Lors du micro-sommet réunissant le 24 octobre à la Maison-Blanche les présidents français et étatsunien qu’on voyait se taper mutuellement sur les cuisses, tout semblait baigner si bien dans l’huile qu’à peine de retour, Emmanuel Macron s’empressa d’informer ses partenaires européens que — en grande partie grâce à lui — on avait assisté à « un tournant » dans les relations transatlantiques, prouvant qu’un « chemin commun » était possible, notamment en ce qui concerne l’aide à l’Ukraine que notre président pensait avoir grandement servie en poussant on homologue à recevoir Volodymir Zelinsky à la Maison-Blanche.
Trump, parangon de l’“ugly American”
Ce qui fut fait le 28 février, mais très loin des attentes élyséennes. Visiblement exaspéré de voir l’Ukrainien se présenter quasiment en tenue de combat à l’instar d’un Fidel Castro ou d’un Hugo Chavez toujours sanglés dans leur uniforme pour manifester leur détermination à en découdre, Trump traita Zelinsky d’ingrat n’ayant « aucun respect pour les Etats-Unis », lui reprocha d’avoir tout fait pour provoquer une réaction armée de Moscou et finalement le mit à la porte après avoir annulé le déjeuner censé clôturer la réunion. Ce qui suscita un tremblement de terre sur la scène internationale et l’indignation générale.
En partie justifiée d’ailleurs : comme avant lui le guérillero Hachim Thaçi, chef de l’Armée de libération du Kosovo qui, par ses agressions contre les Serbes du Kosovo, déclencha la réaction armée de Belgrade et, en retour, l’intervention de l’OTAN, laquelle attaqua et bombarda lourdement la Serbie au printemps 1999, Zelinsky est peut-être un patriote mais surtout une marionnette de Washington, qui ne cessa jusqu’en 2022 d’encourager ses provocations antirusses.
La réaction européenne a été cette fois d’autant plus vive que, le 26 février, Donald Trump avait déclaré tout net devant la presse : « L’UE a été conçue pour emmerder les Etats-Unis. C’était l’objectif et ils y sont parvenus. Mais désormais je suis le président… Nous sommes la corne d’abondance, ce que tout le monde veut et ils [les membres de l’UE] peuvent tenter des représailles, mais ça ne marchera pas… Il suffit que nous n’achetions plus rien, et si c’est ce qui se produit, nous gagnons. »
Le président états-unien a-t-il employé le verbe emmerder ou plutôt le verbe entuber, selon les traductions du lendemain ? En Donald dans le texte, il a utilisé le verbe to screw, qui signifie visser mais aussi, comme le dérivé screwdriver (tournevis) l’indique, baiser ou niquer, pour parler beur. Foin de toute sémantique, l’idée est la même
Un déficit commercial très relatif
Mais elle est fausse. L’UE, et l’on s’en aperçoit chaque jour un peu plus, n’a pas été conçue pour torpiller l’économie américaine mais bien au contraire la favoriser, quoi qu’ait soutenu Trump sur le déficit commercial des Etats-Unis en brandissant le même 26 février la menace de droits de douane à 25% pour les produits exportés par l’UE car, selon lui, le déficit atteindrait 300 milliards de dollars au profit des Vingt-sept. En réalité, ce déficit n’excéderait pas 157 milliards à peine, et tomberait même à 50 milliards compte tenu de l’excédent commercial américain dans les services fournis par les fameuses GAFAm dont nous sommes si dépendants depuis l’explosion de l’internet. Sans oublier que vient de « l’ancien monde » plus de la moitié des 67 millions de touristes ayant visité en 2023 les States, où ils ont dépensé cette année-là 213 milliards de dollars.
Sans oublier non plus, en ce qui concerne la seule France, la manne apportée à Hollywood par l’accord Blum-Byrnes du 28 mai 1946 rouvrant tout grand les portes de nos cinémas aux films américains qui s’y taillent la part du lion, avec 120 films sur les 180 diffusés depuis bon an mal an. Signataires côté français de cet accord, à la faveur duquel le soft power américain continue de jouer à plein en imposant ses valeurs souvent délétères aujourd’hui véhiculées de surcroît par les séries sorties des studios Disney, Netflix, Amazon et consorts : le socialiste Léon Blum, ancien chef du Front Populaire revenu du camp de concentration de Buchenwald (où il avait eu le privilège insigne d’occuper une maison particulière et d’épouser sa troisième femme, Jeanne Levylier, qui l’y avait rejoint avec une autorisation spéciale de Pierre Laval) et alors chef de notre délégation à la conférence constitutive de l’Unesco, ainsi que Jean Monnet, commissaire général au Plan.
