La constitution américaine à l’épreuve du temps

Cet article, que l’auteur nous a autorisé à publier, est tiré du dernier livre de Jean-Luc Baslé « Démocratie inversée en Amérique. »

La démocratie américaine reposait sur un double équilibre : entre les états fédérés et le gouvernement fédéral, d’une part, et les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, d’autre part. Elle reçut son premier choc lors de la Guerre de sécession. En dépit de sa formation d’avocat, Abraham Lincoln fit peu de cas de la constitution quand les circonstances l’exigeaient. La guerre finie, l’état fédéral entama une politique colonialiste qui répondait à une double nécessité née de l’industrialisation : l’accès aux ressources naturelles et à de nouveaux marchés. La politique étrangère devint impérialiste après la Seconde Guerre mondiale, puis hégémonique après l’effondrement de l’Union soviétique. Les politiques coloniale et l’impériale brisèrent l’équilibre entre les états fédérés et le gouvernement fédéral. La politique hégémonique brisa celui existant entre les trois branches au profit de l’exécutif. La démocratie américaine s’est ainsi affaiblie dans une lutte inégale entre l’élite et le peuple pour le contrôle du pouvoir et la distribution des richesses.  

Une naissance légendaire

Selon la légende, les pèlerins du Mayflower en quête de liberté religieuse débarquèrent à Cape Cod dans l’état du Massachussetts en septembre 1620. Cette légende est fausse. Les premiers colons débarquèrent sur la James River en Virginie. Ce sont des aristocrates désargentés en quête d’or. Les pèlerins du Mayflower étaient une minorité, 41 sur 102 passagers. La majorité était, comme leurs prédécesseurs de Virginie, à la recherche d’or. Les passagers du Mayflower signèrent le Mayflower Compact qui déclare que tous ces membres sont égaux en droit. C’est le fondement de la constitution américaine.

Une document d’exception

Le traité de Paris signé en septembre 1783, les treize états unis dans une confédération doivent décider de leur destin. Très vite, il apparait que pour faire face aux défis futurs, une association étroite est souhaitable. Le débat se focalise sur la répartition du pouvoir entre le gouvernement fédéral et les états fédérés. James Madison, Alexander Hamilton et John Jay sont partisans d’un gouvernement fédéral fort, mais limitent son pouvoir en le divisant en trois branches : législative (article I), exécutive (article II) et judiciaire (article III). La section 8 de l’article I est la section fondamentale de ce document en cela qu’elle stipule que seul le sénat a le droit de déclarer la guerre et de ratifier les traités.

La ratification de la constitution par neuf des treize états fédérés en fera la loi suprême de la nation, mais cinq s’y opposent en l’absence d’articles garantissant les libertés fondamentales. Les soldats de George Washington, entendent que les libertés fondamentales pour lesquelles ils sont battus soient respectées. Ils proposent quatorze amendements. James Madison reprend sa plume, et écrit les dix amendement qui constituent la Charte des droits (Bill of rights). Le premier amendement garantit la liberté d’expression et de réunion. Le quatrième interdit au gouvernement de saisir les personnes et les biens sans mandat de perquisition délivré sur la base de motifs raisonnables, le cinquième déclare que « nul ne pourra répondre d’un crime capital ou infamant sans avoir été inculpé ou renvoyé devant les tribunaux… nul ne pourra être contraint de témoigner contre lui-même dans un procès criminel, ni être privé de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière, aucune expropriation dans l’intérêt public ne sera possible sans une juste indemnité. » Sa clarté, son équilibre et sa modération font de la constitution américaine un document d’exception, mais c’est la charte des droits qui la rend chère aux hommes et femmes du monde entier.

Si la constitution peut être considéré comme un modèle du genre, il n’en va pas de même l’organisation de la vie politique. Les deux partis politiques, perçus comme un élément de stabilité, ne correspondent pas aux vœux des électeurs : 29% des Américains se déclarent Républicains, 27% Démocrates, et 38% Indépendants ce qui fait dire au célèbre acteur, Michael Douglas, que le système politique a été détourné de son objectif initial : donner la parole au peuple.[1] [2]

Les Etats-Unis sont-ils toujours une démocratie ?

L’équilibre entre les trois branches du pouvoir fédéral fonctionna raisonnablement bien pendant les cent cinquante premières années de la république. Les choses se gâtèrent après la Seconde Guerre mondiale, quand sous la pression des évènements, mais aussi au nom d’une présidentialisation de la constitution, l’exécutif chercha à se libérer de l’emprise du Congrès.

