Le roman Jules Matrat, de Charles Exbrayat, paru en 1942, ne se focalise pas sur la guerre des tranchées mais, à travers le destin brisé d’un jeune homme, révèle les dommages psychologiques causés par la Première Guerre Mondiale sur la population des campagnes. Il fait l’objet d’une superbe adaptation en bande dessinée.
Août 1914. En plein milieu de l’après-midi, alors qu’il coupe du bois dans une forêt de Haute-Loire, à Chervagne, Jules entend sonner le tocsin. Ce grand gaillard, souvent perdu dans ses pensées, est un taiseux. Il croise Marius qui l’informe que c’est la guerre contre les Allemands. Tous deux sont mobilisés mais pensent que ce sera une affaire de quelques mois. On va reprendre l’Alsace et la Lorraine ! Jules passe sa dernière soirée avec Rose, la sœur de Marius. Leur premier baiser scelle leur projet de mariage, dès qu’il sera de retour. Sur le front, Jules fait la connaissance de Louis Agnin, un paysan qui vient des Alpes. Ils vont se lier d’amitié en évoquant leurs terres et leurs fiancées. A la fin du mois d’août, le maire de Chervagne, qui reçoit les premières lettres du ministère lui annonçant la mort de jeunes du village, doit porter la terrible nouvelle aux familles. Les mois passent. Lors de chaque permission, Jules revient de plus en plus renfermé…
En mars 1918, sur le front, Jules attend le retour de permission de son ami Louis. Celui-ci met du temps à revenir car il vient de se marier avec Gladys. Peu de temps avant la fin de la guerre, les deux amis doivent éliminer un tireur allemand en embuscade. Mais Louis est abattu. Dès lors, Jules ne donne plus de nouvelles à sa famille. Après l’armistice, Jules prend un train et rejoint Le Puy en Velay. Il s’assoit à la terrasse d’un café et, ressentant une profonde mélancolie, refuse de parler de la guerre aux autres clients. Puis Jules regagne son village. Ses parents et Rose, qui ont vécu quatre ans dans l’angoisse de recevoir une mauvaise nouvelle, l’attendent. Rose se rend compte que quelque chose a changé chez son fiancé. Celui-ci ne parvient plus à s’abandonner aux plaisirs de la vie. Malgré tout, Jules et Rose réaffirment leur souhait de se marier. Mais Jules ne parvient pas à oublier son compagnon d’armes mort sur le front, provoquant même la jalousie de son épouse…
Serge Fino, dessinateur autodidacte, nait en 1959 à Toulon. Il commence à publier dans des fanzines de la région méditerranéenne tels que Bedesup (parution de 1979 à 1996), créé par Jean-Claude Faur, alors conservateur de la bibliothèque municipale de Marseille. Serge Fino remporte ensuite les premiers prix aux concours BD amateurs des festivals de Toulon en 1981, Hyères en 1982 et Cholet en 1986. Ses premières œuvres sont dans les domaines fantastique (Les soleils rouges de l’eden, Les ailes du Phaéton, Starblood, La couronne de foudre…) ou historique (François Ier le roi chevalier aux éditions Reynald Sécher, Les maîtres Saintiers, Spartacus le gladiateur). Puis il devient l’un des spécialistes de la bande dessinée maritime et bretonne. On a apprécié ses albums, Quand souffle le vent des îles (Ed. Soleil) et Le Finistère une histoire entre terre et mer (Ed. du Signe), ainsi que de ses séries Chasseurs d’Écume (Ed. Glénat), L’or des marées (Ed. Glénat) et Seul au Monde (Ed. Glénat), consacrée au Vendée Globe.
Serge Fino choisit maintenant d’adapter Jules Matrat, roman de Charles Exbrayat paru en 1942, connu principalement pour ses romans policiers. L’histoire de Jules Matrat est sans doute identique à celles des autres poilus : un jeune homme heureux, amoureux d’une jeune fille, part au front résolu à faire son devoir. Dans les tranchées, Jules découvre la fraternité des armes et l’amitié qui en découle. Mais à la différence des grands classiques de la littérature (A l’ouest rien de nouveau, Les croix de bois…), qui se penchent sur l’horreur des combats et la vie éprouvante dans les tranchées, Exbrayat révèle les effets de la Première Guerre Mondiale sur la population des campagnes. La vie des campagnards, déjà rude, devient éprouvante pour ceux qui attendent le retour d’un fils ou d’un mari.
Comment Serge Fino a-t-il adapté ce roman ? Il choisit les moments les plus forts du roman et reprend la plupart des dialogues. Il utilise de nombreux blocs de textes descriptifs dans lesquels on retrouve la force du roman. Les textes dans les bulles et les dialogues semblent sortis directement du livre. Son adaptation est ainsi particulièrement fidèle.
Serge Fino dessine peu de planches se déroulant sur le front, préférant par des images fortes s’attarder sur le quotidien des familles. Il parvient ainsi à exprimer les sentiments avec justesse. Dans une mise en page classique, il excelle également dans les grands espaces, en reconstituant par exemple une ferme en pierres au milieu des champs. Les paysages de Haute-Loire sont superbes.
Travaillant en couleur directe, son choix de tons souvent ternes accentue le caractère dramatique du récit.
Cette superbe série est prévue en trois tomes.
Kristol Séhec
Jules Matrat, Livre 1, 64 pages, 15,50 euros ; Livre 2, 64 pages, 15,50 euros. Éditions Glénat.
Illustrations : DR
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Une réponse à “Jules Matrat, superbe bande dessinée sur les traumatisés de la Grande Guerre”
Ah un lapin sauté au beurre ou un civet de lièvre qui a maturé dans un Médoc tannique avec des petits morceaux de lard si possible de porc familial. Hélas on ne trouve plus de lièvre. Jadis il était offert à mon père par des fermiers. Autres temps!