Jean Monnet, non pas “père” mais fossoyeur de l’Europe
Or, qui est Jean Monnet (1888-1979) ? Panthéonisé le 9 novembre 1988 par la grâce de François Mitterrand, ce « père fondateur de l’Europe » fut surtout un idéologue et un serviteur du globalisme d’origine anglo-saxonne, comme l’a démontré avec rigueur son biographe Bruno Riondel dans un ouvrage que nul n’a pu démentir tant les témoignages cités étaient accablants.
Certes, Monnet fut très tôt un idéologue de la construction européenne. Mais était-ce par conviction ou par adhésion – intéressée – au mondialisme ?
C’est pendant la Première Guerre mondiale et à l’ombre de la City de Londres où il fréquente assidument la Fabian Society universaliste et surtout la banque Lazard que le jeune Monnet, fils d’un négociant en cognac charentais et qui avait réussi à se faire réformer, fait ses premières armes. En 1919, âgé de 27 ans à peine, il parvient à se faire bombarder par Clemenceau — dont l’épouse est américaine — numéro deux de la naissante Société des Nations initiée par Woodrow Wilson, président démocrate des Etats-Unis. Mais cela ne lui suffit pas. Traversant l’Atlantique, celui qui passait jusqu’alors pour un agent du Foreign Office britannique parvient, par l’entremise de la banque Lazard à forcer les portes de la Maison-Blanche et celles du tout-puissant Council of Foreign Relations.
Un Conseil créé et dirigé par le magnat du pétrole John Rockefeller et dont le but, selon le représentant américain Lawrence Patton McDonald (cousin du général Patton et disparu comme ce dernier dans un étrange « accident », de jeep pour l’un, d’avion pour l’autre), était « de créer un gouvernement mondial unique combinant le communisme et le supercapitalisme sous la même bannière et sous leur contrôle ». Une obsession décidément dans cette famille puisque, questionné sur le cout humain de la révolution culturelle lancée par Mao Tsé-Toung, Nelson Rockefeller, alors gouverneur (républicain !) de l’État de New York et futur vice-président des Etats-Unis, devait affirmer en 1968 : « Peu importe le prix de la révolution chinoise… L’expérience menée en Chine sous la direction du président Mao est l’une des plus importantes et des plus réussies de l’histoire humaine* »
On peut déplorer à bon droit le cynisme de Trump, qui le conduit à pactiser avec Poutine dans l’espoir de contrer les ambitions économiques et géopolitiques de Pékin et à se désintéresser de l’Ukraine — où il ne voit qu’une simple réserve de métaux stratégiques —, à charge pour les Européens de se charger du fardeau de la poursuite éventuelle de la guerre. Ce qui les ruinera encore plus et portera un coup fatal à leur agriculture. Mais on conviendra qu’il a été à bonne école.
D’ailleurs, devenu grâce à ses prestigieux protecteurs fondateur et coprésident de la Bancamerica sise à San Francisco, Monnet lui-même n’était pas hostile à l’Union soviétique, que tous ses amis banquiers et financiers, en commençant par les Warburg et les Hammer, avaient puissamment aidée de leurs subsides.
Détruire les « nations souveraines » au mépris des peuples
« Dans l’Europe moderne, il n’y a pas de place pour les États ethniques uniformes ; ceci est une idée du XIXe siècle pendant que nous faisons tout notre possible pour passer au XXIe et nous le ferons en créant les États multinationaux », déclarait en 2000 le général américain Wesley Kanne Clark, « héros » l’année précédente de la guerre contre la Serbie. Mais Jean Monnet n’avait pas dit autre chose dans ses Mémoires (éd. Fayard, ) où il prédit :« La Communauté [européenne] que nous avons créée n’a pas de fin en elle-même. Elle est un processus de transformation qui continue celui dont nos formes de vie nationales sont issues au cours d’une phase antérieure de l’histoire… Les nations souveraines du passé ne sont plus le cadre où peuvent se résoudre les problèmes du présent. Et la Communauté elle-même n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain.* »Un monde soumis, espère-t-il, à une « véritable autorité politique », « mi-technocratique, mi-capitalistique ».
Celle que nous subissons aujourd’hui et qui était très exactement l’objectif du clan Rockefeller. Que l’on ne s’étonne donc pas si, en avril 2017, l’accession de Macron au second tour de la présidentielle fut saluée par l’agence boursière new-yorkaise Bloomberg, incarnation de la finance anonyme et vagabonde, comme « le scénario parfait dont le Marché rêvait désespérément ». A ceci près que l’ex-grand argentier de François Hollande était l’ancien employé et l’obligé de Rothschild quand son modèle Jean Monnet, « mélange de gangster et de conspirateur » selon le diplomate et ancien ambassadeur britannique en France Oliver Harvey, était à la solde de Lazard.
Pour le reste, les deux hommes ont été soutenus et poussés, pour citer encore Bruno Riondel, par « des minorités d’hommes munis d’un grand pouvoir, unis par un idéal internationaliste que des appartenances à des think tanks et des initiations diverses rassemblent, et que de prestigieuses promotions récompensent, décid[a]nt, dans l’ombre des cénacles qu’ils fréquentent, de l’avenir des peuples au mépris de ceux-ci et de la démocratie ». Et l’historien d’e conclure qu’un « tel avenir est celui qui découle d’un projet historique révolutionnaire déroulé sur le long terme intergénérationnel, celui d’un nouvel ordre mondial qui pourrait se révéler être, à terme, l’ordre impérialiste d’une nouvelle Rome oligarchique et anglo-saxonne ».
Indispensable devoir de mémoire, mais dans les deux sens
Sans doute devons-nous gratitude aux légionnaires de cette nouvelle Rome qui par deux fois ont libéré la France après avoir toutefois pris leur temps, n’intervenant qu’en 1917, après la sanglante bataille de Verdun qui changea le cours de la Grande Guerre, puis en juin 1944 alors que l’Armée rouge avait neutralisé à l’est le meilleur des troupes de la Wehrmacht.Quant à la reconstruction de l’Europe grâce au Plan Marshall, en effet généreux, il s’agissait d’un investissement financier à long terme, et qui s’est en effet révélé rentable.
En revanche, on se souvient aussi qu’en 1956, l’expédition de Suez, lancée par un corps expéditionnaire franco-britannique après la nationalisation par le raïs égyptien Nasser du canal de Suez vital pour le commerce du Royaume-Uni comme de la France, fut torpillée par la Maison-Blanche, alors occupée par le général Dwight Eisenhower. Et que, quelques mois plus tard, ce dernier ne leva pas le petit doigt pour empêcher l’URSS de réprimer avec une férocité inouïe l’insurrection de Budapest. Ce qui permit à l’Union soviétique d’occuper l’Europe pendant encore plus de trente ans.
De même la Maison-Blanche (en pleine tourmente Nixon, il est vrai) s’abstint-elle de réagir à « l’Opération Attila » menée en juillet 1974 par l’armée turque qui, puissamment armée par les Etats-Unis, s’empara en juillet 1974 du tiers nord de Chypre, riche en gisements de pétrole offshore et qu’elle occupe toujours, après en avoir expulsé les Grecs et l’avoir repeuplé de colons anatoliens. Mais l’envahisseur peut tout se permettre, étant un pilier de l’OTAN.
Certes, le devoir de mémoire s’impose. Mais dans les deux sens. Certes encore, Donald Trump peut être un excellent président pour les Etats-Unis en procédant à des réformes dont nous pourrions utilement nous inspirer. Nul ne peut ignorer pourtant que, depuis la révolution américaine de 1776, tout bon président étatsunien est par vocation et nécessité un adversaire de la « vieille Europe ».
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B. Riondel, Cet étrange Monsieur Monnet, éditions du Toucan/L’Artilleur, 2017.
*Souligné par nous
Camille Galic
Crédit photo : DR
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