Au début des années 50, Harry Truman envoya 38.000 Américains à la mort en Corée sans l’accord du Congrès. Kennedy ordonna le blocus de Cuba sans l’accord du Congrès, et Johnson utilisa la Tonkin Gulf Résolution pour étendre une guerre au Vietnam que le Congrès souhaitait limiter. Nixon donna à cette guerre une extension que personne n’avait imaginée. Il bombarda le Laos et le Cambodge sans autorisation, et autorisa la surveillance des opposants à la guerre sur le sol américain en toute illégalité. Entre-temps, Dwight Eisenhower avait défini le concept d’un gouvernement par intérim (« Continuity of government »,) destiné à remplacer le gouvernement officiel en cas de guerre nucléaire. Cette initiative évoluera au cours du temps. Sous Richard Nixon, elle prend corps sous le nom de Federal Emergency Management Agency, ou FEMA.[3] Il ne s’agit plus seulement d’assurer la continuité du gouvernement mais de suspendre la Constitution et d’imposer la loi martiale, si nécessaire.[4]

Les médias

Les médias, décrits comme le quatrième pouvoir aux Etats-Unis, n’exercent plus ou plus guère ce pouvoir de contrôle et d’investigation que leur accorde la Constitution, en raison de leur concentration. Quinze milliardaires détiennent les grands médias américains, et cinq grands groupes médiatiques dont le capital est détenu par des entreprises ou des milliardaires, contrôlent les chaînes de télévision.[5] [6] Ainsi s’instaure une censure de fait. Une enquête de la Chambre des représentants a révélé que Facebook, Google, et Amazon avaient été soumis à des pressions de la part de Joe Biden et de son gouvernement pour censurer certaines informations, en particulier l’article de Seymour Hersh sur le sabotage de Nord Stream II. Mark Zuckerberg, président de Facebook, reconnaîtra les faits devant la commission.[7]

Le 30 septembre 2024, John Kerry, ancien président à la présidence en 2004, a fait cette déclaration au Forum économique mondial qui laisse pantois : « Il est beaucoup question aujourd’hui sur la façon de freiner ces canaux d’information [les réseaux sociaux] afin de garantir une certaine responsabilité dans l’exposition des faits, etc. Notre premier amendement constitue un obstacle majeur à la capacité d’éradiquer ces sources d’information… »  A cette déclaration, il faut opposer le texte de Thomas Jefferson qui écrit à un de ses amis : « si je devais choisir entre un gouvernement sans journaux et des journaux sans gouvernement, je n’hésiterais pas un seul instant, je choisirai les journaux. »

Une démocratie inversée

En 2010, Sheldon Wolin publia un livre intitulé : « Democracy Inc. » dans lequel il déclare : « Les Etats-Unis sont la vitrine d’une démocratie qui en a perdu les attributs… un totalitarisme inversé : un système politique… qui encourage le désengagement politique… s’appuie sur les médias pour répandre une propagande au service du pouvoir… le président est libre d’incarcérer un accusé sans procès, de sanctionner l’usage de la torture tout en rappelant le caractère sacré de la loi… et tout en trompetant la cause de la démocratie dans le monde… » En bref, Sheldon Wolin décrit une nation qui a conservé les attributs d’une démocratie mais qui n’en est plus une. Nous sommes en présence d’une démocratie inversée, aux mains d’oligarques. Les Etats-Unis s’autodétruisent dans leur illusion hégémonique. Le problème, nous dit Alastair Crooke,[8] ne tient pas seulement au fait que les élites « s’accrochent à une idéologie qui est à l’opposé de la façon dont les gens ordinaires perçoivent le monde. » Il tient aussi et plus gravement au fait que cette élite a « une conception technocratique de la politique… fondamentalement nihiliste et dépourvue de considérations morales. »[9]

Jean-Luc Baslé

[1] The crisis of Anglo-American democracy, Jeffrey D. Sachs, July 30, 2019.

[2] US political system has been hijacked, video, December 10, 2012.

[3] FEMA – The Secret Government, 1995.

[4] Continuity of Government: Is the State of Emergency Superseding our Constitution? Peter Dale Scott, Nov. 24, 2010.

[5] These Billionaires Own America’s News Media Companies, Kate Vinton – Forbes – Jun 1, 2016.

[6] Over 90% of the news you see on television is owned and controlled by just 5 giant corporations, June 8, 2021.

[7] Weaponization Committee Exposes the Biden White House Censorship regime in New Report, May 2024.

[8] Alastair Warren Crooke est un ancien diplomate britannique et ancien agent du MI6. Il est le fondateur et directeur du Forum des conflits.

[9] Perfidy in Tehran, October 7, 2024.

Crédit photo : DR
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