Les femmes celtiques, longtemps évoquées par les récits gréco-romains, retrouvent aujourd’hui leur voix à travers les découvertes archéologiques. Des analyses ADN récentes et des fouilles en Grande-Bretagne confirment ce que les textes anciens laissaient deviner : dans la société celtique de l’âge du fer, les femmes jouissaient d’un rôle social et économique central, défiant les normes patriarcales des civilisations contemporaines influencées par le judéo-christianisme ou l’islam.
Une société matrilocale
L’étude, publiée dans la prestigieuse revue Nature, révèle qu’au sein de la tribu celtique des Durotriges, dans l’actuelle région de Dorset, l’organisation sociale était matrilocale. Cela signifie que les hommes quittaient leur communauté pour rejoindre celle de leur épouse, et que l’héritage, notamment foncier, se transmettait par les femmes. Cette structure, rare en Europe durant cette période, a été confirmée par l’analyse de 55 individus enterrés dans un cimetière datant de 100 av. J.-C. à 100 apr. J.-C.
L’équipe dirigée par la généticienne Lara Cassidy a pu reconstituer des lignées maternelles à partir de l’ADN mitochondrial. Les résultats montrent qu’une grande partie des membres de la communauté partageaient un ancêtre féminin commun, tandis que les relations patrilinéaires étaient quasi absentes. « Cela reflète une organisation où les femmes étaient au cœur des liens sociaux et économiques », explique Cassidy.
Pouvoir et prestige féminins
Ces découvertes s’inscrivent dans un contexte archéologique déjà révélateur. Les sépultures féminines de l’âge du fer en Grande-Bretagne, souvent ornées d’objets précieux tels que des miroirs, des bijoux et des coupes à vin, témoignent d’un statut élevé. Par exemple, une jeune femme de la tribu des Durotriges a été retrouvée avec un médaillon représentant une conductrice de char, symbole de pouvoir. Ces indices contrastent fortement avec l’image traditionnelle de la femme en tant qu’épouse ou subordonnée.
Pour Miles Russell, archéologue à l’université de Bournemouth, ces découvertes renforcent l’idée que des figures comme Boudica, la célèbre reine guerrière des Iceni, n’étaient pas des exceptions. Les Romains, habitués à une société profondément patriarcale où les femmes étaient exclues du pouvoir et de la propriété, percevaient les sociétés celtiques comme « barbares » précisément en raison de la place accordée aux femmes. Leurs récits, bien que souvent biaisés, font état de reines comme Cartimandua des Brigantes ou des femmes capables de prendre plusieurs maris, défiant les conventions romaines.
Une vision complémentaire aux récits historiques
Ces résultats génétiques et archéologiques viennent nuancer les récits antiques. Si les écrits de Jules César ou Tacite décrivaient des femmes puissantes, ils le faisaient souvent à travers le prisme de leurs propres préjugés. Ces femmes étaient perçues comme « exotiques » et leurs mœurs jugées contraires à la « civilisation » romaine. L’analyse scientifique offre un point de vue plus objectif, corroborant certaines affirmations tout en écartant les éléments purement propagandistes.
Cependant, comme le souligne l’archéologue Lindsay Allason-Jones, il reste à déterminer si ce modèle était généralisé à toute la Grande-Bretagne celtique ou spécifique à certaines tribus. Les restes humains de l’âge du fer étant rares en raison de la nature acide des sols britanniques et de la pratique fréquente de la crémation, chaque découverte apporte une pièce précieuse au puzzle.
Malgré ces limites, les éléments recueillis dans d’autres régions comme le Somerset, le Yorkshire ou encore l’Oxfordshire montrent des traces similaires de matrilocalité et d’autonomisation féminine, suggérant que cette organisation pourrait avoir été répandue.
Héritage et réflexion moderne
Cette recherche offre une nouvelle perspective sur la société celtique et soulève des questions sur la manière dont l’histoire a été écrite. Dans une époque où la gauche se fait des nœuds au cerveau sur les rôles des deux sexes dans la vie sociale, ces découvertes mettent en lumière une civilisation où les femmes jouaient un rôle clé, non seulement dans la sphère privée, mais aussi dans les structures sociales et économiques.
Ces femmes celtiques, loin des clichés des récits romantiques ou des stéréotypes romains, apparaissent aujourd’hui comme les gardiennes d’un modèle de société fondé sur l’équilibre et la reconnaissance des deux sexes. Ce modèle, bien que minoritaire, interpelle et inspire une réflexion sur les possibilités d’organisation sociale à travers l’histoire. Espérons que nous aurons des études comparables sur les Celtes continentaux, notamment en Bretagne.
Balbino Katz
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