La drogue est répandue dans tous les milieux ; y compris chez les parlementaires. Puisque Bruno Retailleau veut s’attaquer à ce trafic, il devrait commencer par le commencement : la consommation au Palais-Bourbon et au Palais du Luxembourg ; il aurait des surprises. A la vérité, dans un passé pas très ancien, c’était plutôt l’alcoolisme qui constituait la maladie professionnelle des parlementaires.
Avec Joël Guerriau et Andy Kerbrat, les journalistes nantais possèdent deux bons clients. Le premier sénateur de droite (Horizons), le second député de gauche (Insoumis). Le sénateur a été mis en examen pour « administration à une personne, à son insu, d’une substance de nature à altérer son discernement et le contrôle de ses actes, afin de commettre un viol ou une agression sexuelle », ainsi que pour « détention et usage de substances classées comme stupéfiants – en clair de l’ectasy versé dans un verre de champagne destiné à Sandrine Josso (MoDem), députée de Guérande (15 novembre 2023). Le député est poursuivi, lui, pour « usage de stupéfiants » et il est « convoqué pour une notification pénale » – dans le métro parisien, il a été pris en flagrant d’achat (jeudi 17 octobre) de 1,35 gramme de 3-MMC (drogue consommée dans certains milieux homosexuels masculins à l’occasion de soirées “chemsex“ où les relations sexuelles ont lieu sous l’emprise de drogues). Tous les deux s’intéressent à la lutte contre les stupéfiants. Le premier était membre d’une mission d’information sur le trafic de drogue en 2020 (Presse Océan, jeudi 23 novembre 2023). Le second affirmait que la « lutte contre la drogue c’est, avant de mettre des bleus dans la rue, la police judiciaire [qu’il faut soutenir], c’est le démantèlement des réseaux et des trafics humains » (TéléNantes, 10 novembre 2023).
Le vieux chat de Guerriau
Il paraît que tous les deux connaissent des problèmes – c’est ce qu’ils affirment pour justifier leur dérapage. Le sénateur souffrait d’une fatigue morale liée à plusieurs facteurs qui le faisait traverser une « période difficile » : la mort imminente de son vieux chat, la fatigue accumulée lors de la campagne électorale et l’annonce de la maladie de l’un de ses amis (Presse Océan, jeudi 25 avril 2024). Quant au député, il a d’autres soucis que son chat : « Face à des problèmes personnels et des fragilités psychologiques, j’ai pu consommer des drogues de synthèse et suis pleinement conscient de leurs effets sur la santé et notamment la mienne. » (Ouest-France, Loire-Atlantique, mardi 22 octobre 2024). Un sénateur tente une explication à propos de Guerriau : « Il avait toujours la frite, dormait peu. Peut-être se chargeait-il. Il est curieux de tout, qu’il ait essayé des choses ne m’étonnerait pas » (Le Parisien, mercredi 22 novembre 2023). Avoir été maire de Saint-Sébastien-sur-Loire lui a valu quelques ennemis au sein du conseil municipal ; un conseiller le décrit comme étant un « fumeur de cannabis, y compris dans son bureau de l’hôtel de ville lorsqu’il était en fonction » (Presse Océan, jeudi 23 novembre 2023). Bonne copine, Julie Laërnoes (EELV), députée de Nantes-Rezé, croit avoir tout compris pour Kerbrat : « Il n’y a pas assez de prévention à l’égard des consommateurs. » Si elle ne le cautionne pas, elle ne le condamne pas non plus. « Il faut entendre aussi que l’addiction est une maladie » (Ouest-France, Loire-Atlantique, mercredi 23 octobre 2024). Andy Kerbrat assurait être favorable à la légalisation du cannabis ; il préconisait une « politique préventive sur l’usage des drogues en général », précisant être contre « la répression des consommateurs » (Presse Océan, mercredi 23 octobre 2024)
Ces deux affaires ont fait couler beaucoup d’encre et de salive. Chaque camp étant ou bavard ou silencieux selon le « client ». Pour Guerriau, la gauche attaque par la voix de Philippe Grosvalet (radical de gauche), sénateur de Loire- Atlantique : « Le choix de monsieur Guerriau de se maintenir, coûte que coûte, est non seulement regrettable pour l’image de la chambre haute de notre Parlement mais aussi préjudiciable pour la défense de notre territoire. Depuis un an, la Loire-Atlantique n’est pas représentée à sa juste proportion. C’est démocratiquement insupportable. La liste conduite par monsieur Guerriau lors des dernières élections sénatoriales avait remporté 645 voix sur les 3 087 grands électeurs de notre département, soit 21 % des votants. Il est problématique que la diversité de notre représentation à la chambre haute ne soit pas conforme à ce vote et que notre territoire ne soit plus représenté à la hauteur de son poids démographique. » Il faut, dit-il « que Joël Guerriau prenne ses responsabilités et entende cette demande de démission. » (Ouest-France, Loire-Atlantique, lundi 30 septembre 2024) ; il expédie donc une lettre aux 3 087 grands électeurs du département pour qu’ils demandent à Joël Guerriau de démissionner. 150 élus de Loire-Atlantique, tous grands électeurs, ont signé la pétition réclamant la démission du sénateur Guerriau. « Parmi eux, le maire de Saint-Nazaire David Samzun, le député Fabrice Roussel, le président du conseil départemental Michel Ménard, tous trois socialistes. » (Ouest-France, Pays de la Loire, 19-20 octobre 2024). On remarquera l’absence de Johanna Rolland (PS). La confraternité ayant ses exigences, les autres sénateurs oublient de signer : Ronan Dantec (écolo), Karine Daniel (PS), Laurence Garnier (LR).
