Au début du XXème siècle, à Paris. L’opéra Garnier serait hanté par un fantôme. Ce célèbre roman de Gaston Leroux fait l’objet d’une superbe adaptation en bande dessinée. L’action se déroule bien sûr à l’opéra Garnier, mais aussi sur la côte de Perros-Guirec.
Paris, en 1890, à l’opéra Garnier. Un certain « Fantôme de l’Opéra » exige le versement de 20 000 francs par mois ainsi que l’exclusivité de la loge numéro 5. Ce soir-là se joue la première de Faust, opéra de Charles Gounod. Mais la soprano Carlotta, indisposée, ne peut pas chanter. Monsieur Daroga, l’un des plus généreux bienfaiteurs, propose alors aux directeurs de choisir la jeune Christine Daaé, dont le vicomte Raoul De Chagny est épris. Celle-ci fait un véritable triomphe. Mais un drame survient : le chef-machiniste est retrouvé pendu. Des événements surnaturels apparaissent : pendant une représentation, le grand lustre s’effondre et tue une spectatrice. La direction craint alors qu’un fantôme hante le théâtre. Certains affirment même avoir vu le visage déformé d’un homme machiavélique nommé Erik. Après un séjour à Perros-Guirec, le fantôme, qui rode à nouveau sur l’opéra, séquestre et tente de séduire la belle Christine. Raoul, son soupirant, va tenter de la délivrer…
Gaëtan et Paul Brizzi, frères jumeaux nés en 1951, après avoir suivi des études à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, ont l’opportunité de devenir en 1976 pensionnaires à la villa Médicis à Rome, pendant deux ans. Ils commencent leur carrière dans l’animation. En 1977, ils remportent le César du meilleur court métrage d’animation pour Fracture. Une curiosité au milieu des années 1980 : ils dressent le storyboard du film Pirates de Roman Polanski. Puis ils réalisent Astérix et la surprise de César, et rejoignent même Disney pour La bande à Picsou, l’Oiseau de feu dans Fantasia 2000…
Mais en 2015, leur carrière prend une nouvelle direction. Ils sortent leur première bande dessinée, consacrée à Louis-Ferdinand Céline : La cavale du docteur Destouches, aux Editions Futuropolis. C’était courageux de leur part. Louis Ferdinand Destouches (1894-1961), dit Céline, considéré comme l’un des plus grands écrivains français du XXème siècle, est célèbre pour avoir créé un style elliptique qui reproduit l’émotion immédiate du langage parlé. Mais il reste controversé en raison de ses pamphlets antisémites et de ses liens avec certains milieux collaborationnistes durant l’occupation allemande. Cette bande dessinée se passe en 1944. Louis-Ferdinand Céline quitte Paris en compagnie de son épouse Lucette. Ils traversent l’Allemagne en ruine pour rejoindre à Sigmaringen le gouvernement de Vichy en exil. De cet épisode authentique, Céline a tiré sa trilogie allemande : D’un château l’autre, Nord et Rigodon. Christophe Malavoy, acteur-écrivain féru de l’écriture Célinienne, adapte ces trois romans et raconte l’exil de Céline au milieu d’une galerie de personnages délirants. Le somptueux crayonné expressif en noir et blanc des frères Brizzi se conjugue parfaitement avec le ton apocalyptique du récit.
Puis les frères Brizzi adaptent un roman de Boris Vian (L’automne à Pékin) et les Contes Drolatiques de Balzac. Après leurs superbes adaptations de L’Enfer de Dante (chroniqué sur Breizh-info) et Don Quichotte de Cervantès, chefs-d’œuvre de la littérature européenne, ils s’attaquent à un autre classique : Le Fantôme de l’Opéra, célèbre roman de Gaston Leroux, paru en feuilletons en 1910. Ce romancier reste connu pour les enquêtes du journaliste Rouletabille (Le Mystère de la chambre jaune, Le Parfum de la dame en noir…). Le roman Le Fantôme de l’Opéra a déjà fait l’objet de films (dont Phantom of the Paradise, de Brian de Palma), mais aussi de bandes dessinées et même d’au moins quatre mangas. Deux ont été diffusés en France. D’abord, Operaza no Kaijin (Le Fantôme de l’Opéra), de la dessinatrice Harumo Sanazaki, publié en 2005 au Japon puis en 2018 en France par Isan manga. Puis Mon très cher F – Le Fantôme de l’Opéra, adaptation libre de Nanao Moi en 2021. On se souvient également en 2011 de la bande dessinée Le Fantôme de l’Opéra (en deux tomes) par Christophe Gaultier (éditions Gallimard, coll. Fétiche), puis en 2019 de la version de Jean-Charles Gaudin (scenario) et Christophe Picaud (dessin).
Pour bâtir le scenario de cette nouvelle adaptation, les frères Brizzi font ressortir les moments les plus forts du roman et font le choix de donner du rythme. Ils réalisent une somptueuse bande dessinée, d’une grande finesse, au crayon à papier à graphite noir et au fusain. Chaque planche est une œuvre d’art.
Comment se répartir le travail ? Paul, qui réside aux Etats-Unis, croque les personnages, en créant une expressivité exacerbée. Gaëtan, qui vit dans le Gard, s’occupe des décors. Il s’est amusé à imaginer les sous-sols de l’opéra Garnier. On admire sa maîtrise des ombres et de la lumière.
A Perros-Guirec, par un style expressionniste, ils dessinent l’église Saint-Jacques de Perros-Guirec et le calvaire de Trestrignel situé rue de Sennonnes. Leur somptueux crayonné expressif en noir et blanc se conjugue parfaitement avec le ton sombre du récit. Ils imaginent même une mystérieuse apparition de l’Ankou. C’est magistral.
Gaëtan révèle que « comme la peinture, le cinéma est une source d’influence. Nous avons une formation de cinéastes mais nos maîtres nous font remonter carrément au cinéma muet : Murnau, l’expressionnisme allemand de Fritz Lang. Puis, plus tard, le film noir. Le dénominateur commun de ces films, c’est une lumière, la photographie, c’est le haut contraste, la dramatisation, la théâtralisation des choses. Mais la peinture et le dessin nous inspirent aussi. Notre maître, on le voit, on le reconnaît très nettement, surtout dans L’Enfer : c’est Gustave Doré. Lui, il a tout compris. Je ne vais pas critiquer Gustave, je l’adore… mais nous différons de Doré – sans lui arriver à la cheville – dans la manière de traiter ces personnages. Lui le fait d’une manière peut-être un peu trop passive quand nous – surtout Paul – tentons d’amener plus d’expressivité. Parfois, à la limite du cartoon, parce que nous sommes dans la caricature » (branchesculture.com, 10 déc. 2023).
Kristol Séhec
Le Fantôme de l’Opéra, d’après le roman de Gaston Leroux. 160 pages, 26 euros. Editions Futuropolis.
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Une réponse à “Le Fantôme de l’Opéra, nouveau chef d’œuvre des frères Brizzi (bande dessinée)”
Ce qui m’amuse toujours c’est que dès que l’on est sur des pages culturelles les éructeurs surdoués du « yaka fokon » sont aux abonnés absents donc la Culture ne les intéressent pas, ils sont plus doués pour aller dans le sens du courant…toujours les petits bourgeois merdeux que ridiculise Jacques Brel !