Je fus, un jour, conviée à une réunion politique. Période brestoââse. Un type de gauche. A la fac avec moi. Sympa. Persuasif. Sourire. M’avait emmené prendre un chocolat. Bon… « Je passe te prendre ! » Ouaih.
Me retrouve donc un dimanche de février. Patronage laïque Sanquer. 10h du mat’. Là je commence à regretter ! Faisait bien froid. Crachin. Salle pas chauffée. J’avais des collants mi-cuisse. Et pas d’écharpe pilou-pilou. Mauvais calcul.
Nous voilà donc à écouter. Messe de gauche. L’ancêtre de LFI… genre Front Machin. Théodule de l’époque… Discours sur la classe ouvrière. « Union des travailleurs ». « Offensive du Medef ». « La Droite ». Bref, c’était la lutte finale ! Par contre, vu la gueule des types qui étaient là… Etudiants à peine frais. Bourrerie de la veille… profs…m’étonnerait qu’il y avait beaucoup de représentants des damnés de la terre dans le complot. La classe ouvrière doit faire la Révolution. C’est son « rôle historique ». Mais faudra bien la prévenir longtemps à l’avance. Et venir la réveiller si ça se passe un dimanche matin. Sinon, la prise du Palais d’Hiver, ce sera l’affaire des profs de géo.
Bref…
En tout cas, moi je commençais à me faire un peu chier. La Révolution, ça va bien 5mn, mais bon. Partielles à réviser tout ça…Shampoing… bouquin. Trucs de fille. En Droit à l’époque fallait bosser un peu.
C’est à ce moment-là que mon « rôle historique » arriva ! Dans l’Histoire du monde. Un type sur l’estrade commence à s’enflammer. « Les femmes, les feeeeemmes ». On allait sauver la planète ! Cool ! Arrive un moment de flottement… Plus de bruit. Tous les regards se tournent vers moi. Viiii ? Je savais que mon petit haut allait attirer tous les regards. « Oh c’est un truc très simple, vous savez. Acheté une misère ». Euh. Apparemment, ce n’était pas pour mon goût de l’assortiment que je me retrouvais soudain au centre de l’attention. Quiproquo. Faut dire que j’écoutais à peine. En fait, j’étais la seule madame dans la salle ! En clair, j’allais renverser l’Histoire à moi toute seule. Et là, mon « rôle historique » commence ! On me refile le micro. Pas le choix, je le redis, j’étais la seule. Et je devais dire pourquoi j’étais opprimée. Et si je ne me sentirais pas d’être un peu la « force motrice des masses du XXè siècle » par hasard ? Euh… Bah pas mardi en tout cas, parce que j’ai pris rendez-vous chez le coiffeur ce jour-là… frange…
Mais sur scène, la machine à s’enflammer était bien partie… Plein régime ! « Les femmes, les feeeeeemmes ». Un type genre Bertrand Cantat du Finistère mâtiné Kakanoff roulait des yeux. « Pourquoooooi, il n’y a pas plus de feeeeeemmes ici ce matiiiiin ? Les feeeeemmes, les feeeeeeemmes ! » Un cyclotron avec des bras qui bougeaient partout. « Les masses en mouvemeeeeeeent ». Vloum vloum.
Et l’autre ahuri que de me désigner. La star du jour ! Sous les sunlights des Tropiques ! Mi-Vierge rouge, mi-blandine dévorée par les lions. J’étais là. L’exemple à suivre ! Je me serais levée en disant « Suivez-moi et abattons le capitalisme ! » qu’on serait toujours dans Wall Street en ce moment !
A la place de me prendre au jeu, comme une conne, je dis au micro : « en même temps, y’a pas marqué « interdit aux femmes » sur la porte. Elles n’ont pas voulu se lever peut-être ? Si elles avaient voulu venir… S’occupent peut-être de leurs gosses ? »
Ah bah là ! L’erreur ! Oh lô lô lô lô. Concert dans la salle ! Hurlements ! Ca se jetait des balcons d’indignation. « Les femmes sont opprimééééées » ! « Assignées à marmots » ! « Patriarcat » ! « Fascisme » ! Y’avait bien 100 000 bonnes femmes à Brest à cette époque et visiblement elles étaient toutes barricadées par leur bonhomme. Pour les empêcher de venir au grand meeting de la salle Sanquer à 10h du mat’ ! Et on était largement 30 ans avant la vague néo-féministe d’aujourd’hui ! Déjà ça partait dans les aigus ! Bref, je n’avais visiblement pas compris à quel point j’étais réduite en esclavage. Par un mec que je n’avais pas ! Et là, d’un coup d’un seul. Bien enhardie. Je commença ma carrière de droitarde. En une seule phrase !
– « Bah justement… vos femmes, en ce moment, elles font quoi ? Qui garde les mioches ? Et prépare le rôti ? Pourquoi elles ne sont pas là ? Ca aurait été un bon début déjà. »
Deuxième échelon dans le hurlement. J’étais devenue super-Adolf. La Christine Boutin de la rade de Brest. La retraite de Russie à moi toute seule. Fallait voir le récital ! « Commeeeent ? Commeeeeent ? » Le pote qui m’avait emmené là se planquait comme une lopette. A pas dû faire carrière au « Parti » cui-lâ ! Tu mets LFI au pouvoir, c’est analyse de la production d’aluminium au Venezuela obligatoire un 15 août sur la plage. Pour tout le monde. Au garde à vous et en maillot. Sinon c’est les dents de la mer !
Moitié amusée, moitié bien saoûlée, je suis sortie. Y’avait « atelier Droit des femmes » l’après-midi. Avec que des mecs donc. Séché. L’impression qu’on me préparait un beau procès stalinien. Certifié Rennes 2. Et puis il faisait trop froid à mes p’tites cuissottes.
A cette époque là, rue Jean Jaurès, il y avait un petit magasin de fringues ouvert le dimanche. Seconde main. Un peu steam punk avant l’heure. Sur ma route. J’y ai trouvé une très jolie petite robe noire ! Puis suis rentrée chez moi. Bon bouquin et thé chaud. C’était un bel après-midi !
Au moins. Pendant 5mn de temps, j’avais quand même été un peu la « force motrice de l’Histoire ».
Anne-Sophie Hamon
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7 réponses à “Le jour où j’ai été « la force motrice des masses du XXè siècle » pendant 5mn [L’Agora]”
Bonjour,
Vous avez osé brisé leur rêve ! Vilaine pas belle !
Cdt.
M.D
Excellent !!!
Que voilà une Femme avec un F majuscule ! Elles existent encore, Dieu soit loué ! Merci Madame d’avoir égayé ma matinée glaciale où les fumées des cheminées peinent à s’élever alors que le soleil perce un petit brouillard d’altitude avec la volonté de nous offrir une journée radieuse. Ce sont ces instants fugaces de bonheur dont il faut profiter à l’excès car ils pansent les blessures de tous nos espoirs déçus.
Belle plume pleine de verve madame! On s’y croirait. Comme dans du Céline.
demat sacrée Anne-Sophie ! ; après la lecture de cet article humoristique et des commentaires il me vient à l’esprit une chanson icône de Patrick JUVET disparu il y a trois ans « où sont les femmes » une chanson de 1977 pour se distraire encore et encore ; kenavo
Belle évocation. Merci de rappeler que, dans la famille Hamon, il n’y a pas eu que Benoït à Brest !
Extra, le style décoiffe, l’histoire c’est du dessin animé ou de la bande dessinée, du Bourvil et Gabin réunis avec un zeste de Darry Cowl….on se tord de rire et ça fait du bien….encore, encore Breizh-info et on va casser notre tirelire pour que vous puissiez nous régaler encore longtemps avec des chipies de ce genre XXL….