Il y a des dimanches de légende et des vendredis de colère. Sur les routes cabossées des Flandres, deux hommes ont écrit à leur manière la suite d’un vieux poème flamand qui parle de gloire, de sueur et de solitude en danseuse.
Le premier s’appelle Mads Pedersen. Il est Danois, taillé comme un Viking qui aurait trouvé refuge dans une brasserie flamande. Il a remporté ce dimanche sa troisième victoire sur Gand-Wevelgem, et pas en jouant les malins à l’abri des roues ou des oreillettes. Non, Pedersen a choisi la manière forte : une échappée solitaire de 56 kilomètres, épargnée de calculs, traversée de doutes, mais propulsée par des jambes de feu et une volonté d’acier.
Il a grimpé le Mont Kemmel comme on mène un assaut, le regard vissé au sommet, les dents dans le guidon, laissant derrière lui un peloton désuni, incapable de s’entendre, et des adversaires vidés avant d’avoir pu lutter. À l’arrivée, il a levé les bras seul, maître d’une course où la tactique s’était faite suppléer par la force brute. Tim Merlier, vainqueur du sprint du peloton, et Jonathan Milan, son coéquipier, ont complété le podium. Mais c’est bien le cavalier solitaire de Lidl-Trek qui a volé la vedette à tout le monde.
Avec ce troisième sacre (2020, 2024, 2025) à Wevelgem, Pedersen entre dans la légende. Il rejoint le panthéon des triples vainqueurs – les Merckx, Sagan, Boonen… Le genre de club dont on ne pousse pas la porte sans fracas.
Vendredi à Harelbeke, Van der Poel rugit
Mais deux jours plus tôt, c’était Mathieu van der Poel qui avait planté son étendard sur les hauteurs du Grand Prix E3. Pris dans une chute collective après seulement six kilomètres, relégué dans un second groupe, le Néerlandais n’a pas crié au scandale. Il a d’abord serré les dents. Puis il a enclenché la tempête.
Revenu du diable vauvert, il a ensuite laminé la concurrence dans le Vieux Quaremont, larguant Ganna, Pedersen, et les autres comme on tourne une page trop légère. Il est arrivé seul, impassible, une minute et des poussières devant Pedersen, sans un geste superflu, avec la précision d’un scalpel et la brutalité d’un boxeur. Une démonstration. Une vengeance froide sur la Groupama-FDJ, accusée d’avoir profité de la chute pour faire rouler à fond. Un reproche vite devenu anecdote, tant le panache a repris le dessus.
Mais Van der Poel, comme souvent, est aussi poète que coureur. Il n’a pas digéré le geste d’un spectateur qui lui a craché dessus en côte, ni l’attitude de certaines équipes. « C’est antisportif, a-t-il lancé. Jamais nous n’aurions fait ça. » Des mots rugueux comme les pavés qu’il dompte à chaque printemps.
Deux styles, un même royaume
Il y a chez ces deux hommes deux manières de conquérir la Flandre. Pedersen, rustique, héroïque, qui s’en va seul dans la plaine comme un chevalier médiéval. Van der Poel, artiste explosif, capable de tout renverser en quelques mètres, même après avoir mangé la poussière.
À une semaine du Tour des Flandres, le duel est annoncé. Tadej Pogacar reviendra, bien sûr. Et alors ? Ce printemps sent déjà la poudre, les grandes envolées et les drapeaux qui claquent au vent sur les bergs. Mais que ce soit à Harelbeke ou à Wevelgem, une chose est sûre : le cyclisme est encore capable d’écrire des récits épiques, où l’effort l’emporte sur l’arrogance technologique, et où la gloire ne se mesure pas qu’en watts mais en panache.
Et nous, humbles scribes du bitume, on se contente d’essuyer la buée sur nos lunettes pour ne rien manquer de cette chevauchée moderne, où les forçats des temps présents ressuscitent, à chaque coup de pédale, les fantômes flamboyants d’antan.
Ce mercredi, place à A Travers la Flandre. Dernière répétition avant le Ronde dimanche prochain, une semaine avant une édition de Paris-Roubaix qui pourrait être l’édition du siècle.
YV
Crédit photo : Flanders Classic (DR)
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