L’indignation est à géométrie variable. Tandis que la condamnation possible de l’écrivain algérien Boualem Sansal à dix ans de prison par la justice algérienne pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » (il a en réalité simplement critiqué le régime d’Alger) suscite une levée de boucliers légitime dans les milieux intellectuels et médiatiques français, celle du révisionniste Vincent Reynouard en France ne semble guère émouvoir les défenseurs autoproclamés de la liberté d’expression.
Deux affaires qui, malgré leurs différences, illustrent une même réalité : en Algérie comme en France, l’expression d’idées jugées « inacceptables » par le pouvoir mène tout droit en prison.
Boualem Sansal, dissident en Algérie
Boualem Sansal, écrivain franco-algérien, a été arrêté en novembre dernier à son arrivée à Alger et jugé pour « atteinte à l’intégrité territoriale », « atteinte aux institutions et à l’armée » et « atteinte à l’ordre public ». Un procès expéditif de trente minutes a suffi pour que le parquet réclame une peine de dix ans de réclusion contre cet intellectuel, connu pour ses critiques acerbes du régime algérien. Son tort ? Avoir exprimé son opinion dans un journal français.
Les réactions indignées se sont multipliées, à juste titre, dans les rédactions francophones, dénonçant une atteinte à la liberté d’expression et une instrumentalisation de la justice par un régime autoritaire. François Zimeray, avocat de l’écrivain, parle d’une « procédure fantôme » et de « justice arbitraire ».
Vincent Reynouard, dissident en France
Pendant ce temps, en France, un autre homme vient d’être condamné à douze mois de prison ferme. Vincent Reynouard, révisionniste assumé, a été jugé coupable de « contestation de crimes contre l’humanité » et de « provocation à la haine raciale » pour des vidéos diffusées entre 2017 et 2020. Déjà condamné à plusieurs reprises pour les mêmes raisons, parce que refusant de se plier à la pénalisation historique, il avait fui en Grande-Bretagne avant d’être extradé en France en février 2024.
Les mêmes éditorialistes qui s’indignent du sort de Boualem Sansal se félicitent ici du verdict. Il est de bon ton, en France, de célébrer la répression des opinions jugées « haineuses », quitte à mettre en prison un homme uniquement pour ses paroles ou pour ses écrits. Sansal serait un martyr, Reynouard un criminel. Pourtant, tous deux sont poursuivis non pour des actes, mais pour des mots.
Deux poids, deux mesures
La France aime donner des leçons de liberté d’expression à l’Algérie, tout en appliquant des lois tout aussi liberticides sur son propre sol. Si l’on s’indigne – à juste titre – que Sansal soit condamné pour ses propos, pourquoi se réjouir que Reynouard soit jeté en prison pour les siens ? La loi Gayssot, qui criminalise le révisionnisme, repose sur le même principe que les législations liberticides du régime algérien : certaines idées doivent être interdites sous peine de prison.
Le véritable enjeu n’est pas de défendre les opinions de l’un ou de l’autre, mais de s’interroger sur le droit d’exprimer des idées dissidentes, aussi dérangeantes ou farfelues, ou méprisables soient-elles. Je n’adhère pas aux opinions de M. Reynouard, et je connais mal la prose de M. Sansal. Mais on ne met pas un homme dans une prison, enfermé; privé de sa liberté, pour des écrits, pour des mots, tant qu’il n y a pas de menaces physiques ou d’appels à la violence. C’est un principe qui devrait être intangible pour tous.
La liberté d’expression n’a de valeur que si elle protège aussi les discours impopulaires et même choquants. Ce n’est pas en emprisonnant ceux qui déplaisent que l’on combat leurs idées, bien au contraire. Vincent Reynouard et les thèses qu’il défend , qui durant des années étaient réservées à des cercles microscopiques, n’ont d’ailleurs jamais eu autant d’audience qu’aujourd’hui, en partie du fait des persécutions judiciaires auxquelles il fait face.
En France comme en Algérie, la censure d’État avance masquée. Et l’indignation sélective des élites médiatiques révèle surtout une chose : leur attachement à la liberté d’expression dépend moins d’un principe que de la couleur politique de celui qui la revendique.
JD.
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6 réponses à “Liberté d’expression et d’opinion à deux vitesses : Selon que l’on soit Boualem Sansal en Algérie ou Vincent Reynouard en France…”
Depuis des années et pire avec le Covid, la liberté d’expression est mise à mal selon que le discours vienne de droite ou de gauche. Boualem Sansal est vieux, malade et mérite une intervention présidentielle mais notre Président est aux abonnés absents dès qu’il s’agit de l’ Algérie. La » rue arabe » chez nous lui fout une peur panique et il accepte toutes les humiliations de ce vieux régime corrompu et incompétent. Tout ce qui est en dehors de la doxa est accusé de complotisme, d’extrême droite, de populisme ou de manoeuvres identitaires . Reynouard en est la preuve » française » et les dictatures intellectuelles et médiatiques sont déjà installées dans l’ancienne France des libertés !
Bravo, une fois de plus, à Julien Dir et Breizh-Info pour cet article courageux. Il n’y a pas qu’à gauche qu’on prétende placer la liberté d’expression parmi les valeurs essentielles, sans jamais la défendre quand elle est vraiment attaquée.
Il est bien évident, que quand un pays fait des lois pour écrire l’histoire, et met en prison ceux qui contestent c’est bien une forme de dictature.
Excellent exposé Dear Julien Dir ! C’est clair et net.
Reynouard n’est pas négationniste, ce terme est une invention idéologique pour justifier le dogme d’une vérité historique, contraire à la recherche historique qui est fondée sur le doute et la révision permanente. Il est révisionniste et prétend réviser l’histoire d’après des arguments fondés sur les faits connus.
Une contestation historique fondée sur des débats et des arguments concrets est le meilleur moyen, et le seul pertinent et légitime, de répondre au révisionnisme historique. La persécution, les poursuites et l’interdiction de s’exprimer ne font que renforcer la conviction d’avoir raison parce qu’on a peur de vous contester.
Il n’y a pas de dogme en histoire, juste la recherche critique permanente et le débat.
Le 6 février 1770, Voltaire se serait adressé à l’abbé Le Riche en ces termes : » Monsieur l’abbé, je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire. »
Belle leçon que donnait Voltaire à son époque. Il faut croire que les Lumières n’habitent pas aujourd’hui ceux qui nous dirigent et qui édictent des lois.