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« Obsession du contrôle, état psychologique frisant la dépression, volonté messianique…». Nos élites par elles-mêmes : entrevue avec Ludovic Greiling

Si vous aviez apprécié la folle exaltation d’un Emmanuel Macron hurlant « C’est notre projet« , vous allez adorer « Le monde qu’ils veulent. Lire et écouter nos élites pour comprendre la révolution en cours« . Car cet ouvrage promet de vous l’expliquer… à travers les sources directes, à savoir les discours et les textes des dirigeants occidentaux eux-mêmes.

Raison pour laquelle il est aussi pertinent. Le journaliste Ludovic Greiling s’est en effet astreint à une relecture méticuleuse des dires d’Ursula Von der Leyen à Pascal Lamy, en passant par Antonio Guterres, Jose Manuel Barroso, Jean-Claude Trichet et bien d’autres. Le tableau qu’il nous livre – mêlant obsession du contrôle et de la planification, esprit de destruction, mais aussi violence et tentation messianique – est sidérant. Ludovic Greiling a bien voulu répondre à Breizh-Info.

Vous pouvez commander cet ouvrage ici.

Breizh-info.com : Vous évoquez un plan partagé par les élites mondiales, un « vaste processus d’unification », et les noms préférés des partisans de la théorie du complot – Geoge Soros, David Rockfeller, Klaus Schwab – s’alternent. M. Greiling, seriez-vous complotiste ?

Votre question ironique et bienveillante permet de poser un préalable : ce livre ne parle pas de supposées « élites mondiales » mais plus prosaïquement d’une partie de nos dirigeants, en Europe et en Occident. Il s’attache surtout aux dires et aux actions des personnes qui exercent ou ont exercé un pouvoir exécutif. Les Rockfeller, Soros, Schwab et d’autres ont une influence incontestable via les structures qu’ils ont créées ou co-fondées (Commission Trilatérale, Open Society, Forum de Davos, etc), mais elles ne sont que la marque d’une idéologie et de visions qui exercent une puissante force d’attraction auprès d’un nombre considérable de personnes, et depuis longtemps. Parmi celles-ci, on trouve effectivement une obsession : celle d’un monde unique, plat, gérable dans son entièreté. Et derrière elle, le besoin impérieux d’englober le Tout du regard, ce que la surutilisation de termes discutables comme « économie mondiale » ou « climat mondial » traduit assez bien. Ce que je dis là peut paraitre exagéré mais quand vous les écoutez, que vous les lisez ou les rencontrez, le fait est patent, et assez inquiétant.

Breizh-info.com : « Nous avons besoin d’un ordre mondial unique » (Emmanuel Macron), « La gouvernance mondiale a besoin de l’Europe. En tant que terrain d’expérimentation idéal pour la mondialisation, avec ses règles supranationales et ses institutions » (J. M. Barroso) « Jérusalem devenant capitale de la planète un jour unifiée autour d’un gouvernement mondial » (Jacques Attali). Les louanges quant à la nécessité d’une super-structure englobant tous les êtres humains que vous reportez sont légion. À l’heure de l’abolition des distances, de la mondialisation des échanges, des idées et donc, des problèmes, en quoi un « gouvernement mondial » serait-il nécessairement une mauvaise chose ?

L’idée étrange selon laquelle l’espace et le temps seraient ‘abolis’ revient souvent dans la bouche de ces responsables. L’un des fers de lance de la centralisation européenne, Jean Monnet, rêvait d’une « Europe fédérale affranchie du poids des siècles et des contraintes de la géographie », et le fondateur du Forum de Davos, Klaus Schwab, affirme que les « contraintes spatiales [sont] abolies » et que les progrès des télécommunications permettent la fondation d’un « réseau familial international ». Il y a une douzaine d’années, le fondateur de la section européenne de la Commission Trilatérale avait lancé à des journalistes : « Les rêves des contes arabes sont déjà réalisés. Les avions ou Skype, c’est la possibilité de l’ubiquité, comme les tapis volants des Mille et une Nuits ». L’homme disait vouloir « réaliser l’universel » !

Ces propos révèlent des fantasmes davantage qu’une réalité. Ils sont la marque d’une exaltation quasi mystique. On est très loin d’un pragmatisme raisonné. Or ces personnes ont exercé le pouvoir, et la décision politique a bel et bien été façonnée en ce sens dans nos pays occidentaux, conduisant dans les faits à un vaste démantèlement de l’Europe et à l’éloignement des centres de décision. Nous n’avons pas pour autant atteint le stade d’une administration centralisée de la planète, loin s’en faut ; peut-être parce que le monde est bien plus vaste que leur vision réductionniste ne le laisse supposer ?

