la Haute Cour de justice de Catalogne a récemment corrigé une condamnation initiale, influencée par la pression publique et médiatique, pour manque de preuves. Les juges de la Haute Cour ont résisté à la pression médiatique, mais l’affaire reflète la tendance dangereuse de l’idéologisation de la justice.
Des législations similaires aux lois espagnoles sur la violence de genre ont récemment été promues au niveau européen. Quelles conséquences cela pourrait-il avoir pour la justice en Europe ?
Javier Borrego : Cette mesure pourrait sérieusement éroder des principes fondamentaux tels que la présomption d’innocence, en transférant les erreurs commises en Espagne au niveau européen. La proposition promue par certains groupes politiques au Parlement européen met sur le même plan des situations très différentes, ce qui génère une insécurité juridique et réduit la qualité de l’État de droit.
Une autre question clé est la conduite de la Cour constitutionnelle espagnole dans l’affaire des ERE [un scandale de corruption impliquant l’utilisation abusive de fonds publics destinés à des plans de retraite anticipée par des fonctionnaires régionaux socialistes à des fins d’enrichissement personnel]. Comment évaluez-vous cette affaire et quelles en sont les implications ?
Javier Borrego : L’affaire des ERE est l’un des plus grands scandales de corruption en Europe, et les actions de la Cour constitutionnelle espagnole qui font le jeu des socialistes ont érodé la confiance dans le système judiciaire espagnol. Certains secteurs judiciaires en Europe s’inquiètent de l’indépendance de la Cour constitutionnelle espagnole, en particulier après des décisions très discutables d’un point de vue juridique, telles que celles promues par le président de la Cour, Cándido Conde-Pumpido [en faveur de politiciens socialistes corrompus]. Cela reflète une politisation inquiétante de la justice en Espagne, avec des implications encore plus graves que celles observées dans les cas de la Hongrie ou de la Pologne, des pays que Bruxelles a implacablement poursuivis en invoquant des questions d’indépendance judiciaire.
Et comment la Cour européenne des droits de l’homme pourrait-elle réagir à la loi d’amnistie, visant à retirer les poursuites judiciaires contre les séparatistes catalans, proposée en Espagne ?
Javier Borrego : La loi d’amnistie proposée pour des raisons purement politiques constitue une violation manifeste des principes fondamentaux de l’État de droit européen. Il est possible que la Cour européenne des droits de l’homme condamne l’Espagne pour violation des droits fondamentaux, d’autant plus que l’amnistie est utilisée [par le gouvernement socialiste espagnol] pour obtenir un soutien politique spécifique, ce qui est inacceptable en termes juridiques européens.
Comment voyez-vous l’équilibre entre la souveraineté nationale et les compétences européennes en matière judiciaire ?
Javier Borrego : L’Europe ne peut et ne doit pas se substituer à la justice nationale, mais elle peut agir en tant que garante ultime lorsque la justice nationale échoue. Cependant, la tendance à un super-État européen qui érode la souveraineté juridique nationale est inquiétante. Le cas du leader séparatiste catalan Carles Puigdemont [qui vit à Bruxelles en homme libre depuis qu’il a fui l’Espagne en 2017 lorsqu’un mandat d’arrêt a été émis contre lui] montre clairement comment les institutions européennes peuvent être politiquement instrumentalisées. Nous devons renforcer nos institutions nationales et utiliser l’Europe comme une ressource, mais nous devons toujours défendre notre souveraineté et notre indépendance. Il est essentiel d’éviter des situations comme celles que l’Espagne a connues, où les institutions judiciaires sont manipulées politiquement.
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