Richard Ferrand, « un serviteur de la République »

Le Conseil constitutionnel de 1958 ne ressemble pas à celui de 2025. Sans légitimité aucune, ses membres sont devenus au fil du temps une espèce de contre-pouvoir qui censure les lois qui ne lui conviennent pas. Pourtant les députés et les sénateurs sont des élus, alors qu’eux ne sont que des copains que l’on recase. 

Pour les spécialistes du droit constitutionnel, le Conseil constitutionnel offre matière à discussion permanente. Les dirigeants de l’UDB ont également leur petite idée sur la question ; la nomination de Richard Ferrand à la tête de l’institution leur a donné l’occasion de critiquer cette maison sans véritablement rentrer dans le vif du sujet. Selon eux, le Conseil constitutionnel a été « créé de toutes pièces par l’esprit de Michel Debré et du général de Gaulle pour façonner une République à leur image, souverainiste et autoritaire, [et] peine toujours à effectuer sa mue vers une autorité démocratique ! » (Le Peuple breton, mars 2025)

Il aurait été bon de commencer par le commencement et de rappeler la loi des 16 et 24 août 1790  qui avait pour objectif de mettre un terme aux abus des Parlements de l’Ancien Régime : « Les tribunaux ne pourront prendre directement ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif (…) à peine de forfaiture. Ils ne pourront faire de règlements, mais ils s’adresseront au corps législatif toutes les fois qu’ils croiront nécessaire, soit d’interpréter une loi, soit d’en faire une nouvelle. » Notons que cette loi n’a jamais été abrogée.

Aujourd’hui, nous sommes très loin de tout cela puisque le Conseil constitutionnel est devenu un véritable co-législateur. Le juge constitutionnel « pioche, dans les Déclarations incantatoires et vagues à souhait de 1789 et 1946, ou dans les conventions européennes des droits de l’homme, des principes qu’il découvre, interprète, façonne tel un alchimiste doué » (Eric Zemmour, Le coup d’Etat des juges, Grasset, février 1997). On peut également se référer aux explications de Jean Foyer, ancien ministre de la Justice, qui, dans ses Mémoires (Sur le chemin du droit avec le Général, Fayard, 2006) rappelle : « Le Garde des Sceaux [ Michel Debré] ne pensait pas principalement à instituer un contrôle de constitutionnalité des lois quand il nous invita à réfléchir à la création du Conseil constitutionnel, collège composé de neuf personnes nommées […] Il lui voyait deux attributions essentielles : juger le contentieux des élections parlementaires et tenir la main au respect du parlementarisme rationalisé. »

Le juge applique la loi mais ne la fait pas

« Celui qui prétend aujourd’hui que le Conseil constitutionnel est un contre-pouvoir libéral “créé“ pour assurer la protection des droits et des libertés commet un contresens énorme et anachronique. Il faut d’ailleurs rappeler que la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 dispose que “l’autorité judiciaire devra être indépendante pour assurer le respect des libertés essentielles défendues par le préambule de 1946 et la Déclaration de 1789“. C’est donc au juge ordinaire qu’il incombe d’assurer ce respect, mais dans l’application des lois, pas dans leur contrôle », souligne de son côté Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’Université Rennes 1 (Contre le gouvernement des juges, Editions du Cerf, 2022)

Le Conseil constitutionnel est effectivement une invention de Michel Debré lorsqu’il était ministre de la Justice en 1958, ayant reçu mission de proposer une nouvelle constitution (comité consultatif constitutionnel) ; en effet, les IIIe et IVe Républiques ignoraient ce dispositif. « Au moment de la création du Conseil constitutionnel en 1958, le constituant n’avait voulu lui conférer qu’un rôle relativement marginal. Sa création répondait à la logique de rationalisation du régime parlementaire et à l’encadrement des pouvoirs du Parlement. De ce point de vue, le Conseil constitutionnel apparaissait comme le “chien de garde“ du Parlement, soit par le contrôle qu’il exerçait sur les règlements des assemblées, soit par l’exercice des différentes compétences  lui permettant de sanctionner une intrusion du législateur dans le domaine du pouvoir réglementaire. » (Code constitutionnel). En effet, si l’article 34 de la Constitution établit la liste des matières qui sont du domaine de la loi, l’article 37, lui, indique que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire. » Or, pendant la IVe République, cette distinction n’existait pas ; le Parlement pouvait donc intervenir tous azimuts. C’est pourquoi les gaullistes comptaient sur le Conseil constitutionnel pour empêcher le Parlement de marcher sur les plates-bandes de l’exécutif.

