Le conflit russo-ukrainien en bande dessinée.

Trois ans après l’invasion de l’Ukraine, à l’heure où la guerre est sans doute à un tournant majeur, il est révélateur de parcourir les bandes dessinées consacrées à ce conflit. Si toutes épousent la cause ukrainienne, elles empruntent des voies différentes : glorification de l’identité ukrainienne, souffrances des populations civiles, déchirement des expatriés, dénonciation du groupe Wagner et, enfin, révélation de l’opposition russe.

1- Ukraine : Petite histoire d’une longue guerre avec la Russie du moyen-âge à nos jours.

L’Ukraine. Cela fait déjà trois ans que la guerre a commencé. Vika, une jeune fille, tente de dormir malgré la peur des bombardements. À 2 heures du matin, un message sur son téléphone portable lui indique une alerte aérienne imminente. L’instant d’après, un missile détruit le haut d’un immeuble voisin. La jeune fille court se réfugier dans le couloir de son appartement. De nombreux ukrainiens en effet font de leur salle de bain un refuge en cas d’attaque aérienne. C’est la « règle des deux murs » : pour se protéger il faut qu’il y ait au moins deux murs entre la personne et l’extérieur, le premier mur doit encaisser le souffle de l’explosion, le second doit absorber les éclats d’obus. Puis Vika va se réfugier dans un abri. Elle y rencontre une personne âgée et un professeur qui vont lui raconter l’Histoire de l’Ukraine…

Ainsi lui est expliquée la volonté du peuple ukrainien, depuis le moyen-âge, de conserver sa langue, sa culture et à son indépendance. Tout commence par la naissance et la christianisation de la Rus’ de Kiev, une principauté slave. Cette nation commune ancestrale sert de base aux revendications russes sur le territoire ukrainien. C’est par la force qu’à toutes les époques l’empire russe a voulu s’approprier ce territoire : élimination des Cosaques au 18e siècle, éradication de la langue ukrainienne au 19e siècle, destruction de la culture par l’assassinat des élites intellectuelles ukrainiennes au début du 20e siècle, et surtout, l’Holodomor au début des années 1930, massacre des Ukrainiens par les communistes de l’URSS, considéré comme un génocide. Après la chute du communisme, des élections truquées mènent au pouvoir des dirigeants pro-russes. Face aux révoltions populaires, la Crimée puis le Donbass sont attaqués…

La scénariste Mariam Naiem, intellectuelle ukrainienne d’origine afghane, veut montrer qu’au lieu d’affaiblir les Ukrainiens, ces épreuves ont créé un sentiment national et identitaire. A cette fin, son récit alterne entre la vie quotidienne d’une jeune Ukrainienne vivant sous les bombardements et un voyage à travers l’Histoire, en remontant jusqu’au Moyen Âge, afin de proposer une vision enracinée de l’Ukraine. Elle considère que l’Etat actuel ukrainien a pour origine la Rus’ de Kiev, où le Prince Vladimir le Grand avait imposé le christianisme. Il s’agit récit documentaire militant. Curieusement, une seule case montre Volodymyr Zelensky, le président actuel de l’Ukraine.

Les dessinateurs Yulia Vus et Ivan Kypibidia habitent à Lviv, en Ukraine. Le crayonné est saisissant d’expressivité. Les visages sont déformés par la peur. L’angoisse est palpable. Leur noir et blanc est agrémenté de teintes oranges, sans doute pour évoquer la « révolution orange ».

Ukraine : Petite histoire d’une longue guerre avec la Russie du moyen-âge à nos jours, 104 pages, 19,99 euros. Editions Robinson.

2- Les cahiers Ukrainiens Journal d’une invasion.

Le 24 février 2022, l’invasion russe vient de commencer. C’est le début de « l’opération spéciale ». Kiev doit tomber en 48 heures d’après le maitre du Kremlin. Dès le lendemain, le téléphone de l’auteur italien Igor Tuveri, appelé Igort, sonne sans cesse. Il enregistre quotidiennement des dizaines d’appels téléphoniques décrivant les privations de nourriture et d’eau, la recherche des membres de sa famille… Il parvient ainsi à raconter, au jour le jour, l’invasion telle qu’elle se déroule chez les habitants.