Breizh-info.com : Vous soulignez combien ce « nouvel ordre mondial », cette « société ouverte », ce « nouveau monde » qu’ils appellent de leurs vœux est indissociable du contrôle social et de la surveillance planétaire. En quoi les deux mouvements sont-ils liés ?

Cet appel à des « transformations radicales », à un « nouveau monde », à une « révolution », est très répandu au sein de notre élite dirigeante et intellectuelle. Il est marquant de constater cette convergence de vue en dépit de la diversité des personnalités et des parcours individuels. Partout on retrouve la même idée fixe qui revient sans cesse, celle de l’unification à tout prix. Mais aussi, quoique de manière moins générale, une volonté de démanteler ce qui est : les frontières, les ethnies, les cultures, et même les genres.

Il n’y a pas nécessairement de contradiction entre l’obsession du contrôle et de la planification, si éclatante dans les rapports du Club de Rome, et qui trouve des traductions concrètes au sein de l’Union européenne ou des instances de l’ONU, et l’esprit de dilution, si bien exprimé par l’ancien généralissime de l’Otan Wesley Clark ou le conseiller d’Etat Jacques Attali, qui ont prêché ouvertement le mélange de gré ou de force des populations ou l’institution du transgenrisme. Qu’il s’agisse de menées institutionnelles ou sociétales, on dirait qu’il existe un attrait puissant pour l’indifférenciation, une tension de l’âme vers ce que l’on pourrait appeler la tentation de l’Unique. Un grand financier mondialiste américain avait exprimé dans son autobiographie sa volonté de façonner « Un seul monde », et cela peut finalement s’appliquer à tous les domaines.  À moins que cette attirance pour la table rase n’ait des ressorts encore plus profonds, car le rejet de notre monde, et même une forme de haine, sont assez développés dans ces écrits.

Breizh-info.com : Ce qui frappe dans les discours que vous citez, c’est la foi aveugle, absolue, pour ne pas dire féroce de nos dirigeants en la globalisation. Or, s’ils émettent des constats parfois très justes quant à la dégradation de notre environnement tant sur le plan écologique, social, qu’économique ou encore politique, ils en appellent à encore plus de globalisation. Ne remettent-ils jamais en question cette dernière ? La globalisation n’est-elle pas à la base de l’appauvrissement de nos agriculteurs, de la pollution des océans, ou des délocalisations, par exemple ?  

La question n’est pas de savoir si la mondialisation est bonne ou mauvaise, mais s’il y a eu un forçage politique dans un court laps de temps. Et c’est bien ce à quoi nous avons assisté, au détriment de nos pays. Pascal Lamy, qui a dirigé pendant huit ans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) après avoir été directeur de cabinet du président de la Commission européenne, a désigné « l’émergence des pays en développement à la faveur de la globalisation » comme une « révolution », et expliqué que « l’Occident a produit la matrice de son déclin relatif et qui est celle des progrès du reste du monde ».

Ces décisions politiques ont généré de nombreuses victimes collatérales. Nous en avons un exemple économique avec notre secteur agricole. La révolte débutée il y a près d’un an est impressionnante, elle a touché non seulement la France mais une grande partie de l’Union européenne. Des agriculteurs sont allés jusqu’à contrôler et bloquer eux-mêmes des importations aux frontières de leurs nations ou aux frontières de l’UE. Mais Bruxelles n’a quasiment pas bougé. Au contraire, elle a passé de nouveaux accords commerciaux pour réduire les droits de douane avec le Kenya et la Nouvelle-Zélande, tout en insistant pour passer son Pacte Vert, aux normes si désavantageuses pour nos acteurs locaux. Et aujourd’hui ressurgit le projet préparé de longue date avec le Mercosur.

Le secteur agricole n’est pas le seul touché. Les chefs de file des principaux syndicats patronaux français, italiens et allemands, traditionnellement favorables à l’UE et à l’ouverture des frontières, se sont récemment réunis à Paris pour critiquer des règles européennes, jugées antinomiques avec la compétitivité de nos entreprises. Ils se sont inquiétés du retour de Donald Trump et de son protectionnisme à la Maison-Blanche, et ils ont alerté sur une « désertification industrielle » dans nos pays. La présidente du Parlement européen était venue à leur rencontre, et quelle a été sa première réaction ? Elle a insisté pour « éviter les guerres commerciales »… Ce réflexe anti-protecteur est très cohérent avec la recherche coûte que coûte d’une « interdépendance » de nos économies, concept majeur prôné par nombre de nos responsables depuis une trentaine d’années.

