Le pas-encore maréchal François Certain de Canrobert commandait nos spahis et autres tirailleurs sur le territoire qui relevait turquement d’Alger et de sa frontière occidentale marocaine. Le président Tourneboul ne serrait pas encore notre petit roi sur son cœur et Monsieur Retailleau apprenait le grec et le latin. De valeureux guerriers avaient montré au monde et à la France ce dont ils étaient capables jusque loin dans les sables du Sahara que l’auteur fréquenta quand son temps fut venu après que soit sortie de l’EABC de Saumur la promotion Bugeaud (nommée ainsi par plaisanterie… à cause du coup de trompette obligatoire à chaque prise d’armes). En musique : As-tu vu la casquette, la casquette / As-tu vu la casquette au père Bugeaud ?
L’Algérie (sa conquête et le paysage) sont l’objet de ce merveilleux livre que nous avons lu d’une traite : Attaquer la terre et le soleil, de Mathieu Belezi, paru à la fin de l’année dernière aux éditions Le Tripode *. Pour faire court, c’est le récit de deux personnages, une femme et un soldat… ça se passe dans la région sud de Bône (alias Hippone, alias Anaba). L’armée française est là depuis « quinze ans »… Un bateau, le Labrador, part de Marseille et dépose cinq cents Français qui doivent coloniser le territoire. La femme, Séraphine Jouhaud, tient la corde jusqu’à la fin du livre. Le soldat, pas identifié, est un lascar qui plante à l’ordinaire sa baïonnette dans le ventre « de centaines de milliers de barbares ».
Qu’est-ce qui nous a tant remué dans cet ouvrage ? Tout d’abord l’écriture… Du sauvage : « sainte et sainte mère de Dieu » répété tout au long des premières pages de ce récit, tandis que se déroule le voyage et l’installation dans les tentes du camp militaire « provisoire »… C’est du « poignant » comme on disait au temps où Michel Audiard faisait des miracles de cinéma. Je suis resté fasciné par le ton, la vérité et le charme de ce rare texte qui fera date comme, jadis, le Mort à crédit du ci-devant Céline. Ensuite, il y a l’Histoire… Réfléchissons… Pour avoir vécu la « guerre », de 1956 à 1959, j’y ai retrouvé le fond de commerce que les « gros colons » (c’est pas moi qui le dit, ce sont eux) ont imposé, pendant un siècle et trente ans, à des pauvres « enguenillés » à qui l’on enseignait quand même autre chose que : « La France est notre mère / C’est elle qui nous nourrit / Avec des pommes de terre / Et des fayots pourris » …
Et tout cela est minutieusement décrit par Mathieu Belezi qui n’en fait pas trop, retenant ses chevaux pour présenter un capitaine comme j’en ai connus, cent ans après, activant des « méchouis », à l’occasion, sur des feux de camp… ou travaillant au corps des « moukères » qui auraient pu être mes grands-mères ou mes tantes, allez savoir… Ma mère, cette sainte femme, aurait pu être la Séraphine de cette histoire. En tout cas, rien de ce qui est rapporté par l’auteur est imaginaire. Quand il raconte les « enfumades » du Darha, le 18 juin 1845, il peut aller chercher ses sources dans ce que dit le pair de France, Napoléon-Joseph Ney, lequel parle de « cruauté inexplicable ». En cause, l’iniative du encore-colonel Aimable Pélissier qui reprend une vieille habitude républicaine : la mort de l’autre par asphyxie… comme cela a été initié à Nantes, en 1793… aux Entrepots du Café, qui étaient prison.
En ces heures où l’Algérie n’est plus « la France », il faut lire ce « petit » livre très attachant qui raconte chaleureusement (le choléra est passé par là) un moment pas très ragoûtant de notre Histoire nationale, le fol espoir qui naquit des colonies — lesquelles, Jacques Marseille l’a étudié jadis, n’ont donné du profit qu’à de rares « capitalistes », représentants de la classe privilégiée, très éloignés de ces « civilisés primitifs ». Que les historiens se déchirent, reste que l’essentiel vient d’être dit par Mathieu Belezi.
MORASSE
* Attaquer la terre et le soleil de Mathieu Belezi, aux éditions Le Tripode, collection Météores, 140 pages, 10 €uros.
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