Dans l’histoire des conflits religieux et culturels en Irlande et en Écosse, un épisode méconnu mérite d’être revisité : la tentative d’implantation du protestantisme au sein de la culture gaélique à travers la traduction et la diffusion de textes religieux en langue irlandaise. L’étude de Marc Caball, Gaelic and Protestant: a case study in early modern self-fashioning, 1567–1608, met en lumière les efforts de certains réformateurs pour concilier la culture gaélique et la doctrine protestante. Une ambition qui n’a pas été sans heurts.
Un projet religieux et politique
Entre 1567 et 1608, quatre traductions majeures de textes liturgiques et bibliques ont été publiées en gaélique, traduisant la volonté des réformateurs de s’adresser aux populations locales dans leur propre langue. Cette initiative, qui semble en apparence respectueuse de la culture gaélique, était en réalité une entreprise de domination idéologique, visant à imposer le protestantisme sur des terres encore largement catholiques.
À cette époque, la Réforme en Angleterre avait consolidé l’anglicanisme comme religion d’État, et la conversion des peuples celtiques apparaissait comme un impératif stratégique. Le pouvoir anglais espérait ainsi pacifier des territoires perçus comme des foyers de résistance. En témoigne l’implication directe de la couronne dans le financement de ces traductions, notamment sous le règne d’Élisabeth Iʳᵉ.
Des traductions pour mieux imposer l’ordre anglais
Le premier ouvrage imprimé en irlandais fut Foirm na n-urrnuidheadh (1567), une traduction du Book of Common Order calviniste, réalisée par John Carswell en Écosse. Cette publication, bien que rédigée en langue gaélique, servait un projet politique clair : imposer le calvinisme dans les Highlands et dans les îles occidentales écossaises. Ce travail ne visait pas seulement à convertir les populations locales, mais aussi à leur inculquer un mode de pensée conforme aux principes de la Réforme.
Quelques années plus tard, en 1571, une autre étape fut franchie avec la publication en Irlande de Aibidil Gaoidheilge & Caiticiosma, un catéchisme protestant rédigé par Seán Ó Cearnaigh. Contrairement à Carswell, Ó Cearnaigh s’efforça d’adopter un ton plus conciliant avec les érudits gaéliques, affirmant que l’usage de la langue irlandaise dans les textes religieux était une nécessité pour préserver l’identité du peuple. Pourtant, cette tentative de séduction ne fit pas illusion : pour beaucoup, elle apparaissait comme une entreprise de récupération de la culture gaélique au service d’un pouvoir hostile.
Un combat perdu d’avance ?
Malgré ces efforts de traductions et de publications, le protestantisme ne parvint jamais à s’imposer dans les communautés gaéliques d’Irlande. À l’exception de quelques élites ralliées à la couronne anglaise, la majorité du peuple continua à rejeter ces tentatives d’assimilation culturelle et religieuse. L’usage du gaélique dans des textes protestants fut même perçu comme une forme de trahison, dans la mesure où il servait un projet impérial anglo-saxon.
Paradoxalement, c’est grâce aux missionnaires catholiques, notamment les franciscains, que la langue irlandaise a été réellement préservée à travers la publication de textes religieux. Le gaélique resta donc profondément associé au catholicisme, tandis que l’anglais devint la langue des institutions et du pouvoir anglican.
L’histoire de ces traductions protestantes en irlandais illustre parfaitement la tension entre préservation culturelle et assimilation impériale. Aujourd’hui encore, la langue gaélique demeure un symbole identitaire en Irlande et en Écosse, défendu par ceux qui refusent la standardisation culturelle imposée par la modernité. Si le protestantisme n’a jamais réussi à convertir massivement les Gaëls, il a cependant contribué, bien malgré lui, à prouver que toute tentative de domination par la langue et la religion finit par se heurter à l’attachement des peuples à leurs racines.
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