Mais de quelle Europe parlons-nous? [Tribune libre]

Dans une interprétation remarquable du film « Le Président » d’Henri Verneuil paru en 1961, Jean Gabin, jouant le rôle d’un Président de Conseil, posait la vraie question: de quelle Europe parlons-nous?

Notre nouveau Premier ministre, François Bayrou a, depuis de nombreuses années, la réputation d’être « européen ». Or, tous les Français sont européens par définition et un tel qualificatif paraît curieux pour un homme politique. De Gaulle, dans une conférence de presse de 1962, avait parlé de l’Europe « intégrée » et avait également soulevé le problème d’une Europe « fédérale » dans laquelle il ne trouvait aucun fédérateur européen, mais laissait entrevoir que le véritable fédérateur était américain.

Trois visions différentes de l’Europe

Jean Monnet, de Gaulle et Jacques Delors avaient chacun leur vision concernant l’Europe.

Celle de Monnet, très proche du pouvoir américain, était résolumment fédéraliste. Cela consistait à faire « les Etats-Unis d’Europe ». Dans ce projet, les souverainetés nationales (nations et peuples) disparaissaient pour laisser la place à un Etat « supranational »

Celle de de Gaulle conservait les « Etats-nations » et la souveraineté des peuples. De Gaulle l’appelait « l’Europe des patries » et elle reposait sur des coopérations entre les différents Etats européens sur des projets industriels de type Concorde ou Transall, ce dernier trouvant son prolongement dans l’Airbus (1970)

Quant à Jacques Delors, il a mis en place durant son mandat de président de la Commission Européenne, de 1985 à 1995, les éléments du fédéralisme tels que l’union économique et l’union monétaire, tout en se gardant bien de parler d’une europe fédérale.

Depuis lors, le mot n’a plus été prononcé mais tout à été fait pour l’établir au plus vite et on ne parla plus que de l’Europe qui, sous-entendu, ne pouvait être fédérale. Cette question n’a, du reste, jamais été posée directement au peuple français et la seule consultation du peuple prit la forme d’un référendum en mai 2005 portant sur un projet de « traité constitutionnel » qui induisait sans le mentionner le fédéralisme européen.

Les Français ne furent pas dupes et rejetèrent massivement ce projet. On aurait alors pu croire que la messe était dite et que, compte tenu de ce refus français, c’est une Europe des Patries et des Nations qui allait se mettre en place.

C’était sans compter sur la rouerie des élites européennes.

L’inclination eurofédéraliste de François Bayrou prévaudra-t-elle sur son engagement en faveur de la démocratie ?

Après avoir systématiquement soutenu les candidats « centristes » aux différentes élections, comme Jean Lecanuet en 1978 ou Simone Veil en 1989, il rejoint les « rénovateurs ».

En 2004, François Bayrou participe à la fondation du Parti Liberal Europeen et rejoint l’ADLE (Alliance des Démocrates et Libéraux pour l’Europe) dont le programme comportait 10 points:

  1. Promouvoir la paix dans le cadre d’une Union de type fédéral
  2. Faire de l’UE un acteur mondial en réduisant l’écart entre sa dimension économique et sa dimension politique
  3. Ouvrir et démocratiser l’Union européenne
  4. Garantir les droits fondamentaux de tous les citoyens européens
  5. Promouvoir l’éducation à tous les niveaux
  6. Renforcer la gouvernance économique après l’introduction de l’euro
  7. Éliminer les fraudes et la bureaucratie inutile
  8. Faire de l’Europe le chef de file mondial de la protection de l’environnement
  9. Rendre la mondialisation positive pour tous
  10. Garantir pleinement la reconnaissance et l’amélioration du rôle des régions européennes

Ce vaste programme devait être réalisé entre 2005 et 2009. Qu’en est-il aujourd’hui?

La promotion de la paix en Europe semble avoir fait long feu en particulier depuis 2022 où l’Union Européenne a décidé, sans l’avis des peuples, de soutenir l’Ukraine (pays non UE) contre la Russie.

Quelle est la raison invoquée?

Faire de l’UE un acteur mondial est resté lettre morte car elle n’a pas de contour défini ni de politique étrangère exceptée celles des Etats et qui sont incapables de parler d’une seule voix et sont en désaccord sur beaucoup de choses.

