Quand un gouvernement est faible, les grandes entreprises font la loi. Et comme elles sont engagées dans la mondialisation, les délocalisations deviennent la règle. Et le sort de la Fonderie de Bretagne leur importe peu puisque Matignon se montre incapable d’imposer une solution made in France.
A Caudan (près de Lorient), on est habitué à voir la Fonderie de Bretagne en difficulté et ses 350 ouvriers – qui fabriquent de pièces en fonte pour les suspensions et les échappements – proches du licenciement. « L’usine de fabrication de pièces automobiles a été cédée par Renault Group en novembre 2022 au fonds d’investissement Callista [Callista Private Equity]. Depuis le printemps 2024, l’usine est à nouveau en vente et est entrée en négociations exclusives avec Private Assets [Private Assets SE & Co. KGaA, société d’investissement installée à Hambourg et spécialisée dans les entreprises en difficulté] pour le rachat. Le fonds d’investissement a livré cet été un rapport pour détailler son plan de reprise. Avec des conditions, notamment que Renault maintienne ses volumes jusqu’en 2028. » (Ouest-France, Bretagne, vendredi 22 novembre 2024)
Au cours du mois de décembre, on a cru que les choses étaient en train de s’arranger. « L’Etat et la Région Bretagne s’étaient engagés à participer, respectivement à hauteur de 14 millions d’euros et de 1 million d’euro dans le projet de reprise. Renault annonçait mobiliser 35 millions d’euros dans la cagnotte. Private Assets, déjà propriétaire d’un groupe de fonderie, promettait de ramener d’Allemagne 11 000 tonnes de pièces mais refusait d’engager de l’argent, avant de consentir d’ajouter 3 millions d’euros au pot. » (Le Télégramme, samedi 21 décembre 2024)
Dans ce dossier, le rôle de Renault est stratégique puisqu’il « représente 95 % des pièces sorties de FDB, qui produit aussi pour BMW et a réussi à conquérir de nouveaux marchés comme dans l’agricole avec le géant du secteur, Johan Deere, des obus pour la défense, du mobilier urbain comme les plaques d’égout et ou encore le ferroviaire. Des process qui prennent du temps, entre les études et la sortie de l’usine. » (Le Télégramme, mercredi 18 décembre 2024)
Renault préfère la Turquie à la Bretagne
Finalement, la négociation échoue car Renault refuse de prendre des engagements quant aux volumes des commandes adressées à l’entreprise. « Il manquait de la visibilité sur les volumes commandés par Renault à FDB pour les années 2025, 2026 et 2027 pour finaliser un accord », indique la direction de la Fonderie de Bretagne. « Renault refuse d’apporter suffisamment de visibilité sur la part de marché de leurs commandes attribuées à FDB. Or cette visibilité est nécessaire pour permettre tout projet de reprise industrielle », précise le cabinet du ministre de l’industrie, Marc Ferracci (Presse Océan, samedi 21 décembre 2024)
« La cessation de paiements devrait être fixée entre le 13 et le 15 janvier. L’usine sera placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Rennes, le 22 janvier prochain. Aujourd’hui seule l’unité de finition tourne dans l’usine avec moins d’une centaine de salariés. Les autres sont au chômage partiel. » (Ouest-France, Bretagne, 11-12 janvier 2025)
L’attitude de Renault est vivement critiquée. Par exemple par Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne, qui dénonce « l’irresponsabilité » et le « cynisme » du groupe automobile qui « abandonne les salariés de la Fonderie de Bretagne après quatre ans d’engagements, d’efforts et de lutte de leur part. » (Presse Océan, samedi 21 décembre 2024). Du côté de l’entreprise, on se montre tout aussi sévère. Ainsi Maël Le Goff, secrétaire de la section CGT de la FDB, pointe la responsabilité du constructeur automobile : « Je le redis, c’est Renault qui a la mainmise sur l’Etat, on a un état faible et il s’est engagé trop tard sur le dossier ». Jérôme Dupont, le directeur de l’usine, va plus loin : « On était tout prêt d’un accord. Renault Group, notre ancien actionnaire a attendu le tout dernier moment pour annoncer qu’il refusait de donner la visibilité nécessaire concernant le volume de pièces, ils ont ainsi condamné le projet. Ils ont déjà commencé à délocaliser la production. Ils préfèrent tuer 300 emplois en France plutôt que de revenir sur leur stratégie inique. Renault a tout entrepris pour fermer cette entreprise avec une stratégie absolument scandaleuse et on va rejoindre la longue cohorte des entreprises qui ont péri sous les coups de Renault, dont la responsabilité de la désindustrialisation de la France doit être une nouvelle fois soulignée. » (Ouest-France, Bretagne, 21-22 décembre 2024) Voilà Luca de Meo, le directeur général de Renault, habillé pour l’hiver…
Renault plus fort que l’État
Damien Girard (écologiste), député de Lorient, a raison de rappeler que l’Etat, actionnaire à hauteur de 15 % de Renault, « n’a pas été à la hauteur du moment » et que le groupe réalise des « résultats records nets de 2,3 milliards d’euros » (Ouest-France, Lorient, 21-22 décembre 2024). Même son de cloche avec Gilles Carréric (gauche), maire de Lanester et président du groupe d’opposition Lorient agglomération : pour lui, les 300 salariés ont été « victimes d’un groupe automobile surpuissant, Renault, capable de dicter sa loi au nez et à la barbe de la puissance publique (…) L’Etat a sa responsabilité engagée dans cet échec. » (Ouest-France, Lorient, 21-22 décembre 2024) D’autres éléments méritent d’être soulignés. Dans une lettre adressée à Emmanuel Macron, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, et François Hommeril, président de la CFE-CGC, dénoncent le fait que les volumes existent mais que les pièces fabriquées pour Renault seront désormais fabriquées en Espagne, au Portugal et en Turquie. Pour les signataires de la lettre ouverte adressée au président de la République, « l’Etat dispose de leviers pour imposer à Renault de jouer le jeu du made in France ». Et ils rappellent, enfin, que le groupe « a touché 298 millions d’aides publiques en 2023 et a bénéficié d’un prêt garanti par l’Etat de 4 milliards. » Lequel Etat est actionnaire de Renault à hauteur de 15 %. (Ouest-France, Bretagne, vendredi 3 janvier 2025)
Jean-Yves Le Drian n’aurait jamais laissé faire
Dans un système libéral et centralisé comme le nôtre, il convient de noter l’importance pour la Bretagne de posséder des « poids lourds » au gouvernement ; il est certain que si Jean-Yves Le Drian était toujours président de la Région Bretagne et ministre de la Défense nationale, comme c’était le cas à l’époque Hollande, jamais Renault ne se serait permis une telle décision. Un petit coup de téléphone de Le Drian à Luca de Meo aurait suffi pour que ce dernier se fasse petit garçon et réponde : « Bien entendu, monsieur le ministre, c’est une erreur, je vais donner des instructions pour que Renault assure les volumes pendant la période nécessaire ». A l’époque gaulliste où le dirigisme et l’aménagement du territoire étaient la règle, il ne serait jamais venu à l’esprit du patron de Renault de songer à provoquer la chute de la Fonderie de Bretagne ; il se serait fait virer. Rappelons qu’en ces temps anciens, l’Etat possédait le contrôle total de la « Régie nationale des usines Renault », conséquence de la nationalisation de l’entreprise à la Libération. Mais, avec les différentes vagues de privatisation initiées en particulier par Jacques Chirac (Balladur) et Lionel Jospin (Strauss-Kahn), la part de l’Etat est tombée à 15 %. Et la capitulation des politiques face au CAC 40 a fait le reste…
Bernard Morvan
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6 réponses à “C’est mal parti pour la Fonderie de Bretagne”
Alors, là, je suis déçu par ce discours étatiste et socialiste.
Le problème venant selon moi d’un excès du poids de l’état et de ses interventions dans l’économie.
Comme pour Michelin à Vannes, les causes sont a rechercher du coté du poids de la règlementation et de la fiscalité.
Tant que ces causes ne seront pas réglées, nous continuerons à voir la France se désindustrialiser, quels que soient les mérites des travailleurs, bretons ou non.
La SBFM crée suite a la fermeture des forges n a jamais été viable et vit de subventions , c est la CGT qui dirige (mal) cette usine !
Le Drian, sauveur de l’industrie bretonne, la bonne blague ….
Ministre de la défense pendant cinq ans (de 2012 à 2017), il n’a pas fait de miracles, vu l’état de notre armée.
Sa mission au Liban comme envoyé personnel d’Emmanuel Macron n’a pas marqué les esprits.
Il faut espérer qu’ en tant que que président de l’agence de développement de la région Saoudienne d’ AL-Ula, il fasse mieux.
Arrêtons de croire aux hommes providentiels
« … le rôle de Renault est stratégique puisqu’il représente 95 % des pièces sorties de FDB… »
si cest effectivement le cas, il sagit d’un abus de dépendance économique et des recours sont possibles pour FDB
Très mauvais article : on croirait lire Ouest-France. Comme dit précédemment, la Fonderie de Bretagne est effectivement dirigée par la CGT et son Secrétaire Général local Maël Le Goff. Contrairement à ce qu’il laisse entendre, le Parti n’est pas contre le Capital quand ce dernier lui revient et il sait très bien coopérer avec les fonds d’investissement : 14 millions + 1 million + 35 millions + 28 autres en 2023 + 0 € pour les fonds d’investissement. Seuls nos décideurs publics sont capables d’une telle expertise ! Ne confondons pas investissements et dons. Les fonds d’investissement sont d’excellents collecteurs de dons. Tous ces millions auraient pu créer plus de 300 emplois, fort rentables au demeurant.
Le bêlement habituel en faveur du patronat, pas mes artisans mais le Patronat apatride dont parlait Beau de Loménie vers 1930…LISEZ-LE au lieu de nous empoisonner avec vos feulements anaux qui nous empêchent d’avoir de l’air pur pour respirer! Les penseurs catholiques avaient attiré l’attention sur la toxicité de ce patronat criminel qui faisait appel au gouvernants socialo-radicaux pour faire donner la troupe et ouvrir le feu! Ce n’est pas un problème d’impôts selon les relents haineux de petits commerçants qui n’ont pas de retraite mais qui ont collectionné les appartements!