Krzysztof Bosak : « Nous avons peut être en Pologne le plus grand niveau de liberté d’expression de toute l’Europe » [Interview]

Krzysztof Bosak est le président du parti nationaliste polonais Ruch Narodowy (Mouvement national) et est le coprésident, aux côtés de Slawomir Mentzen, de la Konfederacja Wolność i Niepodległość (Confédération Liberté et Indépendance), en abrégé Konfederacja, qui regroupe des partis et des personnalités politiques nationalistes de Pologne, parmi lesquelles figurent Ruch Narodowy. Il est également vice-président de la Chambre des députés. Lionel Baland l’a rencontré et interrogé pour Breizh-info.

Breizh-info : Les députés européens de Konfederacja appartiennent à des partis polonais différents et ont décidé de rejoindre des groupes différents au sein du Parlement européen. Pourquoi et sur quelle base ?

Krzysztof Bosak : Je suis le dirigeant du Mouvement national, un des principaux partis politiques composant la Confédération. Le Mouvement national a décidé de rejoindre le groupe le plus proche de sa ligne idéologique, celui rassemblant des partis souverainistes soutenant une vision nationale-conservatrice : Patriotes pour l’Europe (PfE).

Certains députés européens de la Confédération, qui appartiennent à un autre parti, Nowa Nadzieja (Nouvel Espoir), qui est conservateur et libertarien, ont décidé de siéger dans un autre groupe intitulé Europe des nations souveraines (ESN). Cela est dû au fait que nous négocions séparément et que nous ne sommes pas tenus d’appartenir au même groupe au Parlement européen. Ruch Narodowy et Nowa Nadzieja ont travaillé en utilisant des stratégies un peu différentes. Cela a entraîné notre présence dans deux groupes politiques au Parlement européen. Cette situation peut être utile et bénéfique pour nous, parce que nous pouvons influencer, non pas un seul, mais deux groupes. Nous pouvons échanger des informations et coopérer sur certains projets.

En fait, les partis politiques membres du groupe Europe des nations souveraines (ESN) et du groupe Patriotes pour l’Europe (PfE) ne sont pas si différents. Nous nous connaissons depuis de nombreuses années sur la scène politique. Je crois donc qu’il est possible que, à l’avenir, nous fassions partie d’un groupe plus grand, aussi avec certaines bonnes personnes du groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR) qui sont conservatrices ou souverainistes ou même conservatrices nationales ou nationalistes chrétiennes. Je crois que tous les individus dotés de bon sens, de bonne volonté et d’opinions conservatrices devraient coopérer les uns avec les autres, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent.

Breizh-info : La guerre en Ukraine ne constitue-t-elle pas un point à propos duquel il n’est pas possible de trouver un accord entre les différents partis patriotiques ?

Krzysztof Bosak : Chaque guerre est un événement si complexe et si tragique qu’il est tout à fait normal que les gens se disputent sur la façon d’agir face à un processus politique et stratégique aussi dramatique et horrible que celui auquel nous sommes confrontés en Ukraine.

Donc, je ne critiquerai pas le fait que des points de vue différents se côtoient. Le problème est le manque de leadership stratégique en Europe, pas la grande variété de points de vue différents sur la manière d’agir, ou sur la façon de juger la situation, ou, bien sûr celle de réaliser une bonne analyse stratégique à ce sujet. Dans la plupart des pays européens importants, nous n’avons pas de vrais gouvernements ou nous avons des gouvernements très faibles. Nous n’avons pas de politique de défense commune, ni de bonne coordination de la défense. La majorité des pays d’Europe sont membres de l’OTAN, mais le niveau de coopération et de coordination dans le domaine de l’industrie de l’armement et au sein de certains exercices de défense est beaucoup trop faible pour dissuader la Russie. La vraie difficulté se trouve là et pas dans les différences d’opinions. Le principal problème réside dans ce que nous réalisons et ne porte pas sur ce que nous disons. Nous faisons trop peu pour défendre nos pays.

Nous devons changer cela et nous avons commencé à le faire en Pologne. Heureusement, nous constatons une continuité entre le précédent gouvernement Droit et de justice (PiS) et l’actuel gouvernement de coalition de centre gauche dirigé par la Plate-forme civique (PO). Nous poursuivons le renforcement des capacités de défense. J’exhorte les autres pays à faire de même, parce que si nous étions faibles, personne ne tiendrait compte de nos opinions. Les points de vue sur les questions stratégiques des pays et des organisations faibles ne sont pas pertinents. Le vrai problème se trouve là.

Breizh-info : La Pologne connaît-elle, avec le gouvernement actuel, des problèmes de liberté d’expression ? Des combats politiques entre les conservateurs et les nationalistes se déroulent-ils ?

Krzysztof Bosak : Je crois que nous avons en Pologne, peut-être, le plus grand niveau de liberté d’expression de toute l’Europe. Nous avons la chance de disposer d’une société et d’une classe médiatique qui ont construit cette situation sous l’influence de gens de bon sens. Quelques tentatives de la part de l’actuel gouvernement de centre gauche de changer la donne existent. Par exemple, une purge a été réalisée dans les médias dépendants de l’État. Mais, nous avons un secteur assez important de médias conservateurs en Pologne, qui n’est peut-être pas aussi fort que celui des médias libéraux, mais de nombreux organes de presse sont conservateurs.

Le gouvernement tente d’introduire une loi sur les discours de haine, ce que nous critiquons très fortement parce que nous pensons qu’il s’agit d’une menace pour la liberté d’expression et des médias. Mais, pour l’instant, il n’est pas possible de déterminer si cette législation verra le jour. En tout cas, le président [conservateur] de la République actuel ne la signera pas. Si le prochain président est conservateur, je crois que nous serons en sécurité sur ce point car il utilisera son droit de veto. En revanche, si un président de centre gauche arrive au pouvoir, cette législation sera adoptée.

Dans le domaine des médias sociaux, l’influence du politiquement correct des États-Unis est prégnante, mais nous constatons que la présidence de Donald Trump a modifié la donne et, bien sûr, l’acquisition de Twitter, devenu X, par Elon Musk est un grand soutien à la liberté d’expression. X est très répandu en Pologne. Cependant, Facebook utilise encore certains algorithmes et des procédures d’annulation de publications contre nous, mais nous développons aussi des stratégies pour effectuer notre travail sans être arrêtés par ces réglementations.

En résumé, le niveau de liberté d’expression en Pologne est assez élevé et est, peut-être, le plus grand de l’histoire polonaise. Nous l’utilisons. Nous en profitons. Notre parti politique croît dans les sondages. Aujourd’hui, nous avons environ 13 % des électeurs.

Breizh-info : Le gouvernement tente-t-il d’influer sur l’enseignement ?

Krzysztof Bosak : Le gouvernement voudrait influencer le système éducatif et a proposé une nouvelle réglementation sur de nouveaux sujets, sur l’éducation et la santé, par exemple, qui est un nom de code pour l’enseignement progressiste de l’éducation sexuelle et certaines questions climatiques, mais aussi des thèmes peu controversés comme l’alimentation saine, à laquelle nous ne nous opposons pas, mais, en revanche, bien à ce programme progressiste sur le genre, le sexe et le climat. Et après une longue discussion, le ministre de l’Éducation a déclaré que ce serait volontaire. Ils ont d’abord affirmé que ce serait obligatoire pour chaque enfant et chaque élève, mais maintenant ils ont reculé parce qu’ils n’ont pas de soutien pour cela, et pas seulement dans la société. Des centaines de milliers de parents protestent et le gouvernement ne dispose pas non plus du soutien complet de la coalition. Des partis centristes, qui sont un peu plus conservateurs, s’y opposent.

Breizh-info : Et maintenant, vous êtes dans l’opposition et les conservateurs de Droit et justice (PiS) aussi. Existe-t-il de nombreuses différences entre ces deux formations politiques ?

Krzysztof Bosak : Oui, bien sûr. C’est toujours ainsi quand deux partis politiques sont du même côté de l’échiquier politique et qu’ils sont en concurrence l’un avec l’autre. Il y a beaucoup de tensions, beaucoup de divergences, grandes et petites. Certaines sont des différences stratégiques, d’autres concernent les détails de l’ordre du jour ou des déclarations ou des tactiques sur certaines questions. Bien sûr, il y a beaucoup de disparités, mais il y a aussi des choses que nous partageons. Par exemple, le respect de la culture polonaise, de l’héritage chrétien, des valeurs occidentales fondamentales, de la souveraineté de l’État polonais, de l’État de droit dans son vrai sens. Il en va de même pour l’indépendance de la justice polonaise vis-à-vis de l’influence étrangère, en particulier des institutions européennes qui influencent de manière progressiste notre système judiciaire. Nous partageons beaucoup de choses comme s’opposer à la fédéralisation de l’Union européenne, au Pacte vert pour l’Europe et à la politique climatique.

La différence se trouve dans la crédibilité. Nous pensons que nous sommes plus dignes de confiance parce que nous n’avons pas eu besoin de changer notre ligne idéologique. Par exemple, Droit et la justice (PiS), lorsqu’il siégeait au gouvernement, soutenait le Pacte vert pour l’Europe et la politique climatique, et maintenant s’y oppose, alors que notre position à ce sujet est stable.

Droit et justice penche plutôt, en particulier sur les questions économiques et sociales, vers la ligne idéologique sociale-démocrate et nous sommes plus conservateurs, orientés vers le marché, vers la liberté et vers une fiscalité moindre. Notre programme économique est donc plus classique, libéral, dirions-nous, et plus nationaliste, et le programme économique de Droit et de justice (PiS) est plus étatiste et même, d’une certaine manière, social-démocrate. Cela constitue donc une grande différence. Et nous pourrions en nommer mille autres.

Breizh-info : Quelle est la situation migratoire actuelle en Pologne ?

Krzysztof Bosak : La donne n’est pas claire parce qu’officiellement le gouvernement a déclaré qu’il développera une politique de sécurisation des frontières contre l’immigration illégale et qu’il durcira même la politique d’immigration légale, mais les chiffres montrent une situation différente : certaines règles en matière de visas ont été modifiées, mais un grand afflux d’immigration étrangère légale sur le marché du travail a lieu. La sécurité des frontières a été améliorée, mais, en même temps, l’actuel gouvernement est un peu plus permissif que le précédent en ce qui concerne l’immigration illégale vers la Pologne.

Ainsi, par exemple, les immigrants illégaux ne sont pas emprisonnés et peuvent rester en Pologne. La politique migratoire du gouvernement est donc assez dure dans les déclarations et assez permissive dans la pratique, mais la politique de sécurité frontalière de base est toujours en vigueur, comme sous le gouvernement précédent, et certaines procédures de sécurité frontalière et infrastructures techniques ont même été améliorées.

Breizh-info : Robert Winicki, l’ancien président du Mouvement national qui s’était retiré pour raison de santé, est-il de retour ?

Krzysztof Bosak : Après une pause d’un an, Robert Winicki est revenu dans le débat public. Aujourd’hui, il est un peu une sorte de commentateur. Il anime sa propre chaîne YouTube et commente la politique internationale et parfois la politique intérieure. Il développe sa nouvelle initiative d’activisme social et il soutient toujours ce que nous faisons.

Breizh-info : N’est-ce pas un problème pour un des éléments de la Confédération de siéger dans le même groupe, Europe des nations souveraines (ESN), que le parti patriotique allemand AfD ?

Krzysztof Bosak : En fait, quelques controverses ont vu le jour en Pologne par rapport aux déclarations de certains représentants de l’AfD. En tant que Mouvement national, nous n’avons aucun lien officiel avec l’AfD. En revanche, un autre parti de la Confédération, Nowa Nadzieja (Nouvel Espoir), coopère avec l’AfD. Cela a engendré des critiques, mais cette situation n’a pas vraiment d’importance. En politique, c’est toujours ainsi : toute décision est critiquée par certains et appréciée par d’autres. Nous ne sommes pas d’accord avec tout ce que disent les représentants de l’AfD, mais nous pouvons l’être à propos de nombreuses choses.

À l’intérieur de la Confédération, un parti a décidé d’aller avec l’AfD et les autres éléments de la Confédération ne peuvent pas lui imposer de ne pas le faire. Il est possible de travailler sur des stratégies différentes et de prendre des décisions distinctes. Nous jouissons d’un grand niveau d’autonomie au sein de la Confédération. Cette dernière fonctionne comme une coupole politique pour des partis et des individus actifs dans toute la Pologne ayant un programme un peu différent et des stratégies distinctes. Donc, comme je l’ai dit, les deux plus importants sont le Mouvement national qui est chrétien national-conservateur ou chrétien nationaliste et le second est le Nouvel Espoir qui est plus conservateur, libertaire et plus orienté vers la liberté économique, mais notre objectif commun est la souveraineté polonaise et l’attitude de « La Pologne en premier » dans le cadre de la politique étrangère polonaise et de la politique européenne.

Propos recueillis par Lionel Baland

Crédit photo : DR
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3 réponses à “Krzysztof Bosak : « Nous avons peut être en Pologne le plus grand niveau de liberté d’expression de toute l’Europe » [Interview]”

  1. gautier dit :

    encore des new leaders de Soros lobotomisés !! ne descend pas du trottoir ! sinon !

  2. Eudes Lenormand dit :

    Dommage que le journaliste n’ait pas soulevé la question de l’alignement de la Pologne sur les Etats-Unis et en particulier sur son choix de se fournir quasi exclusivement en armement américain (voir coréen !) .

  3. Hadrien Lemur dit :

    J’ignore si la Pologne est bien le leader de la liberté d’expression en Europe mais ce que je peux affirmer sans risque c’est que la France est loin du podium.

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