Dans les années 70, une jeune militante rejoint le siège londonien du Workers Revolutionary Party, Elle est bientôt conviée à des « entretiens politiques » personnalisés avec Gerry Healy, son indéboulonnable dirigeant.
« Cette nuit-là, il m’a de nouveau convoquée dans son appartement. Il était déshabillé et portait juste une robe de chambre ouverte. Il m’a dit de m’asseoir sur le lit, ce que j’ai fait. Il a alors commencé à me dire que j’étais une opportuniste parce que je m’attendais à être formée sans suivre la formation. Il a dit que je faisais preuve d’idéalisme arriéré et qu’il n’était pas sûr de pouvoir continuer à me former. Il a dit que je ne pensais qu’à des considérations superficielles, à de jeunes petits amis et pas à la politique de l’homme. Il a dit que j’étais une individualiste et m’a dit que pour être formée, je devais me soumettre à la direction du parti et qu’il était, lui, le parti (…)
Il s’est alors mis très en colère et a dit que si je parlais à quelqu’un de cela, il me dénoncerait
comme une provocatrice de la police et me ferait expulser du parti (…)
À ce moment-là, j’étais dans un état terrible. Je ne voulais pas aller jusqu’au bout, mais je
savais qu’il était capable de me faire expulser et cela aurait signifié non seulement rompre avec le parti, mais aussi avec mes amis. Je savais que si je quittais le Centre, il dirait que j’étais une arriérée et une réactionnaire en politique (…)
Je pleurais encore quand il m’a dit d’enlever mes vêtements. Je l’ai finalement fait. » (1)
Les « séances de formation » ne cesseront qu’en 1985. A la suite d’un putsch interne à l’organisation, une commission de contrôle interne est nommée, qui rapportera que Healy aurait mis la pression maximum sur 26 jeunes militantes, dont 1 ado de 14 ans, pour obtenir des faveurs sexuelles. La commission exclut Healy, mais ne transmet rien à la justice. Celui-ci meurt dans son lit 4 plus tard.
Healy, frère jumeau de Lambert, le mentor de Mélenchon
Dans la période 68, le WRP est le plus dynamique des partis d’extrême-gauche en Grande-Bretagne, le plus introduit dans les médias et la culture – le cinéaste Ken Loach, par exemple est sorti de ses rangs et il inspire au Monty Python une des scènes de la « Vie de Brian ». Les quelques 3000 militants subissent l’ascendant de leur leader, un trotskyste historique, également influent à l’international.
En France, Healy entretient depuis la fin des années 50 des relations politiques privilégiées avec Pierre Lambert, chef d’un réseau trotskyste informel de 350 membres, qui commence à se structurer fin 1965 sous le nom d’OCI. L’année suivante, Lambert rencontre Healy en personne, dans le sud de l’Angleterre, dans le cadre d’une rencontre internationale de partis trotskystes.
Les deux personnages sont faits pour s’entendre : Healy, Irlandais à l’accent prononcé, est un fort en gueule, capable d’envoyer d’un coup de poing n’importe lequel de ses opposants à l’hôpital. Issu d’une famille ouvrière juive ayant fui l’Empire russe, Lambert est devenu un titi parisien plus vrai que nature. Des racines prolétariennes qui en imposent à leurs militants, souvent honteux de leur famille bourgeoise.
N’ayant presque jamais travaillé l’un et l’autre (2) , ils ont décidé de prendre de l’avance sur les délices du paradis communiste. Si Lambert n’a aucune violence sexuelle à se reprocher, l’organisation lui loue une garçonnière dans Paris, pour y « sauter la bourgeoise », c’est-à-dire y recevoir une de ses nombreuses conquêtes (consentantes). Il a aussi à sa disposition le chéquier du parti, pour des gueuletons politiques quasi quotidiens dans les restos de la capitale, toujours assez arrosés.
En 1971, quand les deux compères finissent par rompre (pour des raisons idéologiques qui n’ont rien à voir avec les pratiques sulfureuses de Healy), l’organisation française est devenue plus puissante et plus professionnelle. Au point de ressembler comme deux gouttes d’eau à sa consœur britannique : gérées comme des entreprises, elles captent des héritages et exploitent financièrement les militants, se constituant un petit empire d’immobilier et d’entreprises (3).
Personnages tout droits sortis d’une satire d’Orwell, les deux dirigeants s’inspirent de Joseph autant que de Léon : en organisant de temps à autre des rituels d’humiliation publique, ils purgent ceux qui ont déplu et entretiennent l’esprit de meute chez les restants. En 1966, lors de leur première rencontre, Lambert assiste à l’agression d’un congressiste par les sbires de Healy. En 1972, il répète la même scène à l’OCI : accusé d’espionnage pour la CIA et le KGB, un de ses lieutenants historiques est sorti de la salle par sa garde rapprochée – celle-ci était commandée par un fou de krav-maga, passé par Tsahal !
Dernier échange de pratiques entre les deux organisations : l’entrisme dans les partis de gouvernement. C’est la spécialité de Healy qui, à travers la Socialist Labour League, intervient au sein du parti travailliste et a des amitiés jusque dans la direction. Longtemps hostile à cette tactique, Lambert s’y met à partir du milieu des années 60 : avec l’accord de Mitterrand, en guerre contre Rocard, Lionel Jospin adhère au Parti socialiste en 1971, tout en restant membre de l’OCI, En 1974, c’est le tour du jeune Jean-Luc Mélenchon, qui pendant des années aura la double appartenance.
L’antisionisme, arme politique déjà mise en avant par Healy
Pour Mélenchon, le départ du Parti socialiste et la création de la LFI dans les années 2010 ont été comme un retour à sa jeunesse totalitaire, au point de réinvestir le siège historique de l’OCI comme lieu de réunion de son état-major. Les années 70 donnent un éclairage sur la mentalité LFI, son style d’organisation, mais aussi sur certaines évolutions récentes du mélenchonisme.
Ses origines ont vraisemblablement sensibilisé Healy à la question palestinienne – nombreux sont les Irlandais qui identifient Israël à l’Angleterre et la Cisjordanie à l’Ulster. A partir des années 70, l’antisionisme devient une marque de fabrique du WRP, au point de le rendre de plus en plus suspect au reste de la gauche britannique. Cette prise de position conduit le parti à se rapprocher ouvertement des régimes socialistes arabes de Libye et d’Irak, participant même pour le compte de Mouammar Kadhafi et de Saddam Hussein à la surveillance d’opposants réfugiés à Londres. En 1981, Healy est reçu en audience par l’émir du Koweit, pourtant assez hermétique aux idéaux du mouvement ouvrier.
L’effet miroir avec Mélenchon est saisissant : le 16 décembre dernier, selon le Canard Enchaîné, le bouillant tribun aurait rencontré un émissaire de l’émir du Qatar dans un palace parisien. Quelques mois plus tard, les députés LFI se font le relais du pouvoir algérien au parlement européen, contre l’écrivain dissident Boualem Sansal. Fréquentations scandaleuses, inséparables du tournant antisioniste radical pris par LFI après l’attaque du Hamas du 7 octobre.
Lambert était également critique par rapport au sionisme, mais pas à la manière trouble de Gerry Healy, de Mélenchon ou de Rima Hassan.
Il considérait certes qu’Israël est un « Etat bourgeois (…) artificiel mis en place par Staline et Truman (…) pour diviser les travailleurs juifs et arabes ». Hostile à tout nationalisme, même non blanc, il préconisait la mise en place d’une « fédération des Etats du Moyen-Orient, libérée de l’impérialisme et de la domination des propriétaires fonciers et des bourgeoisies locales », où tous vivraient en bonne entente.
Mais comment y arriver ? Lambert préconisait une utopique grève générale des travailleurs juifs et arabes du Moyen-Orient, suivie d’une élection constituante. Il excluait formellement le terrorisme comme moyen d’action, ainsi que toute prise de position en faveur d’un camp contre l’autre.
Il est vrai que Lambert avait une fille installée dans un kibboutz près de Jérusalem. Sur ce sujet sensible, l’humain perçait sous le dirigeant révolutionnaire.
Enora
1) Vincent Présumey, « Healy contre les femmes », disponible en ligne. Présumey se base notamment sur la biographie de Healy parue en 2024 : « The party is always right. The untold story of Gerry Healy and british trotskysm », Aidan Beatty.
2) Lambert (de son vrai nom Busel, francisé en Boussel) a travaillé de 1937 à 1940 à la Poste. En 1940, il est arrêté pour propagande anti-militariste et condamné par la République à 3 ans de prison. La défaite de juin 40 lui permet de retrouver la liberté.
En 1941, il trouve du travail dans une usine de Clichy, dont il devient délégué syndical CGT – les structures locales des syndicats restant parfaitement légales sous l’Occupation. A la Libération, il rejoint la nouvelle Sécurité sociale, dont il sera jusqu’à la retraite un employé fantôme.
Lambert et sa toute parenté juive sont restés dans la région parisienne pendant toute l’Occupation – tous sauf un ont survécu aux persécutions, probablement grâce la (relative) protection offerte par la détention de la nationalité française, phénomène statistique incontestable dont a parlé Eric Zemmour.
Lambert n’a pas fait une minute de résistance : il appartenait à la tendance trotskyste orthodoxe qui renvoyait dos à dos les deux camps.
3) Le business model du WRP reposait sur la vente d’un quotidien – le premier en couleur de Grande-Bretagne, acheté à environ 8 000 exemplaires. Sa distribution était effectuée gratuitement par les militants – cela commençait dès 4 h du matin, avant leur propre journée de travail, et reprenait le soir. Chacun était soumis à des quotas de vente impératifs.
L’OCI ponctionnait à hauteur de 10 % le salaire de ses adhérents, avait développé une agence de traduction et a pu capter plusieurs mécénats intéressants, par exemple celui du farfelu marquis trotskyste Louis de Polignac, journaliste AFP reconverti en vendeur de photos érotiques. (pour cette anecdote comme plusieurs autres, François Bazin, « Lambert, le Parrain rouge », 2024)
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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6 réponses à “Gerry Healy, harceleur d’extrême-gauche, et la filiation antisioniste de LFI”
De Gauche ou de droite ! ce monde est pourri jusqu’à la moelle ! on pourrait peut être réessayer un Roi ! au moins on saurait ou on se situe !
Un homme tordu sur le plan politique peut l’être aussi dans d’autres domaines de la vie !
Partout, le même tiercé qui pourrit nos sociétés : Le fric, le pouvoir et le sexe ! Et souvent les 3 à la fois….
Les trotskistes « orthodoxes » renvoyaient dos à dos Allemagne et alliés de l’Ouest. Mais quand la Russie s’est trouvée engagée dans le conflit, la guerre d’après eux, aurait changé de nature. Ils ont soutenu inconditionellement la Russie, Etat ouvrier bureaucratiquement déformé ou dégénéré mais ouvrier quand même (l’industrie lourde et le secteur bancaire étant étatisés).
a ne risque pas d’arriver avec Macron vues ses preferences sexuelles …
Les trotskistes ont aussi réussi un sacré entrisme chez FO