Buenos Aires sous haute surveillance : la rue verrouillée, la contestation encadrée

Coincé dans un café de la place Nueve de Julio de Salta, une jolie vile espagnol du nord de l’Argentine, je regarde en direct à la télévision les rues de Buenos Aires qui bruissaient d’impatience ce mercredi. Après la violente répression de la semaine précédente, où charges policières et interpellations avaient marqué les esprits, chacun attendait le gouvernement de Javier Milei au tournant. Allait-il reculer, assouplir son dispositif, laisser plus d’espace à la contestation sociale ? Il n’en fut rien. Au contraire, la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, fidèle à sa ligne intransigeante, resserra encore l’étau.

Cette fois, les manifestants, rassemblés à l’appel de diverses organisations syndicales et politiques pour défendre les droits des retraités, furent tenus à distance du Congrès national. Un épais cordon policier verrouillait la place, cantonnant la foule derrière des barrières métalliques qui s’étendaient sur tout le périmètre. Aucune échauffourée notable, si ce n’est quelques escarmouches sporadiques entre manifestants ou contre de prétendus « infiltrés ». L’ombre des provocateurs et des espions planait sur le cortège, et quelques individus furent pris à partie, accusés d’être à la solde du pouvoir ou de semer volontairement le désordre.

L’atmosphère, quoique tendue, resta sous contrôle. Aucune irruption des redoutablesbarrabravas, ces groupes de hooligans du football argentin souvent utilisés comme force d’intimidation dans les manifestations, ne vint troubler le défilé. Ici et là, quelques écharpes et drapeaux de clubs flottaient, mais sans l’organisation militaire qui accompagne d’ordinaire ces factions. En somme, une contestation en ordre, mais contenue, encadrée, neutralisée par l’ampleur du dispositif sécuritaire.

Le cœur du rassemblement battait sur la Plaza del Congreso, où se succédèrent discours et déclarations. Sans podium ni estrade, les orateurs s’exprimaient debout sur un banc, une sono rudimentaire couvrant à peine le brouhaha de la foule. Les revendications se firent entendre avec clarté : dénonciation des coupes budgétaires, appel à une grève générale sous l’égide de la CGT, et surtout, mise en accusation directe de Patricia Bullrich, désignée comme responsable de la répression et sommée de démissionner.

Au-delà des slogans scandés contre le gouvernement, le ton se fit plus grave lorsqu’il fut question de Pablo Grillo, le photographe blessé lors de la manifestation précédente. La figure du martyr a toujours eu une portée symbolique dans la culture politique argentine, et son nom fut invoqué comme une preuve de l’oppression exercée par le régime. « Milei, nous avons repris la rue ! », s’exclama une militante duPlenario de Trabajadores Jubilados. L’affrontement verbal prenait une tournure de reconquête.

Quelques figures du péronisme firent leur apparition, maires et députés venus marquer leur soutien à la contestation, tandis que des militants d’extrême gauche occupaient l’avant-poste du cortège, drapés dans leur habituelle rhétorique révolutionnaire. La gauche argentine, dans ses variantes trotskistes, anarcho-syndicalistes et kirchnéristes, trouve dans la rue son terrain de prédilection, et ce fut une fois encore dans cette arène qu’elle tenta de rallier une opposition morcelée.

Mais le pouvoir ne vacilla pas. Aucun ébranlement dans la posture de la Casa Rosada. Aucune concession. Bullrich, loin de se laisser intimider, poursuivait son entreprise de restauration de l’ordre public. Ce mercredi, la leçon était claire : l’État ne céderait plus le bitume aux manifestants.

La nuit tombée, quelques heurts éclatèrent aux abords du périmètre de sécurité. Un dernier sursaut de la colère populaire, quelques jets de projectiles vite dispersés par les gaz lacrymogènes. Puis la place se vida lentement, ravalant ses clameurs.

Buenos Aires, sous haute surveillance, avait connu une manifestation contenue, sans heurt majeur. Une démonstration de force du gouvernement, une preuve de résilience de l’opposition. La partie ne fait que commencer.
Dans le nord du pays, où je me trouve, les échos de ce qui se passe. À Buenos Aires sont lointains. Sur la place, en fin d’après midi, quelques manifestants locaux font acte de présence dans l’indifférence générale. Dans les conversation politiques dominent les préoccupations économiques, le taux de change très élevé en faveur du peso qui favorise les importateurs au détriment des producteurs locaux. Un ingénieur raconte que dans la zone industrielle où il avait l’habitude de travailler, les trente-quatre entreprises qui étaient ses clients ont fermé leurs ports ces dix dernières années.

Je remarque à nouveau une caractéristique amusante de ces réunions où l’on parle de politique entre amis. Il arrive un moment où la généalogie entre en ligne de compte. Les hommes politiques, les industriels, les participants à ses réunions, sont définis, non seulement par rapport à leur province d’origine, mais aussi à leurs familles d’origine. Le jeu consiste à retracer le lignage de chacun jusqu’aux figures publiques qui ont contribué à créer ce pays au début du XIXe siècle. Se projeter dans l’avenir c’est bien , mais avec de grandes racines c’est mieux.

Par Balbino Katz
Envoyé spécial de Breizh infos dans le nord de l’Argentine

Crédit photo : DR

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Une réponse à “Buenos Aires sous haute surveillance : la rue verrouillée, la contestation encadrée”

  1. bandeDeCons dit :

    « une jolie vile espagnol du nord de l’Argentine,  »

    Pardon ?????????
    CONNARD !
    PLOUCS !

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