Dans certains milieux, on est habitué à « dégueuler » sur le RN. Pourtant le nombre d’électeurs obtenu par ce parti montre qu’une certaine réserve s’impose ; sinon on ne respecte pas la démocratie et ses principes de base. Si, demain, le RN obtient des députés en Bretagne, il faudra s’y faire et accepter le verdict des urnes. Même si, pour certains, les intérêts bretons n’y trouvent pas leur compte.
Le Rassemblement national n’a pas que des amis ; on a pu s’en rendre compte une nouvelle fois à l’occasion d’une réunion publique organisée par le RN à Orvault. D’un côté Jean-Sébastien Guitton, le maire écologiste de la commune, rappelle : « Non, on n’en veut pas du projet de l’extrême droite. Nous sommes profondément opposés au projet xénophobe, climatosceptique et populiste de ce parti d’extrême droite. » (Dimanche Ouest-France, Loire-Atlantique, 15 décembre 2024). De l’autre le collectif Visa44 (CGT, FSU, Solidaires…) est encore plus catégorique : « Le RN n’est pas le bienvenu ni à Orvault ni ailleurs. C’est un parti ancré à l’extrême droite, nationaliste, raciste, sexiste, écosuicidaire et xénophobe. » (Presse Océan, samedi 14 décembre 2024). Avec ça, le délégué départemental du RN en Loire-Atlantique Gauthier Bouchet est habillé pour l’hiver ! Voire pour plusieurs hivers…
Mais il peut se consoler en considérant les résultats des élections européennes (9 juin 2024) dans son département ; la liste conduite par Jordan Bardella arrive en tête (129 801 suffrages, 22,75 %). Si on reprend le discours de Guitton et de Visa44, il y aurait donc en Loire-Atlantique 129 801 racistes, xénophobes, sexistes… Ce qui fait beaucoup ! La situation ne se présente guère mieux à Orvault puisque 1 913 électeurs (16,14 %) y ont voté pour Bardella. Que fait Guitton ? On peut faire un tour de Bretagne pour vérifier si, dans les autres départements, les « racistes » ( !?) étaient présents à ces élections européennes. Dans les Côtes-d’Armor, la liste de Jordan Bardella arrive également en tête (75 941 suffrages, 28,21 %). Dans le Finistère, la liste Bardella occupe la première place (98 369 suffrages, 24,89 %). En Ille-et-Vilaine, la liste Bardella se classe première (96 481 suffrages, 22,25 %). Enfin, dans le Morbihan, la liste Bardella fait aussi un carton : 96 150 suffrages, soit 28,58 %, devançant Valérie Hayer (18,04 %) et Raphaël Glucksmann (16,54 %).
A partir de ces résultats flatteurs, on peut s’étonner qu’aux élections législatives qui ont suivi, le RN n’ait pas été capable d’obtenir des députés en Bretagne. Deux raisons l’expliquent. Il faut d’abord prendre en considération le mode de scrutin. Aux européennes, nous avons affaire à un scrutin de liste à la proportionnelle dans le cadre national – chaque voix compte. Aux législatives, le scrutin uninominal majoritaire à deux tours oblige à obtenir la majorité dans une circonscription pour qu’un candidat soit élu ; or, jusqu’à nouvel ordre, le RN est incapable de l’emporter dans l’une des 37circonscriptions de Bretagne. Ensuite on a pu vérifier l’efficacité du “Front républicain“ qui a permis aux sortants macronistes d’être réélus, mais aussi les sortants de gauche.
Qui seraient les victimes des « cinq » ?
Dans une proposition de loi déposée en novembre 2022 à l’Assemblée nationale, le Rassemblement national appelait à ce que les députés soient élus au scrutin de liste dans le cadre départemental. Il paraît que ce n’est pas un hasard. « Si l’on prend pour base les résultats des dernières élections européennes et qu’on projette les rapports de force observés à cette occasion sur les élections législatives, il apparaît qu’avec un scrutin proportionnel de liste à la maille départementale, le RN aurait obtenu un nombre de députés très proche de la majorité absolue. Tandis qu’avec le même mode de scrutin mais à la maille régionale, il en obtenait seulement un peu plus de 200 », observe Terra Nova dans une note (Le Télégramme, mardi 17 décembre 2024). Rappelons qu’aux élections législatives de 1986, François Mitterrand avait imposé la proportionnelle dans le cadre départemental, ce qui avait eu pour effet de limiter la poussée de la droite (RPR et UDF) et de sauver les meubles du Parti socialiste.
Revenons à la Bretagne. Les résultats des récentes élections européennes montrent que le Rassemblement national serait assuré d’obtenir au moins un député dans chaque département si on appliquait le scrutin proportionnel, voire deux en Loire-Atlantique ; on imagine les hurlements de la droite, des centristes, de la gauche, de l’extrême gauche… Ces cinq nouveaux députés du RN trouveraient de la place au détriment soit des sept députés LFI (Murielle Lepvraud, Pierre-Yves Cadalen, Marie Mesmeur, Mathilde Hignet, Andy Kerbrat, Ségolène Amiot, Matthias Tavel), soit des cinq députés PS (Mélanie Thomin, Claudia Rouaux, Mickaël Bouloux, Karim Benbrahim, Fabrice Roussel), soit des trois députés EELV (Damien Girard, Julie Laernoes, Jean-Claude Raux), soit des deux députés LR (Corentin Le Fur, Jean-Luc Bourgeaux), soit des dix-sept députés Ensemble (macronistes) : Mickaël Cosson, Hervé Berville, Eric Bothorel, Annaïg Le Meur, Didier Le Gac, Sandrine Le Feur, Graziella Melchior, Liliana Tanguy, Erwan Balanant, Christine Le Nabour, Thierry Benoît, Sandrine Josso, Jean-Michel Brard, Anne Le Hénanff, Jimmy Pahun, Nicole Le Peih, Jean-Michel Jacques. Pour les indépendants et les tout petits, la partie deviendrait difficile ; c’est le cas de Paul Molac (Liot), Sophie Errante (non-inscrite), Tristan Lahais (Génération.s). Ou bien ils présentent une liste, ou bien ils parviennent à se caser sur la liste d’un « grand » parti… Dans les deux cas, la réélection n’est pas assurée.
Si la Bretagne n’a rien à gagner avec des députés LFI, certains estiment qu’elle ne tirerait pas davantage profit de députés RN qu’ils estiment trop jacobins. Il est vrai qu’au conseil régional de Bretagne, on remarque que les élus du RN ne défendent pas les intérêts bretons – qu’ils soient politiques, linguistiques, culturels, économiques ; ils ne sont même pas capables d’aborder la question des résidences secondaires avec le souci de défendre leurs électeurs (classes populaires) qui n’arrivent pas à se loger dans les communes du littoral. Mais aujourd’hui, pour de plus en plus d’électeurs bretons, faire des sujets de l’immigration et de l’insécurité une priorité, c’est répondre aussi à la défense des intérêts bretons.
Bernard Morvan
Illustration : DR
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Une réponse à “La proportionnelle permettrait au RN d’avoir des députés en Bretagne”
Sur ce sujet je pense qu’il faudrait interdire le désistement au deuxième tour.
Car cela pousse a des manipulations odieuses.