La démocratisation de l’UE, si on se base sur le fonctionnement de la Commission, n’est pas réellement un succès lorsque cette commission de non-élus entend devenir le pouvoir exécutif européen.

Difficile également de prétendre que la gouvernance économique est sortie renforcée depuis et que seuls quelques rares pays respectent encore les « critères de convergence » du traité de Maastricht.

La bureaucratie européenne est de plus en plus lourde et la réglementation produite devient de plus en plus paralysante.

La protection de l’environnement et notamment celle liée à la transition énergétique est en train de ruiner les industries de certains pays en les entrainant dans une récession qui met leurs économies en danger.

Enfin, à la lumière de la crise du COVID, les peuples européens ont pu constater à leur dépens les « bienfaits » de la mondialisation en découvrant qu’ils avaient perdu toute autonomie sur les médicaments, entre autres.

Quel sera le discours de François Bayrou sur l’Europe ?

Aujourd’hui Premier Ministre, François Bayrou a dit qu’il dirait toujours la vérité aux français. Face à « l’Himalaya » des problèmes qui se posent à lui, abordera-t-il le problème de l’Europe et du fédéralisme européen pour lequel il a toujours milité?

Conscient de ce « mur de verre » qui sépare la classe politique du peuple français, en analysera-t-il les causes profondes et notamment la rupture due à l’escamotage du résultat du référendum de 2005 par Nicolas Sarkozy et auquel le Modem créé par lui en décembre 2007s’est pourtant déclaré opposant ?

Choisira-t-il le maintien de la souveraineté du peuple français ?

François Bayrou s’est toujours positionné en défenseur de la démocratie. Le parti qu’il a fondé ne s’appelle-t-il pas « mouvement Démocrate » ? La souveraineté du peuple français est aujourd’hui menacée par le fédéralisme européen rampant et notre peuple en est conscient. Or, il ne peut y avoir de démocratie sans souveraineté populaire.

L’évolution de l’Union européenne oppose de plus en plus les peuples à ceux qui les dirigent. Ne pas vouloir prendre cette réalité en compte ne peut qu’augmenter les tensions entre les Etats alors qu’il est parfaitement possible d’engager l’UE sur une autre voie que celle du fédéralisme. Les BRICS et leur projet de « monde multipolaire » s’engagent à le faire dans le respect des souverainetés nationales, pourquoi ne pourrions-nous pas les imiter au niveau européen ?

La « paix de Westphalie » de 1648 s’est bien faite sur le concept des Etats-nations.

Monsieur Bayrou, faites tomber ce mur de verre et restaurez la souveraineté du peuple.

Jean Goychman

Illustration : DR
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2 réponses à “Mais de quelle Europe parlons-nous? [Tribune libre]”

  1. gautier dit :

    l’Europe des patries est devenue l’Europe des PARTIES ! dirigé par une autocrate non élue au service des bandéristes satanistes ! voila l’Europe ou nous vivons aujourd’hui et ou personnes ne bougent ! à par deux ou trois pays lucides !

  2. Ronan dit :

    Hello cette référence au Général DE GAULLE est très pertinente concernant l’Europe des Nations car je lis en ce moment  » sur les pas du Général DE GAULLE » aux éditions « Ouest-France » ; hélas j’avoue avoir voté oui en 1992 et 2005 et pardonnez-moi si vous voulez, je reconnais que j’ai fais une énorme erreur mais les hommes politiques de cette époque là et M. BAYROU en fait partie hélas n’avaient pas promis cette Europe autocratique et notamment M.PASQUA et Philippe SEGUIN et d’autres. Méa culpa, depuis le Covid, j’ai fais fonctionner mon esprit critique comme certains d’entre nous et me suis retrouvé malgré moi avec de vrais patriotes résistants aux manifestations contre le pass sanitaire puis vaccinal en 2021 et je me suis petit à petit persuadé que le Frexit serait un de nos moyens de nous libérer de cette Union Européenne d’Ursula. Mais je peux encore me tromper mais là, j’ai beaucoup d’espoir car je vois beaucoup de gens autour de moi qui se réveillent en éteignant leur télés et en allumant leurs cerveaux. Kenavo

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