L’Argentine de Milei : quand la proximité avec le pouvoir devient un argument de vente

L’Argentine, ce pays tourmenté par une économie en perpétuelle crise et une politique où l’opportunisme se confond avec la gestion des affaires publiques, assiste à un spectacle aussi grotesque qu’édifiant.Mauricio Novelli, jeune entrepreneur et trader argentin de 29 ans, a fait de sa proximité avec le présidentJavier Mileiun atout commercial, au point demonnayer l’accès au chef de l’Étatet d’organiser des événements où le libertarien argentin servait de caution à des opérations lucratives.

L’enquête menée parCamila Dolabjianpour le quotidienLa Nacionjette une lumière crue sur ce petit monde où se mêlent business douteux, séduction des investisseurs naïfs et utilisation opportuniste du pouvoir politique. Le dernier scandale en date, celui de la cryptomonnaie$LIBRA, a révélé à quel point certains acteurs gravitent autour de Milei non seulement pour des gains financiers mais aussi pour asseoir leur influence dans les cercles du pouvoir.

Quand la présidence devient un argument marketing

À Buenos Aires, les écoles de trading fleurissent comme les champignons après la pluie, promettant richesse et indépendance financière à ceux qui suivent leurs coûteux enseignements. Parmi elles,NW Professionals, fondée par Novelli, ne déroge pas à la règle. L’entreprise proposeun programme de formation en cryptomonnaies au prix de 138 dollars, dans lequel figure, parmi les arguments de vente,une « classe exclusive avec Javier Milei ». Ainsi, l’homme qui préside aux destinées de la nation n’est plus seulement un dirigeant, maisune icône monnayable, un produit commercialisable, un « bonus » offert aux clients en quête de légitimité financière.

Cette exploitation de l’image présidentielle ne s’arrête pas là.Novelli et son entourage ont utilisé la proximité avec Milei comme un levier de négociation et un argument de crédibilité auprès d’investisseurs et d’entreprises souhaitant s’implanter en Argentine. Les échanges obtenus parLa Nacionrévèlentdes discussions sur des paiements en échange de rencontres et de mises en relation avec des décideurs gouvernementaux.

Tech Forum, un événement destiné aux acteurs du numérique et des cryptomonnaies, en est une parfaite illustration. Prévu pour avril prochain, il affiche untarif d’entrée allant de 6 000 à 50 000 dollars, bien au-delà des standards du secteur. La promesse ?Un accès privilégié à Milei et à son cercle rapproché. L’attrait de ce genre de rencontres ne repose pas tant sur la qualité des intervenants que sur l’espoir, pour les participants, de pouvoir tirer profit de leur passage dans les sphères du pouvoir.

L’affaire $LIBRA : la mécanique d’un scandale

Le scandale $LIBRA, dans lequel Novelli joue un rôle central, en dit long sur ces collusions entre finance opaque et politique spectacle. Cette cryptomonnaie, censée dynamiser l’économie argentine en finançant des entreprises locales, s’est rapidement effondrée après uneascension fulgurante orchestrée par des opérations de promotion douteuses.

À 19h01, un vendredi soir,Javier Milei publiait sur X (ex-Twitter) un message vantant $LIBRA, assurant qu’il s’agissait d’un projet libéral destiné à attirer des capitaux étrangers. En quelques heures, la cryptomonnaie bondissait àplus de 5 dollars l’unité, attirant des dizaines de milliers d’investisseurs et atteignant une capitalisation de 4 milliards de dollars.

Mais à peine la vague d’euphorie retombée, l’envers du décor se dévoilait.Des retraits massifs de fonds – près de 90 millions de dollars – faisaient s’effondrer la monnaie, provoquant des pertes colossales pour ceux qui avaient suivi l’enthousiasme du président.Milei supprimait alors son tweet, expliquant qu’il ne connaissait pas les détails du projet et qu’il s’était contenté d’en faire la promotion comme il le fait régulièrement avec des initiatives privées.

La réaction fut immédiate.Des députés de l’opposition déposaient plainte pour escroquerie et abus de fonction. La justice argentine, menée parla juge María Romilda Servini, ouvrait une enquête pour déterminer si Milei et ses proches avaient directement profité de cette opération.

Un président sous influence ?

Le scandale soulève une question plus large :Javier Milei contrôle-t-il encore son image et son entourage ?L’affaire Novelli met en évidenceune confusion troublante entre l’État et des intérêts privés, où l’accès aux hautes sphères du pouvoir semble devenir un service marchand.

En public,le gouvernement tente de se distancierde ces pratiques. La présidence qualifie désormais Novelli et son associéde « traîtres », cherchant à présenter Milei comme une victime d’une arnaque et non comme un acteur de la combine. Mais ces justifications tardives peinent à convaincre.Les liens entre le président et certains entrepreneurs de la sphère crypto sont avérés, et le passé de Milei en tant que promoteur enthousiaste de monnaies numériques accentue le soupçon d’une imprudence récurrente.

