La plus célèbre et la plus controversée des œuvres de Maurizio Cattelan, une banane scotchée sur un mur, a été vendue aux enchères par Sotheby’s New York mercredi 20 novembre, à 6,2 millions de dollars. Après la Merde d’artiste de Manzoni, l’Urinoir de Duchamps, ou les gribouillis de Cy Twombly, c’est à se demander comment « l’art » contemporain trouve autant de clients. Volonté d’en mettre plein la vue ? Délires de richissimes qui s’ennuient ? Sensibilité insaisissable ? Signe de reconnaissance bling bling ? C’est un peu tout ça à la fois. Mais c’est aussi un bon moyen de gagner de l’argent. Blanchi ou pas.
Et dire qu’il y a cinq ans, à sa naissance, « Comedian », la banane collée au mur avec du ruban adhésif argenté, valait 120.000 dollars. L’année dernière, elle était évaluée de 1 à 1,5 millions de dollars. Il y a trois jours, elle a trouvé un acheteur près à en débourser cinq fois plus. Justin Sun, fondateur de la crytomonnaie Tron a immédiatement déclaré qu’il la mangerait « pour en faire une expérience artistique unique et honorer sa place à la fois dans l’histoire de l’art et de la culture populaire« . « Unique », pas tant que cela puisque l’oeuvre existe en trois exemplaires. Mais certainement une « expérience » étant donné que son propriétaire doit changer le fruit après un certain laps de temps, raison pour laquelle un mode d’emploi est fourni avec l’installation.
En tout, huit acquéreurs potentiels se sont disputés la banane dans la salle des ventes new-yorkaise de la société de Patrick Drahi. Mais c’est l’entrepreneur sino-américain qui se l’est adjugée, peut-être aussi grâce à la possibilité de payer en cryptomonnaie. L’homme n’en est pas a son premier achat puisqu’en 2021 il acquérait la sculpture de l’artiste suisse Alberto Giacometti, Le Nez, pour la modique somme de pour 78,4 millions de dollars.
Pour doper la vente et créer le « buzz », Sotherby’s l’a annoncer avec une vidéo digne des meilleures méga-productions hollywoodiennes. « Un chef d’oeuvre », « pure génie », « le travail de plus radical du siècle, « ridicule », « malsain »…. le tout sans dévoiler le nom de l’oeuvre. Du suspens et quelques mots pour « choquer le bourgeois », il n’en fallait pas plus pour que l’élite radical-chic s’agite.
Si l’envolée des prix des œuvres et leur sens échappent le plus souvent au commun des mortel, David G. Hotte et Virginie Heem, auteurs de « La Lutte contre le blanchiment de capitaux » (éditions LGDJ) rappellent :
« Le commerce des œuvres d’art est l’un des moins contrôlables qui soit. L’identification des objets est particulièrement délicate; la valeur d’un objet est souvent subjective, donc difficile à déterminer. Les sommes en jeu sont considérables. Les opérations de blanchiment et de fraudes fiscales sont courantes et peuvent avoir pour conséquence une hausse soudaine et parfois inexpliquée des prix du marché »
Favorisé par l’opacité du milieu et l’anonymat des enchères, l’art contemporain reste l’outil spéculatif et défiscalisant par excellence. Il est aussi le moyen de plus sûr de faire de recycler de l’argent sale. Voilà ce qui explique beaucoup de choses.
Audrey D’Aguanno
Illustration : DR
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