La liberté de la presse est-elle menacée en Espagne ? Une vive polémique agite actuellement le pays, alors que le Premier ministre Pedro Sánchez est accusé de chercher à prendre le contrôle du journal El País, le quotidien de référence en Espagne. Joseph Oughourlian, actionnaire principal du média, a récemment publié une tribune incendiaire, comparant l’attitude du chef du gouvernement aux pratiques autoritaires de Francisco Franco.
Un bras de fer entre le pouvoir et El País
L’affaire a éclaté après des révélations indiquant que le gouvernement socialiste espagnol ferait pression sur les actionnaires du groupe Prisa, propriétaire d’El País, pour les contraindre à vendre leurs parts à des investisseurs proches du pouvoir. Oughourlian, qui détient 29% des parts du groupe, a refusé de céder aux pressions et dénonce une tentative de prise de contrôle politique d’un journal historiquement considéré comme proche du Parti socialiste (PSOE).
Le sujet est arrivé jusqu’au Parlement espagnol, où le chef de l’opposition, Alberto Núñez Feijóo (Parti Populaire, droite), a interpellé Pedro Sánchez sur son rôle dans cette tentative d’ingérence. Ce dernier a préféré esquiver la question, parlant de politique de défense et de guerre en Ukraine, ce qui a renforcé les soupçons d’évitement stratégique.
Pressions politiques et manœuvres économiques
Les accusations à l’encontre du gouvernement se basent notamment sur une enquête du magazine français Le Point. Selon cette dernière, en février 2025, un ministre espagnol ainsi que des dirigeants de l’opérateur Telefónica (dont l’État espagnol détient 10% des parts) auraient rencontré des représentants du groupe Vivendi, actionnaire de Prisa. Le message aurait été clair : soit Vivendi vend ses parts à des investisseurs proches du gouvernement, soit il risque de perdre d’importants contrats publicitaires.
Face à ces révélations, Pedro Sánchez et ses ministres démentent en bloc. Mais ces accusations renforcent les craintes de mise sous tutelle progressive des médias par le pouvoir.
Joseph Oughourlian, dernier rempart de l’indépendance d’El País ?
Financier franco-arménien, Oughourlian est engagé dans un bras de fer pour défendre l’indépendance du groupe Prisa. Ses tensions avec le gouvernement ont notamment éclaté au grand jour lorsqu’il a bloqué un projet de chaîne de télévision qui aurait été favorable aux idées du gouvernement socialiste. Estimant l’opération risquée financièrement, il a refusé d’en valider le lancement, une décision qui a accentué les tensions avec le pouvoir.
Pour préserver son contrôle, Oughourlian a récemment pris la présidence d’El País et procédé à une restructuration du conseil d’administration de Prisa, consolidant son influence sur la ligne éditoriale du journal.
Le cas d’El País est emblématique : Son indépendance a été mise en doute ces dernières années, certains observateurs critiquant son alignement sur les positions du gouvernement Sánchez.
Mais paradoxalement, cela n’a pas suffi à protéger le journal d’une tentative de prise de contrôle plus directe. Oughourlian voit dans ce combat une question de liberté journalistique et cite George Orwell dans sa défense de l’indépendance de la presse : « Le journalisme, c’est publier ce que quelqu’un ne veut pas voir publié. Tout le reste, c’est des relations publiques. »
L’opposition dénonce une dérive autocratique
Au-delà du cas El País, c’est l’ensemble de la démocratie espagnole qui est en jeu, selon ses détracteurs. Le leader du Parti Populaire, Alberto Núñez Feijóo, accuse Sánchez d’être sur la voie d’une dérive autocratique, avec des tentatives de contrôle accrues sur les médias, la Banque d’Espagne et plusieurs entreprises publiques.
L’affaire est loin d’être terminée : le prochain conseil d’administration du groupe Prisa, prévu en juin, pourrait être décisif. Une coalition d’investisseurs favorables au gouvernement tenterait de déloger Oughourlian pour mettre à la tête du groupe des figures plus proches du PSOE.
Cette bataille autour d’El País est le symptôme d’une tendance préoccupante en Espagne : celle d’une mainmise progressive du pouvoir sur les grands groupes médiatiques. Si le gouvernement de Pedro Sánchez réussit à imposer sa ligne éditoriale au sein du premier quotidien du pays, c’est l’ensemble du paysage médiatique espagnol qui pourrait être bouleversé.
Crédit photo : Wikipedia (cc)
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine