L’Argentine, un géant aux pieds d’argile

L’Argentine est un pays de paradoxes. Terre de vastes horizons, elle est à la fois riche et déshéritée, fertile et stérile, prospère en apparence mais minée par des crises récurrentes. De Buenos Aires au riches terres de culture ou d’élevage où je me trouve aux steppes patagoniennes, des provinces luxuriantes bordant le Paraná et l’Uruguay, aux terres arides du Chaco et du Nord, ce territoire démesuré se déploie comme une mosaïque d’espaces et de peuples qui, plus qu’ailleurs, peinent à former une nation cohérente.

Le regard européen sur l’Argentine oscille entre fascination et incompréhension. On s’attarde sur ses paysages à perte de vue, sur sa riche culture créole, son élégance urbaine surannée héritée de l’Europe, sur son goût du drame et du football, mais on saisit mal les raisons de son instabilité chronique. Pourtant, les clés de cette énigme sont inscrites dans sa géographie et dans l’histoire de ceux qui l’ont peuplée.

Un territoire de contrastes

L’Argentine se déploie sur près de trois mille kilomètres, du tropique à l’Antarctique, en un patchwork de climats et de sols qui façonnent autant d’identités régionales. Au centre, la pampa est le cœur battant du pays, ce territoire d’herbes grasses où se sont épanouis l’élevage et les grandes cultures céréalières. C’est ici que s’est édifiée « l’Argentine utile », cette partie du pays qui produit, exporte et génère la richesse nationale. A elle seule, la province de Buenos Aires et la capitale produisent la moitié de la richesse du pays.

À ses marges s’étendent des terres plus hostiles. Le nord, aux confins du Paraguay et de la Bolivie, est un monde aride, rude, où la misère s’accroche aux collines. C’est un espace de pauvreté, de contrebande et de trafics en tout genre, où l’État argentin n’est souvent qu’une présence fantomatique. Le sud, quant à lui, s’évase en une Patagonie balayée par les vents, immense et désolée, où seuls quelques éleveurs et chercheurs d’or venaient troubler la solitude avant l’arrivée des prospecteurs du gigantesque gisement de pétrole et de gaz. À l’est, la vallée du Paraná et les rives de l’Uruguay offrent une Argentine plus humide, plus tropicale, plus hospitalière aussi, où s’épanouissent les cultures et les forêts.

Malgré cette diversité, Buenos Aires, la ville-monstre, semble tout absorber. L’Argentine, en apparence vaste et plurielle, est en réalité un pays centralisé à l’excès, où le pouvoir et l’activité économique se concentrent dans une capitale hypertrophiée, regardant plus vers l’Europe et les Etats-Unis que vers ses propres provinces.

Un peuple éclaté

Si l’Argentine a longtemps été un modèle vanté d’assimilation d’une importante immigration européenne, cette dynamique s’est progressivement effritée. Le pays s’est construit sur une trame humaine tripartite, où chaque groupe a joué un rôle distinct.

Les Criollos, ces descendants des premiers colons espagnols, ont formé l’ossature historique du pays. Agriculteurs, éleveurs, administrateurs, ils ont été les bâtisseurs de l’Argentine du XIXᵉ siècle. Puis, à la fin de ce même siècle, dans le cadre de la confrontation avec le Chili, un flot ininterrompu d’Européens a façonné les villes, apportant avec lui une culture plus urbaine, plus cosmopolite. Italiens, Espagnols, Français, Allemands, ces vagues migratoires ont donné à Buenos Aires ses airs de capitale européenne délocalisée.

Mais un troisième Argentine s’est développée en marge de ce modèle. Elle est composée des populations indigènes peu créolisées, des migrants andins et paraguayens appelés par la gauche kirchneriste en quête d’un électoral captif. Ces nouveaux venus qui, loin d’être intégrés, survivent dans les faubourgs miséreux, longtemps financés par des prébendes du gouvernement. C’est dans ces quartiers périphériques que la pauvreté et une criminalité ultra violente se concentrent, créant une fracture grandissante avec le reste de la population.

Cette stratification sociale est l’un des maux de l’Argentine contemporaine. Contrairement au rêve d’une nation homogène, où les fils d’immigrés se fondraient dans la culture nationale, le pays semble aujourd’hui plus divisé que jamais. Loin d’être une terre de fusion, il est devenu un territoire de cohabitations forcées, où les différences d’origines se doublent de fractures économiques et politiques.