On le voit, il n’y a pas de remise en cause, car le dessein est trop fort. C’est typique des processus révolutionnaires. Cet aspect n’a pas été identifié, alors même que la révolution est souvent invoquée publiquement par des personnalités comme Emmanuel Macron, Christine Lagarde ou l’ancien président de l’Internationale socialiste, Antonio Guterres. On peut d’ailleurs remarquer que cette organisation – la IIème Internationale – est largement passée sous les radars, alors que son poids a été croissant ces trente dernières années. Idem pour l’Alliance progressiste, que les principaux membres de l’Internationale socialiste ont créée en 2013 et qui prône un programme de « transformation socio-écologique ». Ce court passage en revue montre que, contrairement à une idée répandue, l’ère des grandes idéologies politiques n’a pas disparu en 1991 avec la chute de l’URSS.

Breizh-info.com : Vous écrivez « une des principales certitudes du Club de Rome, est celle d’un monde fini ne pourra pas supporter longtemps la croissance démographique et économique. » Vous passez en revue une foule de déclarations et autres études apocalyptiques qui en arrivent toutes à la même conclusion, celle de ce même Club en 1972 : « Nous devons changer ou disparaitre ». Cela peut paraître exagéré mais les faits sont là, en un siècle de civilisation pétro-industrielle l’homme a consommé des ressources que la Terre avait produit en 300 millions d’années. La question n’est-elle donc pas plutôt de savoir comment ne pas être catastrophiste ?

Je me méfie un peu de ces chiffres-chocs et de ces comparatifs trop simples. Mais il est certain que la libération des capacités de financement par la création de monnaie, particulièrement intensive depuis les années 70, a produit une rapide extension de notre empreinte anthropique. Cependant je n’ai pas l’impression que ce soit là l’objet de fond des rapports du Club de Rome, car ceux-ci expriment avant tout une obsession du contrôle et de la planification, sans compter un état psychologique qui semble parfois friser la dépression.

En 1972, le Club assurait que sans une « révision fondamentale de l’attitude humaine, et, par implication, de la fabrique entière de la société actuelle », et ce dans un délai d’une décennie maximum, le monde connaitrait des famines et des catastrophes en pagaille. Tout y était sujet à inquiétude : la consommation d’engrais, l’avenir des terres arables, les réserves restantes de chrome, les déchets nucléaires, l’utilisation du mercure, etc. La démographie, estimée à l’époque à moins de 4 milliards d’individus, était déjà considérée comme ayant atteint un point critique. Beaucoup des prédictions avancées étaient erronées. Ce qui n’a pas empêché le Club de Rome de généraliser ses appels et même de se radicaliser, comme dans son rapport de 1991, intitulé La Première Révolution mondiale.

Cette tournure d’esprit est finalement assez logique : de la vision englobante systématique à l’esprit totalitaire, il n’y a qu’un pas, et il s’accorde mal avec la réalité multiple. Or l’idéologie et la rhétorique du Club ont vite essaimé, notamment au sein de l’administration de l’ONU. Dès la fin des années 80, son tout nouveau Groupe intergouvernemental sur le climat ouvrait une longue série de prédictions dramatiques, souvent mises en défaut, mais toujours relayées dans les médias. En juin 1989 par exemple, le Bureau de l’environnement de l’ONU annonçait la disparition probable de territoires entiers pour l’an 2000 sous l’effet d’une hausse du niveau de la mer lié à un réchauffement général de l’atmosphère. Une hypothèse qui s’est révélée complètement fausse mais qui n’empêche pas l’actuel Secrétaire général de l’ONU d’être toujours plus anxiogène, comme il y a deux ans quand il tançait les chefs d’Etat en affirmant que « L’humanité a le choix : coopérer ou périr. Il s’agit soit d’un pacte de solidarité climatique, soit d’un pacte de suicide collectif ». Le parcours politique de Guterres pose question : croit-il vraiment ce qu’il dit ? Et a-t-il conscience de l’effet que ses communications produisent sur la population, notamment chez les jeunes ?

Propos recueillis par Audrey D’Aguanno

Crédit photo : Détail couverture « Le monde qu’ils veulent, Lire et écouter nos élites pour comprendre la révolutions en cours », Ludovic Greiling, L’Artilleur (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2024, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Illustration : DR
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