La Doctrine invisible : un dernier baroud d’honneur pour une gauche déconfite

La gauche intellectuelle, accablée par ses échecs successifs et son impuissance face à la nouvelle donne mondiale, a toujours su trouver refuge dans les grandes fresques dénonciatrices. George Monbiot et Peter Hutchison livrent, avec

La Doctrine invisible, un réquisitoire en bonne et due forme contre le néolibéralisme, ce monstre tentaculaire responsable, selon eux, de tous les maux de la modernité.

À la lecture de cet ouvrage, une impression domine : celle d’un monde apocalyptique, où tout n’est que misère, ruine et désespoir. L’ouvrage se complaît dans une description funèbre du présent, où pauvreté endémique, dépression généralisée, dérégulation sauvage et catastrophes écologiques s’abattent sur les peuples sans défense. Ce catastrophisme outrancier, qui a pour unique fonction de renforcer les certitudes idéologiques d’un lectorat déjà acquis à la cause, n’est en rien un raisonnement. C’est une litanie.

Monbiot et Hutchison confondent critique et amalgame. Ils accablent le néolibéralisme en lui attribuant tous les fléaux contemporains, comme si l’histoire récente n’était qu’un long cauchemar mis en scène par l’école de Chicago. Cette approche simpliste revient à dénoncer « la maladie » sans chercher à en comprendre les symptômes ni à différencier les pathologies. Rien n’est disséqué, rien n’est comparé, tout est jeté en bloc dans le grand fourre-tout du « capitalisme prédateur ».

Certes, il est vrai que le néolibéralisme tend à voir l’homme comme un consommateur avant d’en faire un citoyen, mais n’est-ce pas la vision inhérente à tout libéralisme, et non sa seule expression contemporaine ?

Pourtant, eux-mêmes tombent dans un piège symétrique : ils fantasment un humain standard, sans racines, sans foi, sans genre. Un paysan du Nordeste brésilien ne bosse pas comme un citadin de Porto Alegre ; un musulman ne voit pas le progrès comme un chrétien ; une femme, souvent, fait preuve de plus d’empathie qu’un homme. Ces nuances, évidentes pour qui observe le monde, leur passent au-dessus de la tête, englués qu’ils sont dans leur universalisme béat

De la même manière, il est aisé d’accuser le néolibéralisme d’avoir creusé les inégalités, mais encore faut-il être rigoureux dans l’examen des faits. Or, l’appauvrissement relatif de l’Europe n’est pas tant dû au marché dérégulé qu’à une immigration massive et incontrôlée, qui pèse sur les finances publiques et fracture les sociétés. L’accusation portée contre le néolibéralisme comme grand destructeur de l’environnement relève de la même facilité : ce sont précisément dans les pays les plus libéraux que l’on trouve les politiques écologiques les plus avancées et les protections les plus strictes.

Le livre regorge d’anachronismes et de raccourcis. Lorsqu’ils décrivent le Moyen Âge comme une ère d’oppression extraordinaire, ils oublient que cette perception est purement moderne et qu’un paysan du XIIe siècle ne se pensait pas opprimé. Lorsqu’ils dénoncent la violence intrinsèque du capitalisme, ils omettent de rappeler que toute société repose sur des rapports de force, y compris celles que la gauche vénère : le communisme ne fut-il pas une machine à broyer les peuples ?

Autre obsession : l’idée que le capitalisme est fondé sur le pillage colonial. Un dogme que les auteurs répètent comme un article de foi, sans jamais questionner son bien-fondé. À les lire, on croirait que les puissances européennes n’ont prospéré qu’en vampirisant le tiers-monde, oubliant au passage que des pays sans empire colonial, comme l’Allemagne ou la Suisse, se sont imposés comme des puissances économiques majeures. L’exemple de l’île de Madère, citée pour illustrer l’épuisement des ressources naturelles au profit du capital, aurait pu être enrichi par des exemples français, comme celui des mines d’argent de Melle, exploitées depuis l’époque carolingienne. Là aussi, on a taillé dans le bois jusqu’à ce que ça ne rapporte plus. Mais cette leçon n’est pas propre au capitalisme : toute société, qu’elle soit médiévale ou moderne, presse le citron tant qu’il y a du jus. Mais la lecture des auteurs semble s’arrêter aux sources anglophones et aux sempiternelles jérémiades postcoloniales des universitaires nord-américains.

L’ouvrage s’acharne à vouloir prouver que l’impérialisme occidental est la matrice du capitalisme, mais passe sous silence une réalité pourtant évidente : les empires coloniaux, dans leur ensemble, coûtèrent bien plus qu’ils ne rapportèrent. C’est cette vérité comptable, entre autres, qui explique la facilité des décolonisations européennes. Les auteurs évoquent aussi les milliards de dollars « volés » aux pays pauvres par l’évasion fiscale et le jeu des multinationales, mais ces chiffres, répétés comme des mantras, sont rarement fondés sur des études sérieuses.

D’autres assertions frisent le délire complotiste. La doctrine néolibérale, disent-ils, a transformé le monde en un champ de ruines, un théâtre de guerre économique où seuls les plus riches prospèrent. Pour appuyer cette thèse, ils sélectionnent leurs exemples avec la plus grande mauvaise foi, citant les dérégulations ferroviaires américaines ou les égouts britanniques en perdition, mais omettant soigneusement le transport aérien, où la concurrence accrue a démocratisé l’accès aux vols et relevé les standards de sécurité. Ils dénoncent les procédures intentées par des multinationales ou des investisseurs contre des États, mais oublient de préciser que ces poursuites sont souvent le résultat de mesures prises par des gouvernements expropriateurs et corrompus, comme ce fut le cas avec la nationalisation de YPF en Argentine sous le régime kirchnériste.

Ce qui transpire surtout de leur diatribe, c’est une incompréhension totale de la nature humaine. Les auteurs croient en une société idéale, où la redistribution fonctionnerait comme un rouage parfait, où chacun se soumettrait volontiers à l’impôt, où les aides publiques nourriraient une solidarité universelle. Mais ils feignent d’ignorer que ce modèle ne fonctionne que dans des sociétés homogènes, où le sens du bien commun est partagé. Or, le monde qu’ils défendent est précisément celui qui a détruit ces structures, en fragmentant les peuples par l’immigration massive et en érigeant des minorités revanchardes en figures dominantes du débat public.

Les auteurs s’offusquent de la montée des démagogues, mais ne questionnent jamais l’échec de la gauche à proposer un projet crédible. Ils veulent un nouveau récit progressiste, mais ce récit est devenu obsolète, car les peuples européens ne croient plus aux chimères universalistes.

Ce livre est, au fond, le chant du cygne d’une idéologie moribonde. Monbiot et Hutchison croient rédiger un manifeste de combat, mais ils signent en réalité l’élégie funèbre du progressisme anglo-saxon. Leur œuvre ne convaincra que ceux qui en sont déjà persuadés : les journalistes du Guardian et de Libération, quelques universitaires engoncés dans leurs fantasmes égalitaristes, et les éternels orphelins d’une gauche qui a perdu le peuple en chemin.

Requiescat in pace.

Par Balbino Katz, à Porto Alegre (Brésil)

Crédit photo : DR
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Une réponse à “La Doctrine invisible : un dernier baroud d’honneur pour une gauche déconfite”

  1. gautier dit :

    Un nouveau paradigme souvent, mais les gauchos surtout en Bretagne, restent en place ! manque d’ouverture d’esprit !

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