Les éditions Déterna viennent de rééditer le livre Pavés rouges, signé Henri Béraud.
Comme tous les pamphlets, qu’il s’agisse de ceux de Léon Bloy, de Paul-Louis Courier ou d’Antoine de Rivarol, Pavés rouges est daté.
Mais l’indignation d’Henri Béraud sur le sort fait aux plus patriotes des Français, en l’occurrence les anciens combattants de 1914-1918, dans un monde qui s’enfonçait vers la guerre, c’est une situation qui, pour le coup, n’est pas datée.
C’est pourquoi son cri d’indignation peut toujours être lu avec intérêt, près de cent ans après sa première parution. Remplacez communisme ou hitlérisme par islamisme et vous trouvez d’étranges similitudes avec notre époque. C’est donc une première raison pour apprécier ce texte.
La seconde raison tient à Béraud lui-même.
Jusqu’au massacre du 6 février 1934, notre écrivain lyonnais se disait homme de gauche. Cet évènement va le faire évoluer. « Je n’aspire pas davantage à être un homme de droite », écrit-il dans les pages d’introduction à Pavés rouges.
Mais dans les faits, Béraud est désormais pleinement converti à la primauté du patriotisme français sur toute autre considération, rejoignant ainsi les positions de certains de ses adversaires d’hier.
En effet Pavés rouges, sorte de haut-le-cœur de Béraud face au drame sanglant du 6 février 1934, c’est en réalité la chronique des conséquences inéluctables de l’an précédant. Car 1933 représente une année pivot, c’est l’instant où l’on bascule de l’après-guerre à l’avant-guerre. Béraud l’a vécu, ressenti, compris. De même que le XIXe siècle ne s’arrête pas en 1900, mais plutôt en septembre 1914, de même que le XXe siècle ne commence vraiment qu’en 1918, voire avec les traités de 1919-1920-1921, de même l’année-césure 1933 court de décembre 1932 à février 1934. Des élections allemandes qui amèneront l’avènement au pouvoir d’Adolf Hitler à Berlin le 30 janvier 1933, aux événements sanglants à Paris le 6 février 1934.
Ce qui est remarquable avec Henri Béraud, c’est qu’il ait possédé la capacité de saisir immédiatement la portée de ces instants, en combinant cet instinct avec le pressentiment des conséquences engendrées à terme.
Pour évoquer cet ouvrage, nous avons interviewé l’un de ses préfaciers, Marc Desgorces-Roumilhac
Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?
Marc Desgorces-Roumilhac : Père gaulliste historique, résistance dans le maquis du Limousin, 1ère Armée de France constituée sur le sol national dès la mi-juin 1944, celle qui a réduit la poche de Saint-Nazaire en août, bien après le 8 mai 1945. Mais passé par les Chantiers de jeunesse, groupement n°1 Maréchal Pétain. Donc plongé dès l’enfance et l’adolescence dans les notions de devoir et de patriotisme. Mais, moi, j’ai opté très vite pour le militantisme nationaliste pur et dur dès 1970. A Toulouse, ensuite à Sciences Po Paris. Puis vers le combat métapolitique, d’autant que mon court passage comme officier de Marine embarqué et ma longue carrière de DRH et secrétaire général dans le privé m’obligeaient à un certain de devoir de réserve. Dès que j’ai fait mon outing lors d’une conférence presse avec Marine Le Pen et Gilbert Collard, le terrorisme intellectuel et l’interdit professionnel se sont abattus sur moi. Un double mandat d’élu local à Toulon ne m’a toujours pas convaincu que ce soit par la voie politicienne et électorale que nous allons sortir la France de l’abîme, s’il reste une chance. D’où la nécessité à mes yeux de continuer le combat des idées partout, tout le temps. La perspective historique constitue à cet égard une arme indispensable.
Breizh-info.com : Pavés rouges est une réaction à chaud d’Henri Béraud sur les événements du 6 février 1934. Quelle est, selon vous, la spécificité de son regard sur cette journée par rapport à d’autres témoignages de l’époque ?
Marc Desgorces-Roumilhac : L’originalité de la vision de Béraud, c’est d’abord le point de vue à partir duquel il s’exprime. Ce n’est pas du tout un ligueur, encore moins un factieux. Sa réaction est celle d’un honnête homme, indigné par le massacre de patriotes restés confiants dans l’esprit de l’union sacrée.
Breizh-info.com : Vous signez la préface de cette réédition. Pourquoi était-il important de republier ce texte aujourd’hui ?
Marc Desgorces-Roumilhac : Parce qu’il n’a jamais été aussi actuel depuis près d’un siècle. L’environnement sociologique et politique des années 2020 rappelle fortement, mutatis mutandis bien sûr, celui des années 1930.
