Le 17 avril 1975, il y a tout juste cinquante ans, Phnom Penh tombait aux mains des Khmers rouges, marquant le début d’un des régimes les plus meurtriers de l’histoire moderne. En seulement quatre ans, le Kampuchéa démocratique dirigé par Pol Pot allait plonger le Cambodge dans l’horreur : plus de 1,7 million de morts, soit près d’un tiers de la population, victimes d’exécutions de masse, de famines organisées, de travaux forcés et d’une répression sans précédent. Ce génocide communiste, dont les inspirateurs et les acteurs se formèrent à Paris aux côtés de la gauche française, inspiré des principes ultra-maoïstes et soutenu par la Chine de Mao Zedong, reste un crime majeur du XXe siècle, dont les enseignements peinent encore à être tirés.
17 avril 1975 : Phnom Penh tombe, un peuple marche vers l’abîme
Ce jour-là, les troupes khmères rouges entrent dans la capitale cambodgienne. L’illusion d’une paix retrouvée ne dure que quelques heures. Très vite, les habitants, épuisés par cinq années de guerre civile contre le régime pro-américain de Lon Nol, comprennent la réalité du nouveau pouvoir. Sous prétexte d’un imminent bombardement américain, la population est immédiatement évacuée : malades arrachés aux hôpitaux, vieillards, enfants, familles entières sont contraints à une marche forcée vers la campagne, sous un soleil de plomb. Entre 10 000 et 20 000 personnes meurent en quelques jours.
Mais ce n’était qu’un avant-goût de l’enfer.
L’idéologie de Pol Pot et du Parti communiste du Kampuchéa repose sur une vision radicale et délirante : bâtir une société totalement agraire, purifiée de toute influence étrangère, moderne ou bourgeoise. L’Angkar, l’« Organisation » dirigeante, décide donc d’éradiquer toute forme de vie urbaine : les villes sont vidées, les écoles fermées, les marchés interdits, la monnaie supprimée. Les moines bouddhistes sont exécutés, les intellectuels traqués, et même porter des lunettes devient un crime, signe d’une « contamination occidentale ».
Un régime totalitaire basé sur la terreur et la déshumanisation
Dans les rizières transformées en camps de travail forcé, la population est soumise à un régime d’esclavage, travaillant 14 à 16 heures par jour, sous-alimentée et sous surveillance constante. Les familles sont séparées, les enfants endoctrinés et dressés à dénoncer leurs parents. Les mariages sont arrangés par le parti, dans un mépris total des liens humains.
La répression est systématique et touche toutes les couches de la société. Les Khmers rouges considèrent les citadins, les intellectuels et les religieux comme des ennemis de la révolution. Des purges sanglantes se succèdent, souvent sur simple dénonciation. Des dizaines de milliers de personnes sont envoyées dans les prisons secrètes, véritables centres de torture et d’exécution. La plus tristement célèbre, Tuol Sleng (S-21), dirigée par le bourreau Douch, voit défiler plus de 14 000 prisonniers, dont seuls une poignée survivront.
Le pays entier devient un immense champ de la mort : les fosses communes des « Killing Fields » se remplissent de corps, parfois exécutés à la pioche pour économiser les balles. Les méthodes d’exécution sont d’une brutalité inouïe, allant de l’égorgement à la décapitation, en passant par l’enfouissement vivant. L’idéologie paranoïaque des Khmers rouges pousse même le régime à éliminer ses propres cadres, accusés de « trahison » et de « déviationnisme ».
Une famine organisée, des populations exterminées
Outre les exécutions de masse, le régime provoque une famine généralisée en imposant des quotas agricoles irréalistes. Les rations alimentaires sont dérisoires, et les populations les plus suspectées – urbains, minorités ethniques, religieux – sont volontairement privées de nourriture. La consommation de fruits trouvés dans la nature est punie de mort, et des cas de cannibalisme sont rapportés.
Certaines minorités ethniques subissent un véritable génocide ciblé. Les Chams musulmans, les Vietnamiens de souche et les Chinois du Cambodge sont particulièrement visés. Des villages entiers de Chams sont rasés, leurs mosquées détruites, leur langue interdite, et 50 % de leur population est exterminée. En 2018, la justice internationale qualifiera ces actes de génocide, bien que la reconnaissance officielle soit tardive et limitée.
Contrairement à l’image souvent répandue d’un Cambodge isolé sous Pol Pot, les Khmers rouges bénéficient d’un soutien considérable, notamment de la Chine maoïste, mais aussi en France dans les milieux d’extrême gauche. Mao Zedong, admiratif du radicalisme de Pol Pot, lui accorde un milliard de dollars d’aide militaire et économique en 1975. Pékin continue de soutenir les Khmers rouges même après leur chute, allant jusqu’à leur conserver un siège à l’ONU jusqu’en 1991.