Un éternel naufrage économique

L’Argentine aurait pu devenir un géant, un Canada du sud, un pays d’abondance et de stabilité. Mais elle a choisi une autre voie, celle du déclin, rééditant à chaque génération les mêmes erreurs, les mêmes promesses trahies.

Tout au long du XXᵉ siècle, elle a été une pionnière du chaos économique : crises monétaires à répétition, hyperinflation, fuites des capitaux, endettement massif auprès du FMI. Chaque gouvernement, qu’il soit péroniste, libéral ou militaire, a eu son lot de déconvenues financières, ruinant à chaque fois une nouvelle génération d’Argentins. Aujourd’hui encore, sous la direction d’un président iconoclaste, Javier Milei, le pays oscille entre le ouverture des frontières économiques, réduction brutale du déficit public  et la soumission aux créanciers internationaux, sans jamais trouver à ce jour un modèle durable.

À cela s’ajoute une instabilité politique chronique. L’Argentine est passée maître dans l’art de se déchirer entre factions rivales, entre élites corrompues et masses désillusionnées. Les figures du péronisme, à commencer par Juan Domingo Perón lui-même, ont forgé une tradition de populisme où l’État se pose en protecteur tout en saccageant ses propres finances.

Là où d’autres nations cherchent des solutions, l’Argentine se complaît jusqu’à présent dans l’urgence et l’improvisation, incapable de planifier son avenir. Son peuple, pourtant travailleur et ingénieux, devait vivre au rythme des dévaluations monétaires, des réformes avortées et des grèves générales.

Un peuple qui ne cède pas

Pourtant, malgré cet enchaînement d’échecs, l’Argentine refuse de sombrer complètement. Son peuple, forgé par des décennies de désillusions, continue d’inventer, de se révolter, de tenter. Buenos Aires, malgré l’appauvrissement, demeure une capitale vibrante, où l’on débat avec passion, où la culture continue de bouillonner, où le football et le tango résistent comme des bastions d’identité.

Reste à savoir si cette nation aux potentialités gigantesques saura briser son cercle vicieux grâce à Javier Milei et à ses ambitieuses réformes. Peut-elle encore redevenir le pays promis à la grandeur, celui que ses fondateurs avaient rêvé, ou continuera-t-elle à errer entre prospérité fugace et effondrement programmé ? Les rendez-vous électoraux de cette fin d’année 2025 nous en diront davantage, tout en sachant que l’actualité vit à un rythme effréné. Depuis quelques jours, la présidence est secouée par un scandale de cryptomonnaies qui la met la présidence en danger.

Une seule certitude demeure : l’Argentine, cette terre d’excès, ne connaîtra jamais la médiocrité. Elle continuera à fasciner, à intriguer et à nous rappeler que les grands pays, comme les grandes tragédies, ne meurent jamais vraiment.

Balbino Katz

Envoyé Spécial de Breizh infos en Argentine

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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4 réponses à “L’Argentine, un géant aux pieds d’argile”

  1. Gaï de Ropraz dit :

    L’Argentine est le plus beau pays de toute l’Amerique Latine.
    Mais comme toujours et partout, plane le risque de l’eternel danger du desordre en provenance de groupes humains non voulus, mais qui neanmoins, envahissent le territoire protégé.

  2. REGIS dit :

    …et ils ont rejoint avec succès la grande communauté du rugby ! Ça rapproche un peu plus ce grand pays blanc de l’Europe !

  3. JLP dit :

    Magnifiques photos de bouteilles de whisky, ça dépayse !…

  4. Raymond Neveu dit :

    Le plus beau pays de toute l’Amérique Latine? Les 3 états du sud du Brésil qui ont une majorité allemande avec le climat qui va avec et des moeurs en accord et de l’ordre me semblent plus beaux à moins de préférer les adorables métisses de noirs qui ont leur charme…leurs charmes aussi!!! Tout dépend des goûts! La grande période économique de l’Argentine se situe pendant la période 1940-1950 en raison de leurs immenses troupeaux de viande sur pattes! En ont-ils tiré un quelconque profit? Non! Et pas d’industries lourdes! Des gouvernements de prestidigitateurs bavards, éructeurs de conneries du genre de celui qui braille « troupes pour l’Ukraine »! Qu’il y aille lui qui ne porte que des uniformes qui sortent du pressing!

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