La Bretagne serait-elle en train de devenir un laboratoire de l’abandon organisé du service public ? Alors que les Français sont toujours plus taxés, toujours plus surveillés, et que l’État n’a jamais été aussi intrusif dans leur quotidien, voilà que l’accès aux soins — pourtant élémentaire — devient un luxe soumis à conditions. Dernier exemple en date : à Saint-Malo et Dinan, il faudra désormais composer le 15 pour espérer entrer aux urgences entre 18 h et 8 h du matin.
Une mesure temporaire… qui devient la norme
À compter du 4 avril 2025, et pour une durée annoncée de trois mois, les urgences des hôpitaux de Saint-Malo et Dinan seront filtrées la nuit. Pas de blessure grave ? Pas d’accord préalable du SAMU ? Circulez, ou plutôt, attendez. Officiellement, cette régulation vise à « améliorer la qualité des soins » et à « réduire les délais d’attente » en période de tension sur les effectifs médicaux. En clair, on manque de médecins et d’infirmiers, donc on trie. Voilà à quoi ressemble la médecine publique aujourd’hui.
Mais ce qui était censé être une exception devient la règle. Vannes et Ploërmel appliquent la même mesure depuis février, reconduite jusqu’au 30 juin. A Carhaix, c’est quotidien. A Guingamp, c’est fréquent, comme à Pontivy, comme à Fougères, Landerneau, Morlaix…Et qui peut croire que la situation reviendra à la normale en été, alors même que la pénurie de soignants ne cesse de s’aggraver ?
Un État tentaculaire, mais incapable d’assurer l’essentiel
Cet accès régulé aux urgences pose une question simple : à quoi sert encore l’État ? Car si le citoyen lambda, écrasé d’impôts, ne peut plus accéder librement à un service d’urgence, que reste-t-il du contrat social « républicain » ? L’État vous suit à la trace, impose des normes jusque dans vos cuisines ou dans votre poulailler, fiscalise le moindre kilomètre, mais n’est plus capable de garantir un médecin à l’hôpital le soir venu. Pire : il délègue désormais à une plateforme téléphonique (le 15) la responsabilité de décider si votre douleur mérite ou non d’être soignée immédiatement.
Ce même État, si prompt à réprimer le moindre manquement administratif ou fiscal, laisse à l’abandon les territoires, surtout hors des métropoles. Ce sont toujours les mêmes — familles, personnes âgées, habitants des zones rurales ou semi-urbaines — qui payent les pots cassés.
Une société de tri généralisé
Officiellement, les urgences ne sont pas fermées. Il reste du personnel pour les « urgences vitales » et les patients orientés par des professionnels. Mais à partir de quand une douleur devient-elle “vraiment urgente” ? Qui décidera si votre enfant qui tousse ou votre mère qui chute mérite d’être vue à l’hôpital ? L’État ? Un régulateur débordé au téléphone avec les erreurs qui peuvent en découler ? Nous glissons vers une société où l’on trie les citoyens, en fonction de leur état de santé, de leur éloignement géographique, voire de leur docilité.
Il y a là un abandon méthodique, un pas de plus dans la déstructuration du service public hospitalier. Et pourtant, aucun plan sérieux de reconstruction ne semble émerger : ni recrutement massif, ni formation accélérée, ni réorganisation, ni écoute des soignants sur le terrain. Juste des rustines. Des rustines bureaucratiques, enveloppées de novlangue technocratique : « fluidifier », « optimiser », « prioriser », ou des décisions soviétiques, façon LFI, voulant fonctionnariser les médecins et leur imposer leur lieu d’établissement.
La régulation nocturne des urgences, c’est le début de la fin de l’universalité des soins. Une fois acceptée cette nouvelle normalité, les prochaines étapes s’imposeront d’elles-mêmes : délocalisation des soins, forfaitisation de la médecine, mutualisation inter-hôpitaux, fermeture des petits établissements jugés “non rentables”. Il n’est de secret pour aucun médecin urgentiste, aucun service de secours que déjà, passé un certain âge, ou possédant certaines co-morbidités, vous n’êtes plus prioritaire y compris en cas d’urgence. Le tout accompagné d’un discours sécuritaire et paternaliste qui vous expliquera que c’est pour votre bien, que vous êtes trop nombreux à aller aux urgences, que c’est votre faute.
Ceux qui dénoncent encore ce recul du service public sont désormais bien seuls. Car dans la France de 2025, l’État se prend pour une nounou autoritaire, mais abandonne ses enfants malades à la porte de l’hôpital.
YV
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