Après la chute du régime en janvier 1979, provoquée par l’invasion vietnamienne, les anciens Khmers rouges continuent de semer la terreur dans certaines régions du Cambodge. Aucun grand procès international n’a lieu immédiatement, et il faut attendre les années 2000 pour voir quelques anciens dirigeants condamnés. Pol Pot, lui, meurt à 72 ans en 1998 après avoir été arrêté par ses propres troupes pour l’assassinat de Son Sen, l’ancien chef de la sûreté du Kampuchéa démocratique, et condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Un génocide oublié, un travail mémoriel insuffisant
Cinquante ans après, le génocide khmer rouge demeure méconnu du grand public occidental. Si les procès internationaux ont permis de qualifier certains crimes de génocide, la reconnaissance demeure tardive et incomplète. Beaucoup de bourreaux ont échappé à la justice, et l’idéologie khmère rouge n’a jamais fait l’objet d’un rejet aussi fort que celui du nazisme ou du stalinisme.
Au Cambodge, le travail de mémoire reste fragile : la jeunesse connaît peu l’histoire du génocide, et certains anciens Khmers rouges ont même occupé des fonctions politiques après la chute du régime. Les commémorations restent marquées par une volonté d’oublier plutôt que de comprendre.
Le génocide cambodgien rappelle à quel point un régime collectiviste, appuyé sur une idéologie radicale et imposé par la force, peut déshumaniser un peuple entier. Il montre également les complicités internationales, en particulier celle de la Chine maoïste, qui ont permis et soutenu un tel massacre. Aujourd’hui encore, alors que l’Occident porte en son sein des individus qui se revendiquent ouvertement communistes, le souvenir des Khmers rouges doit nous alerter sur les dangers d’un aveuglement géopolitique.
Le 17 avril 1975, Phnom Penh est tombée dans l’enfer du communisme lorsqu’il est appliqué. Ne jamais oublier ce jour, c’est refuser que l’histoire se répète ailleurs, sous d’autres formes, avec d’autres visages.
Génocide au Cambodge et Khmers rouges : une bibliographie en français
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Chandler, David P. (1999). Une histoire du Cambodge. Traduit de l’anglais par Christiane Lalonde. Paris : Les Indes savantes.
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Une synthèse historique qui contextualise l’ascension des Khmers rouges et les événements du génocide dans l’histoire plus large du Cambodge.
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Kiernan, Ben (2008). Le Génocide au Cambodge, 1975-1979 : Race, idéologie et pouvoir. Traduit de l’anglais par Marie-France de Paloméra. Paris : Gallimard.
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Une étude approfondie par un historien spécialiste du Cambodge, qui analyse les causes idéologiques, politiques et sociales du génocide.
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Short, Philip (2007). Pol Pot : Anatomie d’un cauchemar. Traduit de l’anglais par Olivier Salvatori. Paris : Denoël.
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Une biographie détaillée de Pol Pot, chef des Khmers rouges, qui explore sa personnalité et les mécanismes du régime.
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Becker, Elizabeth (1990). Les Larmes du Cambodge : L’histoire d’un auto-génocide. Traduit de l’anglais par Pierre Saint-Jean. Paris : Presses de la Cité.
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Un récit journalistique et historique basé sur des enquêtes de terrain, qui examine les rouages du régime khmer rouge et ses conséquences.
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Ponchaud, François (1977). Cambodge année zéro. Paris : Julliard.
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Un témoignage précoce et essentiel d’un missionnaire français qui a vécu les débuts du régime khmer rouge et documenté les premières atrocités.
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Ung, Loung (2001). D’abord, ils ont tué mon père. Traduit de l’anglais par Rose Labourie. Paris : Plon.
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Un récit autobiographique poignant d’une survivante du génocide, qui raconte son expérience d’enfant sous le régime des Khmers rouges.
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Ngor, Haing S. (1988). Une odyssée cambodgienne. Traduit de l’anglais par Michel Faure. Paris : Fixot.
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Le témoignage d’un médecin et acteur cambodgien (connu pour son rôle dans La Déchirure), qui a survécu aux camps de travail khmers rouges.
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Bizot, François (2000). Le Portail. Paris : La Table Ronde.
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Un récit personnel d’un ethnologue français capturé par les Khmers rouges en 1971, avant leur prise de pouvoir, et qui donne un aperçu des idéologies et pratiques du mouvement.
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Locard, Henri (2004). Pol Pot et le génocide cambodgien : Les mots pour le dire, Revue d’Histoire de la Shoah, n° 180, pp. 131-164.
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Une analyse des termes et concepts employés pour qualifier les crimes des Khmers rouges, avec une réflexion sur la notion de génocide.
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Margolin, Jean-Louis (1997). « Cambodge : au pays du crime déconcertant », in Le Livre noir du communisme, sous la direction de Stéphane Courtois. Paris : Robert Laffont, pp. 577-644.
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Un chapitre qui examine le génocide khmer rouge dans le cadre plus large des crimes commis sous des régimes communistes.