Le double langage de Kerbrat
Un ancien député socialiste fait preuve de modération avec Kerbrat : « Il a déconné, c’est incontestable. Mais je n’ai pas envie de charger la mule. » (Presse Océan, jeudi 24 octobre 2024). A droite, on veut carrément la peau de Kerbrat. C’est le cas du groupe d’opposition au conseil municipal Mieux vivre à Nantes : « Alors que son parti (LFI) soutient la révocation des élus, nous l’invitons tout naturellement à honorer cette position louable. Par considération pour ses électeurs et les Nantais de toutes sensibilités, Andy Kerbrat doit donc démissionner de son mandat de député de la République. » (Presse Océan, mercredi 23 octobre 2024). Autre représentant de la droite nantaise, Foulques Chombart de Lauwe se montre tout aussi radical : « On peut s’interroger sur le double langage de ce monsieur qui encourageait en 2024 sur X le démantèlement des trafics de drogue dans le centre de Nantes et qui demandait, il y a peu, à l’Assemblée nationale, la création d’une commission sur l’efficacité des opérations Place nette XXL. » Il réclame donc la démission de Kerbrat au nom de « l’exemplarité » (Presse Océan, mercredi 23 octobre 2024). « Mais ce n’est quand même pas n’importe quel stupéfiant qu’il a acheté. En plus à un mineur. En tant que député, il est tenu à l’exemplarité et LFI devrait balayer devant sa porte », juge Mounir Belhamiti (Renaissance), ancien député de Nantes-Orvault.
Pour ce qui est de la démission, Guerriau et Kerbrat ne veulent pas en entendre parler. Le premier utilise un argument juridique : « Ce serait totalement injuste car la justice n’a pas tranché. Certes, des faits me sont reprochés mais je n’ai jamais eu de mauvaises intentions à l’égard de Sandrine Josso. Pourquoi on ne respecterait pas la présomption d’innocence pour moi alors qu’on la respecte pour des ministres mis en examen pour des viols ? » (Ouest-France, Pays de la Loire, vendredi 27 septembre 2024). Le second met en avant ses bonnes intentions : « Je vais suivre un protocole de soins. Il me permettra de reprendre mon activité parlementaire. Dans l’intervalle, mon équipe est à la disposition des habitants de ma circonscription» (Ouest-France, Loire-Atlantique, mardi 22 octobre 2024). Ne pas travailler – ils ne siègent plus – et toucher une indemnité de fonction qui tourne autour de 7 800 euros/mois, ça ne donne pas envie de démissionner. Tous les deux savent qu’ils peuvent compter sur de solides amis pour les aider à sortir de ce mauvais pas : la franc-maçonnerie pour Guerriau et le réseau LGBT pour Kerbrat.
Une conclusion : « On ne peut d’ailleurs pas exclure qu’il puisse y avoir des vendeurs de stupéfiants proches du Parlement, et je ne crois pas que ce soit lié à un parti », explique le politologue Arnaud Leclerc (Presse Océan, jeudi 24 octobre 2024)
Note de lecture – « Six jours avant son interpellation en flagrant délit par la police, le 17 octobre, alors qu’il achetait de la drogue de synthèse à un mineur dans une station du métro parisien, le député (LFI) de la Loire-Atlantique Andy Kerbrat cosignait à l’Assemblée une grande proposition de résolution « pour une stratégie nationale de prévention sur le chemsex ». Bonne idée ! Pour lutter contre cette dangereuse tendance associant dope de synthèse et pratiques sexuelles à risques, l’élu Insoumis y proposait notamment d’ « encourager les parcours de prévention dans des villes volontaires, en lien avec les collectivités locales, sur le modèle, par exemple, de ce qui a été initié à Paris ». Vite, une proposition de loi sur l’insoumission chimique ! » (Le Canard enchaîné, 30 octobre 2024).
Note de lecture – Le député du Rassemblement national Laurent Jacobelli préfère rire de l’affaire Kerbrat : « Pourquoi ne s’est-il pas fourni chez son collègue Boyard, qui siège à quelques mètres ? », a-t-il raillé sur X, en référence à des déclarations passées du député LFI Louis Boyard sur le fait qu’il a vendu de la drogue dans son adolescence. » (Le Figaro, mercredi 23 octobre 2024).
Bernard Morvan
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