Dans une Argentine où le personnage de San Martin est la référence obligée de tout bon écolier, politique ou citoyen en général, sa part d’hombre reste un vrai tabou. Fils d’Espagnols né en Amérique mais arrivé en Europe à onze ans, ayant suivi le cursus universitaire et officier de l’armée espagnole, il laisse tout tomber pour devenir le fossoyeur de l’Espagne américaine avant de s’exiler en France. A l’heure où l’on envisage de rapatrier les cendres de Jacques de Liniers en Argentine, il est bon de rappeler que la réalité de San Martin ne colle pas forcément avec l’image d’Epinal que connaissent les Argentins.
Dans son ouvrage «San Martín et la troisième invasion anglaise», Juan Bautista Sejean, avocat et écrivain argentin, propose une thèse audacieuse et provocatrice qui remet en question l’image traditionnelle de José de San Martín, l’un des héros les plus vénérés des émancipations argentine et sud-américaine. Sejean avance que San Martín, loin d’être uniquement un patriote désintéressé, aurait été un acteur clé dans un plan orchestré par les Britanniques pour dominer économiquement l’Amérique du Sud après l’échec des invasions anglaises de 1806 et 1807. Selon l’auteur, San Martín aurait été le chef d’une « troisième invasion anglaise », cette fois-ci déguisée et menée par des moyens politiques et militaires indirects.
La thèse centrale : San Martín, agent des Britanniques ?
Sejean soutient que, après les défaites militaires anglaises à Buenos Aires en 1806 et 1807, les Britanniques ont changé de stratégie. Au lieu de tenter une conquête directe, ils auraient opté pour une infiltration politique et économique, en utilisant des figures locales pour réaliser leurs objectifs. San Martín, selon Sejean, aurait été l’un de ces instruments. L’auteur base sa thèse sur plusieurs éléments troublants de la vie et des actions de San Martín, qu’il interprète comme des preuves de sa collaboration avec les intérêts britanniques.
Les éléments de la thèse
1. L’arrivée de San Martín en Argentine en 1812 : Sejean souligne que San Martín, après avoir servi dans l’armée espagnole pendant plus de vingt ans, est arrivé en Argentine en 1812 en provenance de Londres, où il aurait été initié à la franc-maçonnerie et aurait reçu des instructions de la « Grande Réunion Américaine », une organisation secrète liée aux intérêts britanniques. Selon Sejean, cette organisation aurait été le véritable cerveau derrière les mouvements d’indépendance en Amérique du Sud, visant à affaiblir l’Espagne et à ouvrir la région à l’influence économique britannique.
2. La Loge Lautaro : Sejean met en avant le rôle de la Loge Lautaro, une société secrète fondée par San Martín et d’autres patriotes, qu’il décrit comme un instrument de contrôle politique et militaire au service des Britanniques. La Loge Lautaro aurait été utilisée pour infiltrer les gouvernements locaux et orienter les décisions politiques en faveur des intérêts britanniques. Selon l’auteur, San Martín et ses compagnons auraient agi sous les ordres de cette organisation, qui elle-même répondait aux directives de Londres.
3. La campagne militaire de San Martín : Sejean analyse la campagne militaire de San Martín, notamment la traversée des Andes et la libération du Chili et du Pérou, comme une étape du plan britannique visant à affaiblir l’Espagne et à fragmenter l’Amérique du Sud en petits États facilement contrôlables. Il souligne que San Martín, bien qu’il ait été un brillant stratège, aurait agi en conformité avec les intérêts britanniques, notamment en favorisant l’indépendance du Chili contre les instructions du gouvernement de Buenos Aires, qui souhaitait une Amérique unie.
4. Les relations avec les Britanniques : Sejean cite plusieurs exemples de contacts entre San Martín et des représentants britanniques, notamment des lettres échangées avec Lord Castlereagh, ministre des Affaires étrangères britannique. Ces échanges, selon l’auteur, montrent que San Martín rendait compte de ses actions aux Britanniques et cherchait leur soutien pour ses campagnes militaires. Sejean interprète cela comme une preuve de sa subordination aux intérêts britanniques.