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Panh, Rithy (1996). S-21, la machine de mort khmère rouge. Documentaire.
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Un documentaire essentiel réalisé par un survivant, qui donne la parole aux victimes et aux anciens bourreaux du centre de détention S-21.
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Panh, Rithy (2013). L’Image manquante. Documentaire.
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Une œuvre poétique et personnelle qui utilise des figurines pour évoquer les souvenirs du génocide, face à l’absence d’images d’archives.
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Groupe d’experts des Nations Unies (1999). Rapport sur l’analyse des violations des droits humains commises au Cambodge sous les Khmers rouges.
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Disponible en français via les archives des Nations Unies (souvent accessible en ligne ou dans des bibliothèques universitaires).
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Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) (2003-2018). Documents et jugements des procès des dirigeants khmers rouges.
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Les archives des CETC, partiellement traduites en français, offrent des informations juridiques et historiques sur les procès des responsables khmers rouges.
Illustration : DR
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10 réponses à “Cambodge. Il y a 50 ans, la chute de Phnom Penh : le début du génocide communiste khmer rouge”
Les horreurs communistes ont toujours été plus ou moins pardonnées par nos intellectuels de gauche en Occident. Car tout cela, c’était au nom de l’amour du peuple et du progrès, n’est-ce pas ?
Mon frère »a fait la Guerre d’Indochine » car il était aviateur(il s’était engagé dans l’aviation pour être pilote d’avions à réaction), il m’a raconté que beaucoup de ses camarades sont morts durant cette guerre et que »Nos Gauchistes français » ont favorisé les ennemis de la France (comme ils l’ont fait pour la »Guerre d’Algérie »)en envoyant à notre armée des armes qui n’avaient pas de barillet afin que nos soldats soient sûrs d’être tués par les Vietmins (ces armes étaient fabriquées par des ouvriers français gauchistes)!.. Je pense que nos Gauchistes sont contents, maintenant, de voir que »La Gauche » est maître du terrain en Indochine et que les Indochinois se sauvent de leur pays…
Rentré du Viêt Nam peu avant, sous les horions et coups par les hippies à San Diego, je me souviens très parfaitement bien, en revenant en Europe, les vivas de la gauche extrême et des bobos sociaux démocrates du soutien apporté au « camarade » Pol Pot le « libérateur » des Khmères. Il avait fait ses études en France, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir la Lumière à tous les étages….. A gauche,ils n’ont pas changé sinon d’avoir débordé dans les principes jusque dans la droite molle. Donnez leur le pouvoir et je suppose, avec moults raisons, que certains d’entre nous finiront dans un goulag. Ils n’avaient pas retenu la leçon avec le sinistre Khomeyni…Oui, à gauche, l’histoire repasse toujours les mêmes plats.
A cette occasion il serait bon de rappeler les titres des journaux : LIBERATION: « le drapeau de la résistance flotte sur Phom Pen « ,l’HUMANITE: « La victoire du peuple, » et je me souviens des articles de Mr Jean Lacouture « grande figure engagée très à gauche » qui n’en pouvait plus de glorifier les khmers rouges et qui « dégueulait sur les journaux dits de droite. N’oublions pas , dans le même registre BOUDAREL , universitaire engagé très à gauche, qui fût le tortionnaire de nos prisonniers dans les camps Vietminh mais qui redevint un « bon » professeur de faculté pour dispenser la bonne parole.Un peu d’histoire ne fait pas de mal
Comme l’avait dit je ne sais olus quelle auteur, américain de memoire, il n’y a pas eu de Nuremberg du communisme, et par ce qu’on a na pas fait ce jugement, cette tribune pour mettre en lumière au londe entier toutes les horreurs des dirigeants et mouvements communistes il y aura tjrs des fous et des imbéciles pour êtres communistes. De tout façons quand on connaît l’histoire on sait « QUI », à vu de nez est à l’origine de ses mouvements idéologiques
Stigmatisation, déshumanisation, élimination. Que cela reste à jamais encré dans les têtes frivoles qui nous répètent inlassablement : « si vous pensez être en dictature, allez voir en Corée du Nord »
Ce jour là Le Monde titrait à la Une « Phnom Penh libérée »
C’est peut-être le moment de voir- où revoir- le film sur ce thème:
« La déchirure ».
Rappelons le rôle des usa dans la survenue ds événements.
Ils sont partis en laissant leurs amis et alliés derrière eux…
Komdhab’…
L’horreur vécue dans les années 75,les infos nous parvenaient déjà en dessous de la vérité …plus le Viet Nam.
Ce qu’on n’évoque jamais, c’est que Pol Pot a fait sa formation politique à Paris, au sein du Parti communiste français. Il s’est formé sous l’égide du stalinien Jacques Duclos, mais hélas, ce dernier est mort quelques jours après la « libération » du Cambodge, trop tôt pour pouvoir apprécier l’oeuvre macabre de son brillant élève.