Le parallèle avecDonald Trump, autre président libertarien ayant flirté avec les cryptomonnaies, n’est pas anodin. Trump a lui aussi étéimpliqué dans le lancement d’un jeton numérique, le $TRUMP, qui a connu une trajectoire comparable à celle de $LIBRA. Cette proximité idéologique et comportementale renforce l’idée d’une gouvernance oùl’image prime sur la responsabilité, et où le pouvoir devient un outil de promotion plus qu’un exercice de gestion rationnelle.

Un mal endémique de la politique argentine

L’Argentine n’en est pas à son premier scandale de collusion entre l’État et des intérêts privés.L’histoire politique du pays regorge d’exemples où les gouvernants ont été accusés de favoritisme, de détournements de fonds ou d’arrangements occultes avec des hommes d’affaires douteux. De Juan Perón à Cristina Kirchner, en passant par Carlos Menem,chaque décennie a vu émerger son lot d’affaires politico-financières.

Avec Milei, l’originalité ne réside pas tant dans les faits eux-mêmes que dansla manière dont l’accélération des réseaux sociaux et la dérégulation économique transforment la compromission politique en opportunité marchande. Là où hierles liens entre politique et finance se nouaient dans les couloirs feutrés des ministères, ils se monnayent aujourd’huidans des brochures de conférences et des tweets promotionnels.

Mais au-delà du tumulte médiatique et judiciaire, une question demeure :jusqu’où cette confusion des genres peut-elle aller avant que la crédibilité de Milei ne soit irrémédiablement atteinte ?Son électorat, lassé des élites traditionnelles, l’a porté au pouvoirprécisément pour rompre avec ces pratiques. Si le président libertarien, en se prêtant à ces jeux d’influence, s’avérait n’être qu’un acteur de plus dans cette vieille pièce,combien de temps ses partisans accepteront-ils encore le spectacle ?

Par Balbino Katz

Envoyé spécial de Breizh info en Argentine

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

4 réponses à “L’Argentine de Milei : quand la proximité avec le pouvoir devient un argument de vente”

  1. Gaï de Ropraz dit :

    Milei : Arretez de l’emmerder. Soyez gentils : Foutez-lui la paix.
    Après-tout, le temps cours de sa gouvernace (même pas 2 ans !!!), il est le premier politique à présenter un bilan national positif après 40 ans d’obscures manigances politiques et des bilans nationaux continuellement négatifs !

  2. Gilles DELMAS dit :

    Bien d’accord avec vous. Ne nous attardons pas sur des pièges à la C°n qui détournent de l’essentiel. Continuez votre oeuvre M. Milei.

  3. Raymond Neveu dit :

    STOP…arrêtez le délire…ce pays a besoin d’une poigne de fer, pas de crétins galonnés puisque ceux qui passèrent révélèrent leur nullité mais tout de même d’une poigne de fer! Ces derniers jours un article sur les divers paysages donc richesses du pays était fort intéressant. Ceci dit vu d’ici c’est à eux de trouver la solution enfin depuis 1821 ils ne l’ont pas trouvée!!! Et nous nous avons nos ordures qui nous imposent leur dictature (C8 pour commencer) on régule…Donc côté problèmes on est servi. En ce moment c’est plutôt tous les pouvoirs dans les mains de la même caste de pourris!

  4. Renan dit :

    chez nous meme trajectoire !!!!! lepresident de la cour des comptes gere nos retraites à 1200 euros mais lui encaisse 26 000 par mois !!!!!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

International

L’Argentine, un géant aux pieds d’argile

Découvrir l'article

Economie, International

La compagnie aérienne d’État Aerolinas Argentinas dégage ses premiers bénéfices depuis 16 ans

Découvrir l'article

International

Reportage en Argentine. Javier Milei, un ouragan libéral sur la scène mondiale

Découvrir l'article

A La Une, International

Philipp Bagus : « Il n’y a pas de comparaison dans l’histoire avec ce qu’a fait Milei »

Découvrir l'article

International

L’Argentine engage une nouvelle étape de réduction de l’État : une réforme sans précédent

Découvrir l'article

International, Sociétal

Javier Milei lance un nouveau front dans la guerre culturelle : fin des discriminations « positives » en Argentine

Découvrir l'article

International

Un autre miracle de Noël : l’Argentine de Milei commence à payer ses dettes

Découvrir l'article

International

Argentine. Comment les réformes radicales de Javier Milei ont redressé l’économie ?

Découvrir l'article

A La Une, International

Nicolás Mayoraz : « Il n’y a aucun moyen d’arrêter le changement que Javier Milei représente » [Interview]

Découvrir l'article

International

Atreju 2024 : Quelle « voie italienne » pour Fratelli d’Italia ?

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky