Fernand Kartheiser est député européen de la formation politique patriotique luxembourgeoise Parti réformiste d’alternative démocratique (ADR), dont il a été le président. Lionel Baland l’a rencontré et interrogé pour Breizh-info. Le Grand-Duché de Luxembourg compte six députés européens.
Breizh-info : Quand avez-vous rejoint le monde politique ?
Fernand Kartheiser : En fait, je suis arrivé relativement tard au cours de ma vie en politique. J’ai pris part pour la première fois à des élections législatives à l’âge de 49 ans. Donc, à un âge avancé par rapport à ma carrière professionnelle. Mais j’ai tout de suite commencé en politique à l’ADR et je n’ai pas changé de parti, bien sûr, depuis lors.
Breizh-info : Quels sont les principaux points du programme de l’ADR ?
Fernand Kartheiser : L’ADR représente en fait les mêmes valeurs que celles du parti des Conservateurs et réformistes européens (ECR) au niveau européen, qui consistent en la défense de la souveraineté, ainsi que de la culture du pays et de la langue nationale, sans être opposé à une autre langue, soit d’essayer de préserver ce que nous avons et de défendre nos propres valeurs culturelles. Nous soutenons la famille, bien sûr, parce que nous pensons que celle-ci est la cellule la plus importante de notre société. La sécurité publique constitue un grand problème et la migration illégale aussi.
Donc, en fait, vous trouvez dans le programme de l’ADR la plupart des points qui sont, au niveau européen, dans les programmes de centre droit.
Breizh-info : Mais le Grand-Duché de Luxembourg connaît encore la prospérité. Il n’y a pas vraiment beaucoup de problèmes dans ce pays !
Fernand Kartheiser : La prospérité en Europe, en général, est trompeuse. En fait, l’Europe n’est plus compétitive. Cela vaut pour le Luxembourg, cela vaut pour tous les autres pays. Au Luxembourg, nous essayons de maintenir encore ce que nous avons, une certaine prospérité, mais cela ne sera plus possible à moyen terme si nous ne réussissons pas à réformer l’Europe du point de vue économique.
Nous devons devenir beaucoup plus compétitifs et réduire les prix de l’énergie, sinon, en fin de compte, tous les pays européens se retrouveront dans une situation de deuxième classe par rapport aux concurrents chinois, indiens, russes, américains.
Breizh-info : Quelle est la position du parti par rapport à l’euro ?
Fernand Kartheiser : Nous sommes en faveur de l’euro parce que nous savons que les monnaies nationales, si nous devions les réintroduire, seraient extrêmement vulnérables sur le marché mondial. Nous devons être conscients que l’Europe, aujourd’hui, représente 450 millions d’habitants, ce qui constitue une petite partie de la population mondiale, avec un haut degré de fragmentation et une bureaucratie débordante.
Si nous recommençons également à réintroduire des monnaies nationales, ce qui peut être tentant pour différentes raisons, nous nous affaiblirons encore davantage. Je crois qu’il faut maintenir l’euro, mais le rendre plus flexible. Il faut permettre, par exemple, une sortie temporaire de l’euro pour les pays qui rencontrent des problèmes économiques majeurs.
Nous devons réfléchir à l’euro, à son architecture, mais le principe, je crois que nous devons le maintenir, sinon l’euro peut encore plus s’affaiblir.
Breizh-info : Et au niveau de l’Union Européenne, êtes-vous pour plus de construction européenne, en rester là ou repartir en arrière ?
Fernand Kartheiser : Nous sommes pour le maintien des nations souveraines. Ce choix est très important parce qu’il faut que les populations adhèrent également à un ensemble politique. Et cela est beaucoup plus facile au niveau des États-nations qu’au niveau de la fiction d’un État fédéral européen. Donc, ce dernier n’est pas ce que nous voulons.
Cela dit, les pressions extérieures sur notre continent sont telles que nous devons essayer d’imaginer une architecture européenne qui donne suffisamment de résilience à l’Europe en général pour permettre au sein de cet ensemble économique un maintien des États-nations.
Donc c’est toute une architecture, il faut y réfléchir, parce qu’actuellement il y a simplement une dichotomie Europe fédérale ou États-nations, mais je crois que cela ne correspond plus à la nature des défis qui nous sont posés tous les jours. Nous devons savoir que, désormais, les grands investisseurs ne sont plus en Europe et que les grandes décisions économiques n’y sont plus prises.
En conséquence, nous devons réussir à nous maintenir à un certain niveau d’un point de vue mondial, par rapport surtout aux États-Unis, mais aussi par rapport à d’autres, comme la Chine entre autres. Mais nous ne devons pas pour autant abandonner notre identité culturelle et les particularités qui font toute la richesse de l’Europe, en raison justement de notre diversité culturelle.
Breizh-info : Et quelle est la position par rapport à l’OTAN et la guerre en Ukraine ?
Fernand Kartheiser : Par rapport à l’OTAN, je dois vous dire que je suis en principe en faveur d’une alliance transatlantique, parce que nous partageons avec les Canadiens et les Américains un grand nombre de valeurs, qui parfois sont également contestées dans notre monde.
Donc le principe d’une alliance transatlantique est quelque chose qui me semble toujours judicieux. Cela dit, cette alliance doit être purement défensive, elle ne doit pas s’opposer à autrui, elle ne doit pas être agressive. Cela vaut pour la Russie, cela vaut pour la Chine, cela vaut pour d’autres. Nous devons maintenir une alliance défensive et purement défensive.
En ce qui concerne la guerre en Ukraine, depuis le début nous prônons une solution négociée du conflit, pour trois raisons : sauver des vies humaines, maintenir autant de territoires ukrainiens que possible et les préserver, éviter une escalade du conflit.
Cela n’a pas été réalisé. La confrontation a été privilégiée et les résultats sont horribles. Maintenant, nous voyons quand même que de plus en plus de pays, y compris les États-Unis, s’orientent vers une solution négociée. Nous aurions dû le faire tout de suite et je crois que nous aurions pu sauver beaucoup de vies humaines et éviter beaucoup de drames si nous avions tout de suite opté pour une solution négociée pacifique et non militaire.
Breizh-info : Le Grand-Duché compte officiellement trois langues – le français, le luxembourgeois, l’allemand – utilisées sur l’ensemble de son territoire. N’est-ce pas une forme de protectionnisme par rapport aux faits que de nombreuses personnes issues d’autres pays ne maîtrisent pas ces trois langues ?
Fernand Kartheiser : Non, cette situation a des racines historiques. En fait, nous sommes un petit pays entre de très grands voisins : la France et l’Allemagne. Même la Belgique est pour nous déjà un grand voisin. Et donc, nous avons toujours eu cette situation linguistique compliquée. Le Luxembourg historique avait même des zones de langues différentes, avec une zone francophone et une zone germanophone. Ce n’est plus le cas aujourd’hui [depuis 1839]. Mais tout cela est le résultat d’évolutions historiques séculaires et, donc, il n’y a pas de protectionnisme dans tout cela, mais simplement le résultat d’un processus historique.
Nous savons que nous devons être multilingues dans un tel pays. C’est le cas d’autres petits pays aussi. Je renvoie à la Belgique, à la Suisse et à d’autres. Chacun de ces pays dispose d’une situation linguistique propre, mais tous sont le résultat d’évolutions historiques. C’est la même chose au Luxembourg.
Breizh-info : Et par rapport à la migration, quelle est votre position ?
Fernand Kartheiser : Nous sommes un pays d’immigration. Nous l’avons été depuis la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Mais pour nous il est très clair que l’immigration doit être légale. Ce que nous n’acceptons pas, c’est une migration illégale, un abus du droit d’asile qui est présent au Luxembourg de façon très massive, parce que c’est un pays relativement riche et il y a beaucoup de gens qui veulent venir s’installer au Luxembourg, mais en fin de compte c’est une immigration illégale et nous, en tant que ADR, nous sommes totalement opposés à ce genre de phénomène. Donc nous n’avons absolument rien, bien sûr, contre l’immigration légale, mais ce que nous voyons actuellement, ce n’est pas admissible, ce n’est pas soutenable.
Breizh-info : D’accord, voulez-vous encore ajouter quelque chose ?
Fernand Kartheiser : Non, pas particulièrement, parce que je crois que vous avez abordé la plupart des sujets d’actualité, monétaires, économiques, culturels et le conflit en Ukraine, mais je vous dis qu’il faut beaucoup plus d’imagination en politique que ce que nous avons actuellement. Il faut aussi penser à l’avenir du continent européen, cette scission totale que nous avons maintenant avec la Russie, cette division catégorique en Europe, que nous ne connaissions même pas pendant la guerre froide, nuit aux intérêts de l’Europe occidentale. Nous devons essayer de renouer avec la Russie, de retrouver la voie du dialogue.
Propos recueillis par Lionel Baland
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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3 réponses à “Fernand Kartheiser : « L’Europe, aujourd’hui constitue une petite partie de la population mondiale, avec un haut degré de fragmentation et une bureaucratie débordante » [Interview]”
Fernand Kartheiser sait faire la part des choses entre une immigration légale, et une immigration sauvage, autrement dit illégale.
Pour moi c’est clair : C’est un bon politicien, et il defend son pays.
A charge pour certains de nos compatriotes, qui se prennent pour des lumieres, de reflechir et de prendre de la graine !…
Bravo M. Fernand Kartheiser, par contre je suis contre de rester sous couvert de l’Otan, qui est une organisation tournée vers les Anglos Americans et qui sème la guerre plutôt que la paix !
voila un habile politicien et clairvoyant d eplus ! si nous pouvions en avoir quelque uns comme lui …