Le virage de juillet 1971

Nous en étions là  jusqu’à la Décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 (71-44 DC). « Considérant qu’au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmées par le Préambule de la Constitution, il y a lieu de ranger le principe de la liberté d’association », peut-on lire dans le considérant n°2. Cette Décision est révolutionnaire puisque accorde au Préambule de la Constitution de la Ve République (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et Préambule de la constitution du 27 octobre 1946) valeur constitutionnelle. « La décision a une portée considérable : elle consacre de manière définitive la valeur juridique du Préambule ; élargit la notion de conformité à la Constitution ; applique « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ; affirme le rôle du Conseil comme protecteur des libertés  fondamentales et fait de la liberté d’association une liberté constitutionnelle. » (Les grandes décision du Conseil constitutionnel, Dalloz, 2001)

Désormais, le Conseil constitutionnel aura les mains libres pour bâtir une jurisprudence allant dans un sens que n’avaient pas prévu les rédacteurs de 1958. Un exemple : la Décision du 6 juillet 2018, n°2018-717/718 QPC. « Le Conseil constitutionnel affirme pour la première fois la valeur constitutionnelle du principe de fraternité issu des articles 2, 72-3 et du Préambule de la Constitution. Il en déduit l’existence de la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. » (Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 2022). Il était reproché au requérant, Cédric Herrou, d’avoir apporté son assistance à des étrangers en situation irrégulière, notamment en facilitant leur circulation sur le territoire national.

Laurent Fabius, Richard Ferrand et compagnie

Voilà qui nous éloigne des critiques de l’UDB : « Cette domination des politiques sur l’appareil judiciaire et administratif de la France n’est pas sans poser problème. D’abord parce qu’il s’agit d’un entre-soi toxique, les uns nommant les autres sans véritable légitimité. » (Le Peuple breton, mars 2025). Gael Briand et ses amis devraient au contraire se féliciter des décisions prises par le Conseil constitutionnel grâce à un « entre-soi toxique » (sic) ; en particulier lorsqu’il s’agit d’aider les immigrés – question chère à l’UDB.

Pleurnicher à propos de la nomination de Richard Ferrand comme président du Conseil constitutionnel semble sans intérêt. En effet ce dernier est un homme du Système. Si Macron ne l’avait pas nommé, il en aurait nommé un autre du même acabit. Tous jacobins et donnant à l’article 2 de la Constitution (« La langue de la République est le français ») la même interprétation. Quand Ferrand dit : « Je ne suis pas un professionnel du droit, c’est vrai, mais comme vous, un serviteur de la République », il y a neuf ans, Laurent Fabius, nommé par François Hollande, aurait pu dire la même chose. Nihil novis sub sole ! Pour terminer, notons que le « serviteur de la République » savait faire du fric avec sa boîte de conseil Messidor… Il était le « serviteur » d’un certain Richard Ferrand…

Bernard Morvan

Crédit photo : Faculté de droit Paris Est Créteil
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5 réponses à “Richard Ferrand, « un serviteur de la République »”

  1. Pschitt dit :

    On n’insistera jamais assez sur le véritable « coup d’Etat » perpétré par le Conseil constitutionnel en 1971. En décidant qu’il pouvait se prononcer en vertu des droits et principes évoqués à la louche par le préambule de la Constitution, il s’est autorisé à écarter n’importe quelle loi qui ne lui plairait pas. Il lui suffit pour cela d’un peu d’agilité intellectuelle !
    Ce coup d’Etat de 1971 n’est pas l’oeuvre d’un clan extrémiste : le Conseil était présidé par Gaston Palewski, nommé par le général de Gaulle et ses membres étaient en majorité des juristes sérieux. Ses conséquences n’ont pas été visibles tout de suite, mais cette griffure initiale a permis aux microbes de s’introduire au point d’infecter largement notre législation.
    Serait-il possible de ramener le champ d’intervention du Conseil constitutionnel au périmètre d’origine par une loi organique ? Non, puisque toute loi organique doit être validée par… le Conseil constitutionnel : seul le Conseil est juge du Conseil, et pas le peuple ni ses élus. On voit mal comment en sortir sans un phénomène plus ou moins révolutionnaire qui ferait tomber cette dictature.

  2. gautier dit :

    Pour Richard Ferrand je ne retiens qu’une chose qui en dit long, un soir à l’assemblé, il n’y avait qu’une centaine de personnes, une proposition de loi a et présenté, une grande majorité avait voté pour, mais seulement cette loi ne convenait pas à Maron, lors du vote contre, il n’y avait qu’un tiers de non, monsieur Ferrand après contage à approuver le NON, une protestation a eu lieux, monsieur Ferrand a dit, « le vote est enregistré, il n’y aura pas de contre vote  » et voila monsieur Ferrand ! alors cela va il changer au conseil constitutionnel !

  3. guillemot dit :

    Attardons nous sur la mine chafouine au regard matois de cet homme Tout y est, rien à ajouter si ce n’est ( pour rester poli ) je vous ai bien eu

  4. Francesco dit :

    Ferrand ? Allez voir chez votre tapissier, car je crois qu’il s’agit d’une sorte de tapis très prisé en Macronie inférieure.

  5. patphil dit :

    « un serviteur de la république » des copains et des coquins aurait dit un ancien ministre des années 1790

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