Milei et le scandale $LIBRA : une tempête politique et financière en Argentine

Nous allions tranquillement en week-end, quittant Buenos Aires par les avenues engorgées d’un vendredi soir, lorsque les téléphones ont commencé à vibrer sous une avalanche de messages. Le président Javier Milei venait de promouvoir une cryptomonnaie, $LIBRA, et les premiers commentaires s’étonnaient de voir un chef d’État se faire le héraut d’un projet financier privé. Puis, à notre retour, le week-end achevé, nous découvrions l’ampleur du scandale : l’argent investi s’était évaporé en quelques heures, la monnaie s’effondrant après une montée fulgurante.
L’affaire a aussitôt enflammé le débat public. Milei, accusé de corruption et de fraude, fait face à une fronde médiatique et judiciaire sans précédent. Ses détracteurs, à gauche comme au sein du camp libéral, dénoncent une manipulation financière irresponsable, tandis que ses partisans crient au complot et minimisent les faits. Que s’est-il réellement passé ?

Un crash éclair : de l’euphorie à la débâcle

Tout commence dans l’univers opaque des cryptomonnaies. $LIBRA, un projet lancé par Viva la Libertad, entreprise liée à KIP Network INC, une société enregistrée au Panama, se présente comme un instrument de financement pour l’économie argentine. À grand renfort de promesses – dynamiser les PME locales, attirer les investisseurs étrangers – la monnaie est mise sur le marché.
Puis vient le coup de tonnerre. Vendredi soir, Javier Milei lui-même publie un message sur X (ex-Twitter), vantant les mérites de $LIBRA, affirmant que l’Argentine libérale s’ouvrait enfin à l’innovation financière. Son post fait immédiatement effet : en quelques heures, la cryptomonnaie grimpe en flèche, passant de 0,3 centimes de dollar à plus de 5 dollars l’unité, dopée par l’enthousiasme de plus de 40 000 investisseurs. La capitalisation du projet dépasse alors les 4 milliards de dollars.
Mais l’illusion est de courte durée. Des retraits massifs – près de 90 millions de dollars en quelques heures – provoquent un effondrement instantané. Comme dans un schéma classique de « rug pull » (littéralement « tirer le tapis »), un petit groupe de détenteurs liquident leurs actifs et l’ensemble du marché s’effondre, réduisant la monnaie à une poussière numérique sans valeur.

Milei, imprudence ou complaisance ?

Face à la tempête, Milei rétropédale en urgence. Il supprime son tweet et publie un message d’excuse, expliquant qu’il ne connaissait pas les détails du projet et qu’il ne voulait pas continuer à en faire la promotion. « Je n’ai aucun lien avec cette entreprise », insiste-t-il.
Mais ses adversaires ne s’en contentent pas. Plusieurs éléments accablent le président. On apprend que Milei a rencontré les promoteurs de $LIBRA à deux reprises, en octobre et en janvier. Parmi eux, Hayden Mark Davis, un entrepreneur américain spécialisé en actifs numériques, qui se présente comme « conseiller technologique » du président. Pire, le projet $LIBRA est intimement lié au slogan de Milei, « Viva la Libertad Carajo », ce qui accrédite l’idée d’une collusion directe entre le président et les créateurs de la monnaie.
Ses opposants dénoncent une « megaescroquerie » orchestrée depuis la Casa Rosada. Une plainte pénale a été déposée par plusieurs députés, accusant Milei d’ »association illicite », d’ »escroquerie » et d’ »abus de fonction ». La justice argentine, sous l’égide de la redoutée juge María Romilda Servini, âgée de 88 ans, se saisit du dossier. Les accusations sont lourdes : 40 000 victimes, plus de 4 milliards de dollars envolés.
En Argentine, la longévité judiciaire de la juge María Romilda Servini s’explique par l’absence d’une retraite obligatoire pour les juges fédéraux, garantissant ainsi leur indépendance. Elle peut continuer à exercer tant qu’elle n’est pas destituée par un procès en destitution ou qu’elle ne choisit pas de se retirer elle-même.
En parallèle, la coalition péroniste-kirchnériste Unión por la Patria, ainsi que plusieurs figures du socialisme argentin, réclament l’ouverture d’un procès en destitution contre Milei, une procédure qui nécessiterait les deux tiers du Parlement.

Un président sous le feu des critiques, mais encore debout

Les attaques pleuvent, mais Milei peut encore compter sur des soutiens. Sa base électorale, convaincue que le système veut le faire tomber, minimise l’affaire, dénonçant un acharnement politico-médiatique. Les défenseurs du président insistent sur le fait que le gouvernement n’a jamais officiellement approuvé $LIBRA, et que les messages promotionnels ont été publiés sur son compte personnel et non via des canaux institutionnels.
De plus, les cryptomonnaies sont depuis longtemps au cœur de la philosophie libertarienne de Milei, qui a toujours prôné la désintermédiation monétaire et la fin du monopole étatique sur la finance. Il n’est pas le premier chef d’État à flirter avec ces actifs numériques : Donald Trump lui-même a lancé son propre jeton, le $TRUMP, et Nayib Bukele, au Salvador, a fait du Bitcoin une monnaie nationale.
Milei annonce en réaction la création d’une « Unité de Tâches d’Investigation », chargée de faire la lumière sur l’affaire. Il sollicite également l’Office Anticorruption pour prouver qu’aucun membre du gouvernement n’a bénéficié directement de cette débâcle.
Mais l’affaire est loin d’être close. Elle révèle en creux les ambiguïtés du président argentin, entre provocation populiste et fascination pour les nouvelles technologies financières, entre volonté de rupture et erreurs stratégiques.
À Buenos Aires, les éditorialistes n’ont pas fini de gloser sur l’événement. Scandale financier ? Coup monté ? Manipulation politique ? Une seule certitude : l’Argentine, déjà sous tension économique, vient de vivre un week-end de fièvre dont les répercussions pourraient redessiner l’avenir de la présidence Milei.

Balbino Katz

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4 réponses à “Milei et le scandale $LIBRA : une tempête politique et financière en Argentine”

  1. Gaï de Ropraz dit :

    Le coup est certainement dur pour Milei, mais je suis confiant qu’il ne soit pas responsable.

  2. gautier dit :

    les Anglos Américains l’attendait au tournent, les Anglais n’ont jamais pardonné à l’Argentine au sujet des iles Malouines, et en plus il se tourne vers les BRICS ! alors ! fallait si attendre, trop pressé, dommage !

  3. Gilles DELMAS dit :

    Encore un coup es Anglais!

  4. Raymond Neveu dit :

    Un peu curieux tout de même cette péripétie…faire confiance à la bitconnerie!!! Rien ne vaut un bon lingot d’or! Bizarre tout de même! Mais qu’est-ce que les Falklands viennent faire là-dedans??? C’est digne des élucubrations mentales d’un abbé Barruel.

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