Pedro Uría Recio, expert en IA : « L’intelligence artificielle va remodeler le pouvoir mondial, et l’Europe est à la traîne »

L’intelligence artificielle n’est plus seulement une promesse d’avenir ; c’est une réalité qui transforme l’économie, la politique et la sécurité mondiale. Les gouvernements et les entreprises technologiques sont engagés dans une course effrénée au développement, conscients que celui qui mènera cette révolution dominera la prochaine ère numérique. Avec des milliards d’investissements en jeu et des avancées sans précédent, des dilemmes éthiques et politiques émergent quant à la portée de l’IA et à la capacité de l’Europe à rivaliser avec les États-Unis et la Chine dans son développement et son exploitation.

Pour mieux comprendre ce paysage complexe, nos confrères de The European Conservative ont rencontré Pedro Uría Recio, ancien dirigeant de McKinsey, expert en intelligence artificielle financière et auteur de How AI Will Shape Our Future. Traduction par nos soins.

Pour commencer, expliquez-nous les bases : qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?

Pedro Uría Recio : L’intelligence artificielle est un ensemble d’algorithmes qui exécutent des fonctions traditionnellement associées à l’esprit humain, telles que le langage, la reconnaissance d’objets, la planification et la prise de décision. Elle repose sur des modèles complexes qui nécessitent de grandes quantités de données et une puissance de calcul importante pour fonctionner efficacement.

Ces derniers temps, nous avons assisté à une croissance exponentielle dans ce domaine. Quelles avancées ont entraîné cette accélération ?

Pedro Uría Recio : Bien que l’intelligence artificielle se développe depuis des décennies, son essor récent est dû aux améliorations des réseaux de neurones et à l’augmentation de la puissance de traitement. Des entreprises comme OpenAI et Google ont développé des modèles de plus en plus avancés, permettant des applications pratiques dans divers secteurs. Cependant, ces progrès ont nécessité des investissements massifs dans les centres de données et le matériel spécialisé.

Que pensez-vous de la réalisation d’une intelligence artificielle générale similaire à l’intelligence humaine ?

Pedro Uría Recio : C’est un objectif ambitieux. Depuis les années 1970, des prédictions ont été faites quant à son arrivée, mais nous sommes encore loin de l’atteindre. Bien qu’il y ait eu des avancées significatives dans l’intelligence artificielle spécifique, nous ne disposons pas encore de systèmes capables d’égaler la flexibilité et la compréhension humaines dans de multiples tâches.

Parlons des risques. Quelles sont les principales préoccupations concernant l’intelligence artificielle ?

Pedro Uría Recio : L’un des risques les plus importants est le manque de contrôle sur ces systèmes. Si une superintelligence développe des objectifs différents de ceux des humains, cela pourrait avoir des conséquences inattendues. Les autres problèmes sont les biais politiques et la manipulation de l’information. De nombreuses entreprises à la pointe du développement de l’IA ont des intérêts particuliers qui peuvent influencer les réponses et les décisions de ces systèmes.

Vous avez mentionné les biais dans l’IA. Quel impact cela a-t-il sur la politique et la société ?

Pedro Uría Recio : C’est une question délicate. De nombreuses plateformes d’intelligence artificielle s’alignent sur certains discours idéologiques et peuvent censurer ou promouvoir des contenus en fonction de leurs intérêts. Cela a été évident dans la modération des médias sociaux et la manière dont des sujets spécifiques sont présentés. Avec l’élection de Trump, par exemple, il y a eu un changement dans la façon dont la désinformation et le contrôle de l’IA sont discutés.

À l’échelle mondiale, comment voyez-vous la concurrence entre les pays dans le développement de l’IA ?

Pedro Uría Recio : Les États-Unis, la Chine et l’Europe sont engagés dans une course technologique. La Chine, par exemple, a restreint l’accès de ses citoyens aux modèles occidentaux tels que ChatGPT, mais est en tête dans les applications commerciales et militaires. Les États-Unis ont annoncé un investissement de 500 milliards de dollars dans l’IA, soulignant l’importance stratégique du secteur. En revanche, l’Europe a opté pour une réglementation stricte, ce qui pourrait ralentir le développement et entraver la compétitivité de ses entreprises technologiques.

La semaine dernière, Ursula von der Leyen a annoncé un investissement de 200 milliards d’euros dans l’intelligence artificielle lors du Sommet de l’IA à Paris. Comment évaluez-vous cette décision ?

Pedro Uría Recio : Cet investissement s’ajoute aux 109 milliards d’euros annoncés par Macron. Bien qu’il s’agisse d’une mesure positive, l’UE a pris du retard, surtout après sa loi restrictive sur l’IA et l’investissement de 500 milliards de dollars de Trump aux États-Unis.

Le vice-président américain, JD Vance, a clairement indiqué lors du sommet que son pays mènera le développement de l’IA avec une réglementation minimale, en éliminant les préjugés idéologiques et en se concentrant sur la création d’emplois. La réglementation ne sera mise en œuvre que si l’IA a un impact négatif sur le marché du travail.

Alors que l’Américain s’exprimait avec clarté et confiance, le président de la Commission européenne a prononcé un discours bureaucratique justifiant la position de l’Europe.

L’Europe concentrera ses investissements sur des secteurs industriels tels que la fabrication, les transports et l’exploitation minière, un créneau que les États-Unis ne privilégient pas mais que la Chine explore déjà. Si ces investissements prévus dans l’IA constituent un pas en avant, l’UE n’a toujours pas de plan clair. Le sommet a montré un consensus croissant sur la réduction de la réglementation, avec la possibilité de modifier, voire d’éliminer la loi sur l’IA avant sa mise en œuvre.

La Chine a récemment lancé DeepSeek. Est-ce un concurrent de ChatGPT ?

Pedro Uría Recio : DeepSeek R1 est un modèle de raisonnement aussi avancé que celui d’OpenAI, mais nettement moins cher. Alors que la formation d’OpenAI O1 a coûté jusqu’à 150 millions de dollars, la Chine affirme avoir développé son modèle pour seulement 6 millions de dollars. Son faible coût et son efficacité ont alarmé l’industrie américaine.

L’impact immédiat a été une chute des actions d’entreprises comme Nvidia, bien qu’elles se soient rapidement redressées. DeepSeek R1 permettra de réduire les coûts, de favoriser la concurrence et d’accélérer l’innovation en matière d’IA.

Trump a 90 jours pour présenter son plan en matière d’IA, ce qui pourrait restreindre la collaboration entre les scientifiques chinois et américains. Cela affecterait les projets open source, qui sont cruciaux pour le développement sûr de l’IA.

Avec autant d’implications, quel rôle l’IA jouera-t-elle dans l’avenir de l’emploi ?

Pedro Uría Recio : À court terme, l’IA créera plus d’emplois qu’elle n’en détruira, comme pour d’autres révolutions technologiques. Cependant, si l’automatisation progresse trop rapidement, de nombreuses personnes pourraient être déplacées sans pouvoir passer à de nouvelles professions. Il est également question d’un revenu de base universel pour atténuer ces effets, mais cette mesure comporte des risques, tels que la dépendance des citoyens à l’égard de l’État.

Vous avez mentionné le revenu de base universel. Certains gouvernements testent déjà l’idée. Quel est votre avis à ce sujet ?

Pedro Uría Recio : Le revenu de base universel est une proposition récurrente, en particulier chez les politiciens et les leaders technologiques comme Elon Musk et Sam Altman. C’est une solution à l’IA qui pourrait potentiellement remplacer les emplois humains, laissant la plupart des gens au chômage. L’idée est que l’IA générera suffisamment de richesses pour financer un revenu universel, permettant aux individus de se concentrer sur leurs activités personnelles sans se soucier de leur survie.

Cependant, cela soulève de nombreuses questions. L’IA peut-elle vraiment remplacer tous les emplois humains ? En outre, ce modèle ressemble au communisme, qui a historiquement échoué en raison de l’élimination des incitations et de la réduction de la productivité. Les impacts sur la stabilité géopolitique et sociale sont également incertains, car une transformation aussi drastique de l’emploi pourrait entraîner des troubles.

Une question importante est de savoir comment financer ce revenu. La plupart des recettes publiques proviennent des impôts sur le travail. Si l’emploi disparaît, la fiscalité retombera sur les grandes entreprises, ce qui concentrera davantage le pouvoir économique. Les entreprises les plus riches généreraient toute la richesse et décideraient qui reçoit de l’argent et dans quelles conditions, contrôlant ainsi des millions de vies.

Enfin, quels conseils donneriez-vous à ceux qui se préparent à un marché du travail dominé par l’IA ?

Pedro Uría Recio : Il y a trois compétences clés : la pensée critique, l’adaptabilité et l’esprit d’entreprise. Il est essentiel d’analyser les informations de manière indépendante, d’être prêt à acquérir constamment de nouvelles compétences et de rechercher des opportunités entrepreneuriales. La créativité et l’innovation seront vitales dans un avenir où nous serons en concurrence avec les machines

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches rédigée par la rédaction de breizh-info.com, parfois avec l’aide d’une Intelligence artificielle (correction, mise en forme). Dépêche libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

Une réponse à “Pedro Uría Recio, expert en IA : « L’intelligence artificielle va remodeler le pouvoir mondial, et l’Europe est à la traîne »”

  1. Pschitt dit :

    Il serait bon de rappeler que l’intelligence artificielle a connu une première mode durant les années 1980, avec même deux « pionniers » français, Cognitech et Framentec sur lesquels pleuvaient les contrats venant d’organismes publics et de très grandes entreprises, notamment financières. Les futurologues s’en donnaient à coeur joie comme aujourd’hui. L’aventure a fini en eau de boudin et le fondateur de Cognitech a changé d’orientation pour devenir… romancier.
    Pedro Uría Recio, a lui aussi des prédécesseurs : plusieurs penseurs de McKinsey ont écrit des livres sur l’IA à l’époque, en particulier John Hagel III et Marc Singer. Des ouvrages carrés, documentés, mais dont les prédictions ne se sont réalisées que très partiellement.
    L’IA d’aujourd’hui bénéficie de capacités de calcul et de mémorisation bien supérieures, et surtout elle prétend apposer son étiquette sur presque tous les développements informatiques dès qu’ils contiennent du « big data ». Dans les perspectives de l’IA, il faudrait s’attacher à faire un tri entre ce qui est envisageable (qui est déjà énorme) et ce qui relève de la science-fiction.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Sociétal

L’intelligence artificielle nuit-elle à la pensée critique ? Une étude de Carnegie Mellon et Microsoft tire la sonnette d’alarme

Découvrir l'article

Economie, Technologies

Sommet de Paris sur l’IA : J.D. Vance défend une intelligence artificielle au service des travailleurs américains et met en garde l’Europe contre la censure

Découvrir l'article

Sociétal

L’intelligence artificielle en France : adoption, usages et inquiétudes

Découvrir l'article

International, Sociétal

Terreur woke. Au tour de Google d’abandonner les politiques de diversité forcée

Découvrir l'article

International

Ursula von der Leyen, impératrice de l’UE : vers une diplomatie bruxelloise hors de contrôle ?

Découvrir l'article

Economie, International

Triades chinoises : Un reportage dévoile les coulisses d’un empire criminel tentaculaire

Découvrir l'article

Politique

Immigration. L’Union européenne prépare une réforme radicale du droit d’asile

Découvrir l'article

A La Une, Economie

L’économie européenne à l’arrêt : l’Allemagne en crise, la zone euro en stagnation

Découvrir l'article

International

L’Union européenne prépare un 16e paquet de sanctions contre la Russie : une menace pour la souveraineté des États membres ?

Découvrir l'article

Sociétal

L’intelligence artificielle : un allié de poids pour la lutte contre la criminalité, mais à quel prix ?

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky