Il est des naïfs, et il est des gens de mauvaise foi. Les premiers s’émeuvent d’un fait qu’ils jugent inouï, les seconds feignent de l’ignorer lorsqu’il ne leur sied pas. Ainsi en est-il de la récente décision du président Trump de rebaptiser le golfe du Mexique en golfe d’Amérique. Tollé parmi les bien-pensants, indignation affectée dans les salons progressistes : comment, un pays pourrait-il prétendre changer le nom d’un espace naturel, comme si un trait de plume pouvait réécrire la carte du monde ? On feint de s’offusquer d’un acte qui, pourtant, s’inscrit dans une tradition immémoriale : celle des nations qui marquent leur empreinte sur la géographie par l’usage et la volonté politique.
Quand la toponymie suit la conquête
Les peuples, depuis la nuit des temps, ont nommé les territoires qu’ils occupaient. Lorsque César mit le pied en Armorique, il n’y trouva pas un peuple unifié, mais une mosaïque de tribus celtiques. L’Empire imposa son joug, et avec lui ses mots : l’Armorique devint Armorica, terre gallo-romaine soumise à la Pax romana. Puis, au IVe siècle, des Bretons de l’île de Bretagne s’y installèrent en masse, fuyant les raids saxons. Peu à peu, leur présence s’imposa, si bien que l’Armorique prit le nom de Britannia Minor, pour la distinguer de Britannia Major, qui devint à son tour la Grande-Bretagne. Les Anglais, qui n’aiment guère que l’histoire leur échappe, persistèrent à appeler leur île Britain et la Bretagne continentale Brittany. Deux logiques, deux langues, deux héritages.
L’histoire regorge d’exemples semblables. Koenigsberg, jadis prussienne, devint Kaliningrad en 1946 sous la férule soviétique. Fort Duquesne, bastion français en Amérique, devint Pittsburgh une fois passé aux mains britanniques. Chaque guerre, chaque conquête, chaque révolution redessine la carte et ses appellations.
L’usage, ce souverain discret
Mais qu’est-ce qu’un nom, sinon une convention dictée par la répétition ? Prenons la Manche. Pour un Français, c’est une évidence, c’est ce bras de mer qui sépare la France de l’Angleterre. Pour un Anglais, point de « Manche », mais un English Channel, pour les Bretons Mor Breizh. Même étendue d’eau, trois désignations, et derrière elles, trois visions du monde. Il en va de même pour ces îles atlantiques qui, en français et en espagnol, sont les Malouines, rappelant le passage des marins de Saint-Malo, et qui, en anglais, sont les Falklands, du nom d’un lord britannique.
Alors, pourquoi s’étonner qu’un président américain, homme de pouvoir avant tout, décide de baptiser autrement un golfe qui borde son territoire ? Ce golfe du Mexique, né de l’histoire, peut bien devenir le golfe d’Amérique si telle est la volonté de Washington. Après tout, la postérité jugera, et c’est l’usage qui tranche en dernier ressort. Si les Américains adoptent cette appellation et l’imposent dans leurs écrits, elle fera son chemin. Peut-être restera-t-elle confinée à la langue anglaise, peut-être s’étendra-t-elle ailleurs.
Une pratique aussi ancienne que les civilisations
Il faut se garder de croire que ce phénomène est propre aux puissances modernes. Déjà dans l’Antiquité, les Grecs appelaient Égypte ce que les autochtones nommaient Kemet. Rome, dans son arrogance impériale, renomma Jérusalem en Ælia Capitolina après la destruction du temple juif. Plus proche de nous, Saint-Pétersbourg fut tour à tour Petrograd, puis Leningrad, avant de retrouver son nom d’origine après la chute de l’URSS.
Ce que l’homme nomme, il le façonne à son image. Et tant pis si cela déplaît aux nostalgiques d’un monde immobile : la toponymie n’est pas un musée, elle est vivante et mouvante, au gré des peuples et des empires.
Ainsi, qu’importe que le golfe du Mexique soit rebaptisé golfe d’Amérique : si l’usage l’adopte, il s’imposera. Et si l’usage l’ignore, il retombera dans l’oubli, comme tant d’autres noms avant lui. L’histoire n’est pas un caprice, elle est une volonté. Et celle des États-Unis, qu’on l’aime ou qu’on la déteste, ne manque certainement pas de force.
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
8 réponses à “Quand la géographie se plie à la politique”
Le plus amusant dans cette histoire est que Trump – qui passe, bien à tort, pour être un ignorant, alors qu’il n’est gênant que par son côté histrionique (« so-US ») – a entièrement raison.
L’immense mer occidentale d’Amérique Centrale est divisée en deux parties : au Nord le Golfe du Mexique ; au Sud, le Golfe des Caraïbes.
Et si nos contemporains avaient un peu de culture historique, ils sauraient que depuis le 11e Président US, James Polk, le créateur de l’expression « Unquestionable Destiny » of USA, on se pose aux USA en dominateurs face au Mexique trop hispanique (trop « latino », de nos jours) et en propriétaires éminents de l’Amérique Centrale
FDR (le 2e Roosevelt) n’a jamais parlé que du Golfe des Caraïbes pour désigner ce que Trump, dans une sémantique plus adaptée, nomme Golfe d’Amérique
Il y a continuité parfaite entre l’impérialisme US du XIXe siècle et celui des XXe et XXIe
Quelque soit le nom, ce n’est pas bien important.
Comme le dit si bien l’article, l’usage et le peuple seront les décideurs.
Ainsi en sera-t-il du quartier de la Négresse à Bayonne. Si le peuple continue à le nommer ainsi, M. Mélanchon, son intellectuel Delogu, son économiste Rousseau, et même le Syndicat de la Magistrature n’y pourront pas grand chose.
L’Europe, si elle suivait le délire géographique made in Trumpland, pourrait appeler la Manche « Canal d’Europe », la mer Adriatique « mer d’Europe », la mer Baltique « golfe d’Europe » , et Tuttifruttis qu’anti. Nul, nul.
Et pourtant le Mexique est bien en Amérique et les Caraïbes sont bien en Amérique, non ? 😊
Bientôt l’océan d’Amérique ? Lequel à l’est ou à l’ouest ? 🤪🤣
Nous autres Français ne sommes pas les derniers idiots, acceptant de qualifier d' »Etats-Unis » ceux qui ne sont que les Etats-Unis d’Amérique, alors que la dénomination complète du Mexique, c’est « Etats-unis mexicains » !. A part quelques lécheurs de bottes trumpistes, dans le reste du monde on ne va pas refaire les cartes géographiques, géologiques, etc., pour un caprice du joueur de golf…
Quartier de la Négresse : c’est fait ou en passe de l’être …
Le règne de la bêtise permanente.
« Gulf of America » se traduit plus correctement par « Golfe des États-Unis ». Les États-Uniens utilisent, et c’est arrogant de leur part, « America » pour désigner les États-Unis (d’Amérique).
La marque de commerce de Trump, MAGA – Make America Great Again, renvoie-t-elle aux trois Amériques, aux trois pays d’Amérique du Nord ou aux États-Unis?
Les autorités qui ont adopté « Golfe d’Amérique » n’ont pas tenu compte des usages états-uniens et ont passé outre à la réalité.