Le Windsor Framework, ou Cadre de Windsor, est un accord conclu entre le Royaume-Uni et l’Union européenne en février 2023, continue de susciter un débat intense en Irlande du Nord, notamment parmi les unionistes. Ceux-ci soutiennent que l’absence de vote transcommunautaire sur cet accord enfreint l’Accord de Belfast de 1998, plus connu sous le nom d’Accord du Vendredi saint. Cependant, une analyse approfondie montre que cette affirmation n’a pas de fondement constitutionnel solide.
Qu’est ce que le cadre de Windsor ?
Le Windsor Framework, accord post-Brexit entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, a été conçu pour adapter le fonctionnement du Protocole sur l’Irlande du Nord. Annoncé en février 2023 et entré en vigueur en octobre de la même année, il vise à apaiser les tensions politiques liées à la frontière en mer d’Irlande et aux implications commerciales du Brexit sur l’Irlande du Nord.
Le Protocole sur l’Irlande du Nord, partie intégrante de l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE, maintient la région dans le marché unique européen pour les marchandises, créant ainsi une frontière de facto entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord. Cette disposition avait soulevé des inquiétudes, notamment parmi les unionistes, qui voyaient dans ce mécanisme un affaiblissement de la place de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni.
Le Windsor Framework a été élaboré pour atténuer ces préoccupations en simplifiant les contrôles douaniers et en donnant plus de contrôle au gouvernement britannique sur la réglementation de la TVA et des médicaments en Irlande du Nord. Un élément central de l’accord est l’introduction des « couloirs verts et rouges » qui séparent les biens destinés à l’Irlande du Nord de ceux susceptibles d’entrer dans le marché unique de l’UE, réduisant ainsi la complexité des formalités.
L’une des nouveautés de cet accord est le « frein de Stormont », un mécanisme qui permet à l’Assemblée d’Irlande du Nord de suspendre temporairement l’application de nouvelles réglementations européennes sur les marchandises si elles sont jugées préjudiciables. Cette suspension doit être initiée par au moins 30 membres de l’Assemblée issus de deux partis différents et entraîne une période de consultation avant toute décision du gouvernement britannique.
Ce frein ne nécessite pas l’accord des deux communautés (unioniste et nationaliste), mais toute décision visant à bloquer définitivement une règle européenne nécessiterait un vote transcommunautaire.
L’adoption du Windsor Framework a permis de stopper les procédures d’infraction de l’UE et de suspendre le projet de loi sur le Protocole nord-irlandais qui visait à renverser l’accord précédent. Bien que l’accord ait permis de rétablir une certaine stabilité, notamment par la fin du boycott du DUP et la restauration du gouvernement décentralisé en janvier 2024, des tensions subsistent quant à la pérennité de l’équilibre politique et économique en Irlande du Nord.
Le Windsor Framework et la question constitutionnelle
La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, initiée en 2016, n’a pas été réalisée de manière à obtenir un consensus large en Irlande du Nord, ce qui a alimenté les critiques. Pourtant, l’accord entre Rishi Sunak et Ursula von der Leyen sur le Windsor Framework visait à clarifier et à améliorer les termes du Protocole nord-irlandais, mais n’était pas conçu comme un changement constitutionnel de la région.
Dans ce contexte, il est crucial de rappeler que, depuis 1921, les modifications constitutionnelles en Irlande du Nord ont toujours été soumises à un vote à la majorité simple, soit au sein de l’ancien Parlement de Stormont, soit par référendum. Les partisans d’un changement constitutionnel auraient donc dû plaider pour un référendum, non pour un vote transcommunautaire.
Le rôle de l’Accord de 1998 dans les décisions transcommunautaires
L’Accord de Belfast a établi des dispositions pour les votes transcommunautaires, mais uniquement pour des questions internes à l’Irlande du Nord. Les accords internationaux négociés par le Royaume-Uni, comme le Windsor Framework, ne relèvent pas de la compétence de l’Assemblée de Stormont.
Les dispositions législatives de 1998 et les amendements ultérieurs, notamment ceux adoptés lors de l’Accord de St Andrews en 2006, précisent que les votes transcommunautaires concernent les décisions politiques internes. L’introduction d’une demande de vote transcommunautaire pour un accord international tel que le Windsor Framework serait donc incompatible avec l’esprit et la lettre de l’Accord de 1998.
L’importance du contexte européen
La participation de l’Assemblée de Stormont (Parlement nord irlandais) dans le processus de vote lié au Protocole/Windsor Framework est une nouveauté introduite par l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE. Ce cadre exceptionnel était nécessaire pour assurer le consentement démocratique tout en respectant les obligations internationales et en évitant une sortie unilatérale qui aurait pu compromettre la stabilité.
Il est important de noter que l’UE a toujours exigé que les dispositions spéciales concernant l’Irlande du Nord ne puissent être résiliées unilatéralement par le Royaume-Uni. Une telle position a conduit à la démission de Theresa May et a posé les bases pour les négociations suivantes.
Un débat sans issue viable ?
Si le Royaume-Uni avait insisté sur un vote transcommunautaire à l’Assemblée de Stormont, l’accord de retrait n’aurait probablement jamais vu le jour. Cela aurait prolongé l’impasse parlementaire de 2017-2019 et empêché le gouvernement Johnson de convoquer des élections générales sur la promesse d’un « Brexit prêt à l’emploi ».
La Cour suprême britannique a confirmé que l’absence de vote transcommunautaire sur le Windsor Framework ne constitue pas une violation de l’Accord de 1998. Les dispositions relatives au vote de consentement démocratique établies par le Parlement souverain du Royaume-Uni sont donc à la fois nécessaires et légitimes.
Face aux critiques, la voie la plus constructive pour les unionistes reste de coopérer de manière pragmatique afin de minimiser les frictions commerciales tout en respectant le cadre légal approuvé par le Parlement britannique. Maintenir une position rigide qui n’est ni reconnue par Londres ni par Bruxelles risque d’isoler davantage l’unionisme dans le débat politique actuel.
Photo d’illustration : DR
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