5. L’exil de San Martín en Europe : Après avoir quitté l’Amérique du Sud, San Martín a passé le reste de sa vie en Europe, principalement en France et en Belgique. Sejean voit dans cet exil une preuve supplémentaire de ses liens avec les puissances européennes, notamment la Grande-Bretagne. Il souligne que San Martín a été accueilli avec honneurs en Angleterre, où il a reçu des distinctions et a été traité comme un héros, ce qui, selon l’auteur, serait inexplicable s’il n’avait pas servi les intérêts britanniques.
Les implications de la thèse
La thèse de Sejean a des implications profondes pour l’histoire de l’indépendance sud-américaine. Si elle est vraie, cela signifierait que les mouvements d’indépendance, souvent présentés comme des luttes héroïques pour la liberté, auraient en réalité été manipulés par des puissances étrangères pour servir leurs propres intérêts économiques et politiques. Selon Sejean, l’indépendance de l’Amérique du Sud aurait été une victoire à la Pyrrhus, car elle aurait ouvert la voie à une domination économique britannique qui a perduré pendant des décennies.
Les réactions à la thèse
La thèse de Sejean a suscité des réactions mitigées. Certains historiens et intellectuels ont salué son courage pour remettre en question des mythes nationaux bien établis, tandis que d’autres ont critiqué son manque de preuves tangibles et son interprétation parfois spéculative des événements. Les défenseurs de San Martín rejettent catégoriquement l’idée qu’il aurait pu être un agent des Britanniques, soulignant son dévouement à la cause de l’indépendance et son refus de s’enrichir ou de s’accrocher au pouvoir.
San Martín et la troisième invasion anglaise» est un ouvrage provocateur qui invite à reconsidérer l’histoire de l’indépendance sud-américaine sous un angle nouveau. Que l’on adhère ou non à la thèse de Sejean, son livre soulève des questions importantes sur les motivations des acteurs historiques et les forces externes qui ont pu influencer les événements. En remettant en question l’image mythifiée de San Martín, Sejean nous rappelle que l’histoire est souvent plus complexe et nuancée que les récits officiels ne le laissent entendre.
Balbino Katz, Envoyé spécial de Breizh info en Argentine
Crédit photo : DR
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2 réponses à “San Martín et la troisième invasion anglaise : une thèse controversée”
Cette thèse n’est pas vraiment neuve : on la connait depuis le début du XXe siècle pour divers pays… le Chili, où l’Irlandais O’Higgins a joué un rôle majeur dans le détachement de l’Espagne, le Venezuela (où les gisements de pétrole ont joué un rôle attractif pour les financiers de la City)
ET cette thèse est assez bien étayée (même si l’auteur, prudent, ne fait pas mention du groupe Rothschild de Londres)
C’est autant contre les Britanniques, que contre les Portugais du Brésil ou les Espagnols du Mexique, de Cuba et de Porto-Rico, que Monroe a lancé son slogan « L’Amérique aux Américains ».
Cet excellent (hélas trop court) article fait réfléchir sur l’actualité avec le remake, joué par Trump, d’une OPA sur le Groenland (ses gisements de pétrole et de gaz), déjà envisagée en 1941-44 par FDR (le 2e Roosevelt, le premier ayant joué un rôle majeur dans la main-mise sur Cuba et Porto-Rico, tandis que Wilson tentait de faucher en 1912-16 les gisements pétroliers du Nord du Mexique)
Sortir du cocon régional est une excellente chose. Félicitations
Comment cela? Encore un Franc-Maçon! Certains ici vont avoir des brûlures d’estomac à lire cela…c’est tout de même malheureux d’être submergés par ces gens-là, qu’ils restent avec leurs lacs d’amour, avec leurs gratouilles comme disait Mitterrand le magnifique, leur acacia…Tout est plausible car l’Angleterre faisait du commerce avant les tarés yankees qui les ont surpassés par la suite. Donc tout est plausible.