Breizh-info.com : Contrairement à d’autres écrivains et journalistes de l’époque, Béraud semble voir dans le 6 février 1934 un symptôme plus qu’un accident. Comment explique-t-il cet embrasement et ses conséquences ?
Marc Desgorces-Roumilhac : Vous avez raison quant à la vue de Béraud sur l’événement. L’explication, il nous la donne dans le corps de Pavés rouges, je la rappelle dans la préface, c’est toute la décadence des années précédentes dont on paie le prix en 34. Les conséquences, il les prévoit de façon lumineuse, visionnaire, la lecture de Pavés Rouges est saisissante de prémonitions.
Breizh-info.com : Le 6 février 1934 est une date clé pour comprendre la fracture entre républicains et nationalistes, mais aussi entre les droites elles-mêmes. Béraud prend-il position clairement dans son récit ?
Marc Desgorces-Roumilhac : Ce n’est pas exactement le souci de Béraud, du moins en 1934 dans Gringoire et dans Pavés rouges. C’est le moment où il se sent quitter ses références idéologiques initiales, la gauche républicaine pour faire court, mais il dit bien qu’il n’a aucune envie de rejoindre la droite pour autant. Les fractures entre camps ou à l’intérieur des camps, ce n’est pas son sujet.
Breizh-info.com : Certains ont vu dans le 6 février 1934 une tentative avortée de coup d’État, d’autres une simple manifestation réprimée dans le sang. Quelle lecture Béraud en fait-il et comment la compare-t-il aux événements similaires dans l’histoire de France ?
Marc Desgorces-Roumilhac : Béraud, dans Pavés rouges, ne voit pas du tout dans le 6 février un mouvement factieux prémédité et organisé, comme la Cagoule plus tard, par exemple. Il ne minimise pas non plus la tuerie en une manifestation qui aurait mal tourné. Il voit ce drame de plus en amont quant aux causes, et plus loin en aval quant aux conséquences. C’est pour lui, d’une certaine manière, l’affaire de Panama renouvelée, car à l’époque les chéquards avaient réussi à faire avorter la révélation des scandales. Et le peuple entretenait depuis lors, consciemment ou implicitement, une colère rentrée contre cette injustice restée impunie.
Breizh-info.com : La gauche de l’époque a souvent présenté ces émeutes comme une menace fasciste. Or, les ligues présentes étaient multiples, et certaines refusaient toute référence au fascisme italien ou au national-socialisme allemand. Comment Béraud analyse-t-il ce contexte ?
Marc Desgorces-Roumilhac : Béraud n’est dupe ni du théâtre antifasciste de la gauche (« les fascistes, c’est vous » écrit-il) ni des éventuelles arrière-pensées des ligues. Il voit avant tout dans le 6 février 1934 la répression horrible et inexcusable du patriotisme et des patriotes.
Breizh-info.com : Vous avez écrit la préface de cette réédition en 2025, dans un contexte où la défiance envers le pouvoir et les élites atteint des sommets. Voyez-vous un parallèle entre le climat de 1934 et celui d’aujourd’hui ?
Marc Desgorces-Roumilhac : C’est tellement évident. C’est même terrible, au sens étymologique du terme. Francis Bergeron a parfaitement analysé ce parallèle : « son cri d’indignation peut toujours être lu avec intérêt, près de cent ans après sa première parution. Remplacez communisme ou hitlérisme par islamisme et vous trouvez d’étranges similitudes avec notre époque. ».
Breizh-info.com : Que reste-t-il selon vous de cet héritage ?
Marc Desgorces-Roumilhac : L’exemple du courage de Béraud qui s’est remis en question et qui s’est mis en danger. Plus jamais après 1934 Béraud ne sera le même qu’auparavant, plus jamais il ne sera perçu de la même manière. Il en subira des blessures personnelles, professionnelles, politiques et littéraires.
Breizh-info.com : Si Béraud était encore vivant aujourd’hui, quel regard porterait-il, selon vous, sur la France de 2025 ? Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent en priorité en refermant cette nouvelle édition de Pavés rouges ?
Marc Desgorces-Roumilhac : Je ne suis pas un béraldien assez émérite pour oser me placer dans sa tête. En revanche je sais ce que les Français de 2025 peuvent gagner à lire Pavés rouges. D’abord la certitude que placer le patriotisme, mettre la France, comme priorité, avant et au-dessus des appartenances communautaires, idéologiques, sociales ou autres, c’est une condition nécessaire, même si elle n’est pas suffisante, du redressement. C’est aussi la prise de conscience des dangers, des injustices, des difficultés qui assaillent ceux qui ont le courage de mener ce combat.
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine