Un député d’opposition polonais obtient l’asile politique en Hongrie, une première dans l’UE ? Explication.

Coup de tonnerre en cette fin d’année 2024 dans les relations polono-hongroises traditionnellement excellentes : le gouvernement de Viktor Orbán a décidé d’accorder l’asile politique au député polonais Marcin Romanowski, du parti Droit et Justice (PiS), qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt européen émis par Varsovie.

Le même jour, alors que la présence de Romanowski en Hongrie était déjà connue, la police polonaise perquisitionnait sur ordre du parquet national un monastère dominicain de Lublin à la recherche de cet ancien secrétaire d’État au ministère de la Justice qui est également numéraire d’Opus Dei.

Certes, les relations avec Budapest s’étaient déjà bien dégradées depuis l’arrivée au pouvoir en Pologne, il y a un an, d’une coalition des libéraux et de la gauche sous la direction de l’ancien président du Conseil européen Donald Tusk, qui avait déjà été premier ministre de son pays de 2007 à 2014. Récemment encore, le ministre de la Justice de Tusk, Adam Bodnar, accusait publiquement le gouvernement hongrois d’atteintes systémiques aux règles de l’État de droit, alignant ainsi les positions de la capitale polonaise sur celles de Bruxelles. Précisons cependant que Bodnar, qui était Défenseur des droits à l’époque des gouvernements du PiS (il avait été nommé par la majorité précédente), est aussi un ancien militant de gauche qui a toujours soutenu les revendications du lobby LGBT.

Dérive totalitaire de la démocratie libérale : la Pologne suit la tendance

C’est d’ailleurs également jeudi 19 décembre qu’avait lieu à la Diète polonaise l’examen en première lecture du projet de loi contre les discours de haine porté par Adam Bodnar. Celui-ci a ouvertement déclaré que la criminalisation des propos haineux ou supposés tels motivés par les préférences sexuelles ou « l’identité de genre » devait précéder les débats sur une loi établissant des unions civiles ouvertes aux homosexuelles. Ceci en théorie afin d’empêcher que ces débats soient l’occasions de « discours de haine », ce qui devrait dans la pratique verrouiller les discussions en faisant peser la menace de peines de prison sur ceux qui exprimeraient leur opposition à ce projet d’une manière dont le pouvoir jugera qu’elle porte atteinte à la dignité des personnes homosexuelles.

Le gouvernement Tusk cherche dans le même temps à imposer à partir de septembre prochain une éducation sexuelle à la mode LGBT avec des éléments d’idéologie du genre, tandis que la loi hongroise interdit désormais toute propagande LGBT à destination des mineurs, y compris à l’école.

Le 18 décembre, le ministre polonais de la Justice Adam Bodnar affirmait encore sur Politico, que la Hongrie ne pourrait revenir au respect de l’État de droit que quand Viktor Orbán serait parti.

En accordant l’asile politique à un député du PiS qui avait été secrétaire d’État du ministère de la Justice à l’époque du gouvernement de Mateusz Morawiecki, le gouvernement conservateur hongrois rend donc aux libéraux polonais la monnaie de leur pièce. Comme l’a rappelé l’avocat de Romanowski, Me Bartosz Lewandowski, c’est la première fois depuis la chute du communisme en 1989 qu’un politicien polonais se voit accorder l’asile dans un autre pays. Interrogé par le média hongrois Mandiner, le premier ministre hongrois Viktor Orbán a assuré que son pays donnerait l’asile à toutes les personnes persécutées chez elles, alors que le contexte de la question se référait clairement à la Pologne.

Les Hongrois ne pensent pas que Romanowski aura un procès équitable dans la Pologne de Tusk

Sur X, Balázs Orbán, le chef du cabinet politique du premier ministre (l’identité des noms de famille n’est qu’une coïncidence) a expliqué plus en détails pourquoi le député polonais Marcin Romanowski s’était vu accorder une protection internationale, sur la base de l’argumentaire de 40 pages présenté par son avocat : « Les actions du gouvernement libéral de Donald Tusk, qui a engagé une guerre juridique contre ses opposants, suscitent de vives inquiétudes quant à l’État de droit en Pologne. Marcin Romanowski a été arrêté en dépit de son immunité parlementaire, ce qui constitue une violation flagrante de la loi. Selon les législations européenne et hongroise, l’asile politique peut être accordé si un procès équitable n’est pas garanti au-delà de tout doute raisonnable et, dans le cas de Romanowski, ces conditions étaient clairement remplies

Romanowski avait effectivement été brièvement arrêté sur ordre du parquet en juillet dernier, avant qu’un juge n’ordonne sa libération en raison de son immunité parlementaire en sa qualité de représentant polonais à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, même si la Diète avait levé son immunité en qualité de député. Depuis, l’APCE, où fonctionnent les mêmes groupes politiques qu’au Parlement européen avec les mêmes alliances entre la gauche et le Parti populaire européen auquel appartiennent les amis de Donald Tusk, a toutefois levé l’immunité dont jouissait Romanowski.

Les mêmes procureurs qui ont infligés des mauvais traitement au père Michał Olszewski

Ce dernier est la cible du parquet depuis que, en janvier dernier, le gouvernement de Donald Tusk en a pris le contrôle après avoir destitué le procureur national sans l’accord, requis par la loi, du président de la République. Le nouveau procureur national a alors muté ou remplacé de nombreux membres du parquet à travers le pays et créé une équipe spéciale de procureurs pour enquêter sur l’utilisation, sous le gouvernement Morawiecki, de l’argent public affecté à un fonds appelé « fonds pour la justice ». C’est Romanowski qui était alors responsable de la gestion de ce fonds au sein du ministère de la Justice. Le gouvernement de Donald Tusk ne se contente toutefois pas de poursuivre les anciens décideurs politiques. Le père Michał Olszewski, un prêtre catholique qui dirigeait une fondation ayant bénéficié d’une importante subvention pour la construction d’un centre pour victimes de violences , a passé plus de sept mois en détention provisoire, de mars à octobre, avant que la Cour d’appel de Varsovie ne finisse par ordonner sa libération sous caution. Son principal tort : avoir obtenu cette subvention alors que les statuts de la fondation qu’il dirigeait ne lui permettait pas, de l’avis des procureurs mis en place par la nouvelle coalition gouvernementale, de participer au concours organisé pour l’attribution de ces fonds. Il serait ainsi soupçonné d’avoir agi de connivence avec les fonctionnaires du ministère de la Justice pour détourner des fonds publics, même si les chefs d’accusation du parquet à son encontre n’évoquent aucun enrichissement personnel. Le centre pour les victimes de violence a en effet bien été construit, même s’il n’a pas pu être achevé pour cause de blocage des fonds par le nouveau gouvernement. Un rapport publié samedi par le successeur d’Adam Bodnar au poste de Défenseur des droits vient par ailleurs confirmer les mauvais traitements infligés à ce prêtre catholique au moment de son arrestation et dans les jours qui ont suivi.

De la même manière que dans le cas du père Olszewski et de deux anciennes hautes fonctionnaires du ministère de la Justice arrêtées au même moment, les accusations de cette équipe spéciale de procureurs contre Romanowski soulèvent de sérieux doutes. Romanowski est ainsi accusé d’avoir, par exemple, obtenu des avantages personnels par ses décisions concernant l’attribution des subventions du Fonds pour la Justice. Il ne s’agirait cependant pas d’avantage matériels, à en croire les chefs d’accusation, mais d’avantages psychologiques et politiques : la satisfaction qu’il aurait éprouvée à soutenir des organisations en phase avec ses idées ainsi que les points marqués obtenus auprès des électeurs par l’attribution ciblée de fonds.

Viktor Orbán met en garde l’électorat hongrois contre ce qui se passe en Pologne

Sans doute le gouvernement de Viktor Orbán souhaite-t-il par sa décision alerter à la fois la communauté internationale et l’électorat hongrois sur les méthodes employées par la gauche libérale polonaise pour « rétablir l’État de droit » après les huit années de gouvernements conservateurs. Depuis plusieurs mois, l’opposition hongroise fait jeu égal avec le parti Fidesz de Viktor Orbán dans les sondages, et les dirigeants politiques à Budapest sont inquiets. Ils savent que les libéraux hongrois, qui les accusent de ne pas respecter la démocratie et l’État de droit, emploieront les mêmes méthodes que Donald Tusk et ses amis pour « rétablir » l’État de droit en en violant allègrement les règles, et ce avec le soutien sans faille de Bruxelles. C’est ce que Donald Tusk a appelé la « démocratie combative » quand il a voulu expliquer, lors d’une intervention devant un panel de juristes au Sénat polonais en septembre, pourquoi son gouvernement était parfois contraint de prendre certaines libertés avec les lois en vigueur en Pologne.

Car si c’est principalement la prise de contrôle des médias publics par la force il y a un an qui avait fait parler d’elle dans les médias internationaux, ceux-ci se sont beaucoup moins intéressés aux actions qui ont suivi : la prise de contrôle du parquet en janvier en violation de la loi, les violations répétées des immunités parlementaires, le remplacement des présidents et vice-présidents des tribunaux dans tout le pays sans demander l’avis du Conseil national de la magistrature même lorsqu’un tel avis est requis par la loi, le refus systématique, depuis le printemps, de publier et de reconnaître les décisions du Tribunal constitutionnel, la non-application des jugements de la Cour suprême (la cour de cassation polonaise) quand ceux-ci ne vont pas dans le sens de la coalition au pouvoir, la mise en cause répétée de la légitimité de ces deux tribunaux mais aussi de tous les juges nommés ou promus après la réforme du Conseil national de la magistrature de 2017 (soit environ un tiers des juges en exercice, ce qui est bien pratique pour remettre en cause tous les jugements qui ne conviennent pas au gouvernement de Tusk), l’exclusion systématique des médias trop critiques des conférences de presse du premier ministre Donald Tusk, la suppression de la subvention au PiS, principal parti d’opposition, à l’approche de l’élection présidentielle de mai 2025, et le refus d’appliquer le jugement de la Cour suprême qui ordonne le rétablissement de cette subvention, les répressions visant les associations et autres organisations à sensibilité conservatrices, patriotiques et/ou chrétiennes, etc. etc.

Soutien de l’UE à Donald Tusk

Ce « rétablissement » de l’État de droit est ouvertement soutenu par la Commission européenne qui a décidé en mai dernier de débloquer les dizaines de milliards d’euros jusqu’ici retenus pour cause d’atteintes supposées à l’État de droit et à l’indépendance de la justice en Pologne. Or si l’on pouvait parfois reprocher au PiS de prendre certaines libertés avec l’esprit de la loi, c’est désormais la lettre de la loi qui n’est plus respectée en Pologne par cette nouvelle coalition gouvernementale. Celle-ci sait qu’elle ne dispose pas d’une majorité suffisante pour renverser le veto présidentiel, et c’est pourquoi elle n’essaye même pas de modifier les lois mais cherche plutôt à les contourner ou même les piétine ouvertement au nom de la « démocratie combative ». Une démocratie combative qui combat surtout ses opposants « populistes de droite » par des méthodes bien peu démocratiques.

Si cette dérive se poursuit, sans doute les opposants politiques à l’Européen Donald Tusk pourront-ils bientôt trouver refuge non seulement en Hongrie, mais aussi aux États-Unis. Déjà en janvier dernier, J.D. Vance, le bientôt vice-président des États-Unis qui était alors uniquement sénateur, condamnait le silence de l’administration Biden après la prise de contrôle par la force des médias publics en Pologne. Or ce n’était pas grand-chose à côté de ce qui allait suivre…

Olivier Bault (Institut Ordo Iuris, pour la culture du droit)

Précision utile : Me Bartosz Lewandowski, travaille avec le Centre d’intervention judiciaire de l’Institut Ordo Iuris pour la culture du droit. mais il a aussi son propre cabinet d’avocat et c’est à ce titre qu’il représente Marcin Romanowski. L’Institut Ordo Iuris, think tank juridique polonais à sensibilité catholique pro-vie, pro-famille, pro-libertés et pro-souveraineté, n’est pas engagé dans la défense de Romanowski.

Photo : DR
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4 réponses à “Un député d’opposition polonais obtient l’asile politique en Hongrie, une première dans l’UE ? Explication.”

  1. Georges S dit :

    s0r0 a bien eduque le peuple polonais, je ne les croyais pas aussi credules. Pauvre Pologne, apres 50 ans de sovietisme, le pays y retourne volontairement. Quelle tristess.

  2. VORONINE dit :

    La démocratie et la liberté vues par le gouvernement polonais , c’est à dire la commission de l ‘UE….

  3. Gaï de Ropraz dit :

    La Pologne est sur une pente décadente, alors que c’est un pays qui avait bien reagit dans le cadre d’un passé proche. Et je ne pense pas que la main de Poutine ait trempé dans cette affaire. A mon sens, il s’agit simplement d’une connerie locale comme seules les instances gauchisantes savent -et se permettent- de le faire. Bref, il est certain que le Député Polonais d’Opposition a bien fait de prendre la tengeante et sera bien reçu chez Viktor Orbàn…

  4. Raymond Neveu dit :

    Nous sommes loin de Sobieski sauvant Viennes des hordes d’Allah soupe, des lanciers polonais qui pulvérisèrent les batteries espagnoles au col de Somosierra.

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