Moratoire sur les fermes-usines de saumons : un premier pas vers une réglementation plus stricte ?

L’aquaculture intensive est au cœur des débats en France. Le 18 mars 2025, une proposition de loi transpartisane a été déposée à l’Assemblée nationale pour instaurer un moratoire de dix ans sur les élevages hyper-intensifs de saumons en circuit fermé. Une avancée saluée par les ONG Welfarm et Seastemik, qui dénoncent depuis plusieurs mois les risques environnementaux et sanitaires liés à ces projets industriels.

Une proposition de loi qui transcende les clivages politiques

Portée par Anne Stambach-Terrenoir (LFI) et Damien Girard (ECO), la proposition de loi n°1136 bénéficie d’un soutien large, allant de La France Insoumise au Parti socialiste, en passant par Les Républicains et des élus du groupe LIOT. Une rare union politique qui témoigne de l’inquiétude suscitée par l’installation de ces fermes aquacoles en France.

L’objectif est clair : suspendre toute nouvelle implantation de fermes à saumons en circuit fermé pendant une décennie, le temps de mener des études approfondies sur les impacts de ces installations. Une pause qui permettrait d’évaluer les conséquences économiques, environnementales et sanitaires de cette forme d’élevage intensif.

Le paradoxe français : une consommation massive, une production marginale

La France est l’un des plus gros consommateurs de saumon au monde, avec près de 270 000 tonnes ingérées chaque année. Pourtant, la production nationale est dérisoire, la quasi-totalité des saumons consommés en Hexagone étant importés de Norvège ou d’Écosse.

Face à cette dépendance aux importations, des industriels cherchent à développer des élevages en bassins terrestres, en utilisant la technologie RAS (Recirculating Aquaculture System). Ce système, basé sur la recirculation de l’eau, est présenté comme une solution durable, mais il suscite de nombreuses critiques. Deux projets sont actuellement à l’étude en France :

  • Pure Salmon, en Gironde
  • Local Ocean, dans le Pas-de-Calais

Ces projets, censés renforcer l’autonomie alimentaire française, sont cependant accusés d’être des bombes écologiques et sanitaires en puissance.

Des impacts environnementaux inquiétants

Les détracteurs des fermes à saumons en RAS alertent sur plusieurs dangers majeurs :

  • Pollution des eaux : les rejets des élevages pourraient contenir des polluants, favorisant l’eutrophisation et le réchauffement des cours d’eau.
  • Consommation énergétique excessive : maintenir en fonctionnement des bassins fermés nécessite une consommation énergivore, remettant en question l’aspect écologique de ces installations.
  • Pression sur la pêche minotière : les saumons d’élevage sont nourris avec des farines de poissons, souvent issues de la surpêche en Afrique de l’Ouest, ce qui renforce la dépendance aux importations et l’impact négatif sur les écosystèmes marins.

De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer un modèle qui sape l’économie locale, notamment la conchyliculture bretonne et normande. Mytiliculteurs et ostréiculteurs redoutent l’effet dévastateur de ces fermes sur leurs activités, déjà fragilisées par les pollutions et les aléas climatiques.

Outre les considérations environnementales, le bien-être des poissons est au cœur des critiques formulées par les ONG. Selon Welfarm et Seastemik, les conditions de vie des saumons dans ces bassins sont dramatiques :

  • Densités extrêmes : jusqu’à 91 kg/m³, soit des niveaux bien au-delà des seuils critiques identifiés par la recherche scientifique.
  • Vulnérabilité aux pannes techniques : en cas de défaillance du système de recirculation, les poissons peuvent suffoquer en quelques heures, entraînant des mortalités de masse.
  • Stress et maladies : confinement, stress élevé et maladies parasitaires prolifèrent dans ces élevages fermés, nécessitant un recours accru aux antibiotiques.

Pour les défenseurs du projet, ces problématiques sont exagérées et des mesures existent pour garantir un élevage plus respectueux. Mais les exemples étrangers, notamment en Norvège et au Canada, montrent que les fermes en circuit fermé ont déjà entraîné des désastres sanitaires et des pertes massives de poissons.

Depuis un an, les associations Welfarm et Seastemik multiplient les actions pour alerter sur ces dangers.

  • En avril 2024, Welfarm lançait la campagne « RAS : tout à signaler » pour sensibiliser l’opinion publique aux dangers des élevages en bassins terrestres.
  • En octobre 2024, Seastemik dévoilait la plateforme PinkBombs, en partenariat avec Data for Good, une carte interactive des fermes-usines de saumons à travers le monde.

Grâce à ces initiatives, la question des fermes-usines a émergé dans le débat public, jusqu’à ce que des députés prennent le relais avec cette proposition de moratoire.

Un premier succès… mais une bataille loin d’être gagnée

La proposition de loi déposée le 18 mars représente une victoire symbolique pour les opposants aux élevages industriels de saumons. Mais l’issue du combat est loin d’être certaine.

Si le texte est validé par la conférence des présidents le 1er avril, il pourrait être inscrit à l’ordre du jour de la semaine transpartisane du 5 mai 2025. Mais de nombreux obstacles restent à surmonter :

  • Le poids du lobbying industriel : les groupes agroalimentaires ne resteront pas inactifs face à une loi qui menacerait leurs investissements.
  • La position du gouvernement : l’Exécutif pourrait freiner ou neutraliser cette initiative législative en invoquant des enjeux économiques et stratégiques.
  • Les divisions politiques : bien que le texte soit transpartisan, rien ne garantit qu’il obtiendra une majorité suffisante pour être adopté.

Quelle alternative pour une aquaculture durable ?

Si l’élevage intensif de saumons en circuit fermé est remis en question, cela ne signifie pas pour autant la fin de la production française de saumon. Les défenseurs du moratoire plaident pour un modèle d’aquaculture plus respectueux :

  • Favoriser l’élevage en mer avec des densités réduites pour limiter stress et maladies.
  • Développer des filières locales de production afin de réduire la dépendance aux importations.
  • Encourager la diversification des espèces pour ne pas concentrer la production sur le seul saumon.

Le dépôt de cette proposition de loi met en lumière un débat fondamental : quelle agriculture et quelle alimentation voulons-nous pour demain ? Une chose est certaine : le modèle des fermes-usines de saumons divise profondément et pourrait devenir un nouveau marqueur de l’opposition entre productivisme et écologie.

Affaire à suivre, donc.

Crédit photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

Une réponse à “Moratoire sur les fermes-usines de saumons : un premier pas vers une réglementation plus stricte ?”

  1. Raymond Neveu dit :

    En effet le saumon est le poisson préféré des Français qui ne veulent que des filets, aucune capacité critique et ce n’est pas la fabrique nationale des crétins qui va développer leur sens critique. L’état de Marron interdit la pêche dans le Golfe de Gascogne mais ne parle que de guerre. A-t-il son casque lourd Macaron?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Environnement, Sociétal

Environnement. En Bretagne, la pêche au saumon sera suspendue en 2025

Découvrir l'article

Environnement, GUINGAMP

Plouisy, Le Verdon-sur-Mer, Boulogne-sur-Mer…L’ONG Welfarm s’oppose à trois projets de très grands élevages de saumons en France

Découvrir l'article

Economie

Sous pression des écolo-gauchistes, l’entreprise Bridor abandonne son projet d’usine à Liffré

Découvrir l'article

Social

GM&S, « on va tout péter ». Retour en vidéo sur une lutte sociale en 2017

Découvrir l'article

Culture & Patrimoine, Histoire, Vidéo

Le temps à la chaîne | Le temps des ouvriers Partie 3 (+ Partie 4)

Découvrir l'article

Social, Vidéo

Le temps de l’usine | Le temps des ouvriers Partie 1

Découvrir l'article

Economie

Coronavirus. Les usines de Loire-Atlantique commencent à fermer

Découvrir l'article

A La Une, Environnement

Carhaix. Synutra veut déroger à la sécurité de son usine de lait

Découvrir l'article

Economie

Carhaix. L’ogre chinois annonce une voire deux nouvelles usines Synutra pour asseoir sa domination économique

Découvrir l'article

Economie

Emballages : une usine à Ancenis pourrait changer de main

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky