Je me trouvais dans l’avion de retour en Bretagne quand le sénat argentin a asséné un coup de semonce à Javier Milei, président libertaire en exercice depuis seize mois, en refusant sèchement deux nominations controversées à la Cour suprême. Ariel Lijo, magistrat fédéral, et Manuel García-Mansilla, universitaire distingué, furent désignés par décret présidentiel, méthode exceptionnelle contournant délibérément l’approbation du Sénat. Le résultat fut sans appel : une défaite parlementaire cuisante pour Milei et son conseiller politique, Santiago Caputo.
Au-delà d’une simple péripétie politique, ce rejet constitue un événement historique inédit depuis la restauration démocratique de 1983. Habituellement, lorsque l’exécutif pressentait le manque de consensus, il retirait discrètement ses propositions. Cette fois, Milei choisit d’affronter frontalement les sénateurs, espérant sans doute leur forcer la main. La stratégie se révéla désastreuse.
C’est à Nantes dans ma chambre d’hôtel, car l’avion arrivait dans la capitale bretonne après le départ des derniers trains, que j’ai découvert l’ampleur de l’opposition : kirchnéristes, radicaux, libéraux macristes, ainsi que certains alliés traditionnels du président libertaire, tous firent bloc contre ce qu’ils qualifièrent unanimement d’atteinte à la lettre et à l’esprit de la Constitution. Javier Milei, habitué à bousculer les conventions, s’est ici aventuré trop loin, provoquant l’ire jusque dans son propre camp.
Les sénateurs n’eurent guère de mots tendres pour Milei et ses protégés. Guadalupe Tagliaferri, présidente de la commission des Accords, dénonça une manœuvre sournoise, reprochant au président d’avoir exploité un court répit parlementaire pour imposer ses choix. « Le président a pris la tangente », lança-t-elle avec agacement. Martín Lousteau, radical porteño toujours prompt à manier l’ironie biblique, compara García-Mansilla à l’apôtre Pierre reniant son serment : « Trois fois il nous jura qu’il n’accepterait pas une nomination par décret, avant de céder à la tentation présidentielle. »
Mais le coup le plus rude vint sans doute d’Alfredo De Angeli, pilier traditionnel de la droite provinciale, d’ordinaire fidèle soutien de Milei. Avec une sincérité rurale dont il a le secret, le sénateur déclara : « J’aurais volontiers voté pour García-Mansilla avec enthousiasme si le président n’avait piétiné la Constitution. Mais aujourd’hui, c’est impossible. »
Derrière cette déroute sénatoriale se cache une crise plus profonde au sein du camp présidentiel. Javier Milei paye ici les fruits de son autoritarisme, mais aussi d’une stratégie imprudente de son parti, La Libertad Avanza, visant à grappiller des voix dans les bastions électoraux de ses alliés de droite, notamment à Buenos Aires. En voulant tailler des croupières à ses partenaires d’hier, Milei s’est aliéné une partie cruciale de sa majorité parlementaire.
Quant à Ariel Lijo, dont les nominations passées avaient déjà suscité moult controverses, l’affaire ternit davantage son étoile déjà vacillante. Manuel García-Mansilla, universitaire pourtant respecté, doit désormais affronter un dilemme moral : rester en fonction malgré le rejet du Sénat et exposer la Cour à une contestation permanente, ou quitter dignement son siège pour éviter d’aggraver une crise institutionnelle.
Ce camouflet révèle la difficulté chronique du président Milei à composer avec les subtilités parlementaires, préférant souvent l’affrontement direct à la patiente négociation politique. Le libertaire, pourtant porté au pouvoir par sa promesse de rupture radicale avec « la caste », semble aujourd’hui rattrapé par les réalités du pouvoir et la nécessité du compromis.
En fin de compte, cette débâcle sénatoriale pourrait bien représenter un moment charnière pour Javier Milei, marqué par la défection du bloc traditionnel de la droite. Aura-t-il l’habileté nécessaire pour renouer le dialogue avec ses anciens alliés à l’approche des élections législatives de cette fin d’année ? Ou bien devra-t-il se résoudre à temporiser, espérant élargir sa majorité parlementaire par d’autres moyens ? Homme au caractère imprévisible, Milei pourrait encore surprendre son monde.
Par Balbino Katz
Envoyé spéacial de Breizh info en Argentine
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6 réponses à “Milei trébuche au Sénat argentin : échec retentissant pour le président libertaire”
ben voyons!!! c’ est vrai avant Milei ce pays etait florissant et il faut donc conserver ce qu’il etait
Tregaourez Balbino Demat ; excellent séjour à Nantes ; on va suivre ce fait pour le Président argentin ; c’est la vie de tout président de faire des erreurs ; espérons que l’Argentine reste un pays magnifique qui collaborera avec nous français de cœur ; une chanson pour se détendre ? « Nuit sauvage » par le groupe « Les Avions » ; kenavo et bon dimanche
Merci Balbino Katz, pour tous vos excellents reportages argentins, très bien écrits, vivants, qui m’ont permis de mieux comprendre l’Argentine et son énigmatique président à la tronçonneuse…
Pas facile de bousculer l’Oligarchie de l' »Etat Profond ».
Je crains que cela ne se termine par des blindés dans les rues… Et comme toujours les braves gens en feront les frais.
la république des juges là bas aussi