Igort, éditeur et auteur italien pétri de culture russe, a habité en Ukraine où il a rencontré sa femme. C’est elle qui a rédigé le récit de cet album. En 2010, Igort avait déjà signé un premier volume de ses Cahiers ukrainiens : mémoires du temps de l’URSS. Il y évoquait « L’Holodomor », la grande famine de 1932-1933 orchestrée par Staline qui fit des millions de victimes ukrainiennes. Dans une réédition de 2015, il avait ajouté 16 pages inédites témoignant de la guerre à venir. Ces pages étaient précédées d’un avertissement : « La catastrophe est sous les yeux d’une Europe stupéfaite, otage du gaz et du pétrole russes, qui feint de ne pas voir la dimension d’une absolue tragédie, comme ce fut le cas dans les années trente ».

La formule reste la même : des récits mêlant crayonnés et dessins, fournis de textes assez copieux avec des lignes, d’où le nom de Cahiers. L’auteur ne délivre que des témoignages recueillis pour mieux dénoncer les conséquences de l’agression russe auprès de la population civile.

Igort reconnaît qu’ « il faut tout vérifier, trier entre ce qui est de la propagande et ce qui n’en est pas. Et des deux côtés du conflit… C’est pour ça que j’évoque Bandera ou le bataillon Azov. La situation n’est ni facile, ni linéaire. Il n’en reste pas moins vrai que nous avons affaire à une invasion » (moustique.be, 26 février 2023).

Les cahiers Ukrainiens Journal d’une invasion, 168 pages, 24 euros. Editions Futoropolis.

3- Les Tournesols d’Ukraine

Lorsqu’elle était enfant, Lisa vivait en Ukraine avec ses parents. Elle avait pour habitude d’aller ramasser des graines de tournesol dans un champ avec son père. Après avoir fait quelques réserves dans leurs poches, ils repartaient chez eux pour les déguster. Lisa est devenue une adulte, mariée à Pietro, un homme d’origine italienne et dessinateur de BD. Ensemble, ils ont fait le choix de s’installer en Ukraine. Des avions militaires passent dans le ciel. Lisa ne peut s’empêcher de s’inquiéter. Autour d’elle, tout le monde la pense pessimiste. Elle commence à penser à déménager en Italie, dans le pays dont est originaire son mari. Au début de 2022, le voisin russe se faisant menaçant, le couple choisit de s’y établir. Peu après l’invasion, le couple est rejoint par quelques membres de la famille qui vivent la tragédie à distance, à travers internet et les difficiles échanges téléphoniques. Tous sont convaincus du bien-fondé de leur cause : protéger leur monde, leur langue et leur culture

Pietro B. Zemelo, auteur de bandes dessinées d’origine italienne, a vécu à Kiev avec Lisa, sa femme ukrainienne, quelque temps avant l’invasion russe. Il livre un témoignage sur la manière dont sa famille a vécu ce chamboulement. Rester ou quitter le pays pour échapper aux Russes ?

Graphiquement, le dessin, très rond, est simple et efficace. Mais les décors sont sommaires.

Les Tournesols d’Ukraine, Échapper à l’invasion, 179 pages, 23 euros, Editions Steinkis.

4- Wagner – L’histoire secrète des mercenaires de Poutine

Printemps 2022, à l’Est de l’Ukraine, le Donbass est occupé par des forces russes. Dans les rues, des Ukrainiens sont abattus par des hommes appartenant au groupe de mercenaires Wagner. Leur chef donne l’ordre à ses hommes de nettoyer un immeuble. A l’intérieur du bâtiment, ils tombent face à des soldats de l’armée régulière russe qui s’alcoolisent, torturent et violent… Auparavant, le groupe Wagner sévissait en Afrique. Dans chaque pays, la même méthode se répétait : corruption des dirigeants locaux, déploiement de mercenaires, formation de troupes locales, propagande anti-française et exploitation des ressources (or et diamant notamment), une contrebande source de gigantesques profits pour Wagner… Mais, en pleine guerre d’Ukraine, Prigogine se rebelle : un convoi de mercenaires roule vers Moscou. Ce n’est pas parce qu’il meurt en août 2023 que le groupe Wagner va disparaître. Intégré à l’armée régulière russe, il est toujours présent en Ukraine et en Afrique.

L’enquête des journalistes Mathieu Olivier et Benjamin Roger, du magazine Jeune Afrique, retrace le parcours d’Evgueni Prigogine, un ancien restaurateur de Saint-Pétersbourg devenu le financier de Wagner, et de Dimitri Outkine, officier russe devenu le commandant de ce groupe de mercenaires. Ils donnent leur vison de la manière dont les mercenaires de la milice privée Wagner vont s’implanter au Mali, en Centrafrique, en Libye ou dans la Syrie de Bachar El-Assad : ils y multiplient pillages et meurtres. On découvre ainsi la manière dont la France a perdu son influence en Afrique. Pour la guerre d’Ukraine, le groupe Wagner rapatrie le gros de ses troupes et utilise des milliers de prisonniers de droit commun.

Thierry Chavant avait déjà réalisé Sarkozy-Kadhafi. Des billets et des bombes (Éditions La Revue dessinée-Delcourt). Assisté de la coloriste Mathilda, son style semi-réaliste convient bien à cette nouvelle bande dessinée engagée.

Wagner – L’histoire secrète des mercenaires de Poutine, 173 pages, 22 euros. Les Arènes BD.

5- A quoi pensent les Russes.

Fin juin 2022, alors que les télévisions de l’aéroport de Dubaï diffusent les images de l’avancée russe en Ukraine, le dessinateur Nicolas Wild s’apprête à embarquer pour Saint-Pétersbourg. Quatre mois à peine après le début de l’invasion de l’Ukraine, il part à la rencontre de la population russe. Pendant deux semaines, accompagné d’une interprète, il rencontre de simples citoyens, des artistes, des opposants politiques, des militaires… afin d’écouter leurs points de vue sur la guerre en Ukraine et la situation de leur pays.

Après son « Kaboul Disco », révélant son expérience au sein d’une ONG en Afghanistan au lendemain de l’intervention américaine, Nicolas Wild propose un voyage au cœur de la Russie de Vladimir Poutine. Il montre un peuple divisé, qui approuve ou subit l’autoritarisme des dirigeants.

Par ce reportage graphique en noir et blanc, avec quelques touches de couleur, l’auteur essaye de rester neutre mais il est souvent choqué par les réponses.

A quoi pensent les Russes, 144 pages, 19 euros, Editions La Boîte à Bulles.

Kristol Séhec.

Crédit photo :  capture page Facebook Musée de Pont-Aven (photo d’illustration)
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3 réponses à “Le conflit russo-ukrainien en bande dessinée.”

  1. Pschitt dit :

    Merci pour cet intéressant recensement. Aucun album n’a-t-il été consacré au courage, à la résistance et à l’imagination déployés par les soldats ukrainiens face à une armée bien plus puissante que la leur… en principe ?

  2. Asinus dit :

    ….en principe, et en fait (malheureusement pour l’Ukraine). Le courage des soldats ukrainiens me paraît indéniable, celui des russes aussi. Mais on ne peut qu’en déplorer les quelques 600.000 morts inutiles si les accords de Minsk avaient été respectés.

  3. Raymond Neveu dit :

    A qui la faute…aux éternels donneurs de leçons qui partout par où ils passent sèment la mort, la désolation pour le dieu puritain Fric, une bible puritaine dans une main et de quoi signer un contrat juteux dans l’autre main! Le complexe militaro industriel des yankees, la CIA et toutes ses agences diaboliques…toujours les mêmes crevures depuis la déclaration Monroe! Villiers en a parler vendredi dernier à 19h sur CNews!

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