Dans le septième tome des Aigles de Rome, le dessinateur Marini crée un récit identitaire. A la veille d’une nouvelle guerre, romains et germains doivent choisir dans quel camp ils vont se battre.
11 avant Jésus-Christ. L’Empire Romain, après avoir pacifié les Gaules, intervient au-delà du Rhin. Sous l’empereur Auguste, deux jeunes garçons sont éduqués pour devenir des guerriers romains. Ermanamer est le fils d’un chef chérusque, une horde barbare de Germanie, qui a été livré comme otage à Rome, où il a reçu le nom romain d’Arminius. Son rival, Marcus Valerius Falco, est le fils d’un prestigieux soldat romain cruel et autoritaire. Marcus et Ermanamer grandissent ensemble, partagent une stricte éducation militaire et finissent par nouer une amitié virile. Le Romain et le Barbare mêlent leur sang pour sceller un pacte de fraternité éternelle. Mais Arminius, désormais préfet en Germanie, futur roi des Chérusques, n’a jamais oublié ses origines et cherche en réalité à mettre un terme à l’occupation romaine. Marcus est dépêché sur place afin de surveiller Arminius. Il découvre la traitrise de celui-ci. Mais l’armée romaine est vaincue par les troupes d’Arminius à la bataille de Teutoburg.
Le tome 7 se déroule en 15 après JC. Dans l’estuaire du Visurgis, sur la berge, deux guerriers chérusques font le guet. Un voilier de transport sort de la brume et s’approche. Accompagné par plusieurs guerriers, Arminius, chef de tribu, se rend à bord du voilier et demande à vérifier la cargaison qui doit être composée de 10.000 épées, boucliers et lances. En échange, Arminus s’est engagé à remettre Titus, fils de Marcus, retenu prisonnier depuis plus d’une dizaine d’années par les germains. Les armes vérifiées, les chérusques déciment l’ensemble de l’équipage. Avec ces armes, Arminius aspire à unifier, contre les Romains, toutes les tribus des germains, et peut-être même régner sur elles. Arminius, pour faire un nouvel affront à Marcus, va adopter Titus, le fils de celui-ci. L’adolescent accepte, se considérant davantage chérusque que romain. Mais cette adoption n’est pas du tout du goût de l’épouse d’Arminius qui, enceinte, espère lui offrir un fils. Pendant ce temps, les huit légions de Germanicus, voulant se venger de la déroute militaire de Teutoburg, franchissent le Rhin plus tôt que prévu. Marcus, à la tête des auxiliaires bataves, livre une lutte sans merci aux germains afin de retrouver les trois Aigles de Rome capturées par Arminius …
Après avoir dessiné plus de 25 albums au sein de 5 séries (Olivier Varese, Gipsy, L’étoile du désert, Rapaces et Le scorpion), le suisse Enrico Marini se mue, pour Les aigles de Rome, en auteur complet, réalisant le scenario et le dessin. Au début du projet, la série Les Aigles de Rome devait être une trilogie, s’achevant sur la bataille décrite à la fin du tome V. Mais l’auteur a voulu poursuivre l’aventure avec ses héros.
Pour bâtir son scénario, Enrico Marini cite comme source d’inspiration le film Gladiator (Ridley Scott, 2000) et la série Rome (2005-2007). Dans un récit bien mené et plein de rebondissements, il dresse le portrait de deux guerriers, l’un -imaginaire- se battant pour la gloire de Rome, l’autre -historique- pour la liberté de son peuple germain.
Dans ce 7ème volume, le scenario bien rythmé monte en intensité. Ayant pour thème la famille et l’identité, il se focalise sur Titus, recherché depuis des années par son père Marcus. Mais, kidnappé puis élevé par Arminius, Titus entend maintenant se battre avec les germains.
Marini approfondit la psychologie des personnages principaux. Le scénariste montre les diverses trahisons au sein des Germains, certains ne voulant plus suivre Arminius et préférant se « romaniser ».
Marini donne sa vision du véritable héros germanique Caius Julius Arminius (ou Armenius). En effet, ce fils d’aristocrate en tant qu’otage est élevé à Rome comme un citoyen romain. De retour en Germanie, il gagne la confiance du gouverneur Varus tout en fomentant une rébellion contre Rome. Après avoir unifié les nombreuses tribus germaniques, devenu roi chérusque, il anéantit trois légions romaines au cours de la bataille de Teutobourg. Il reste, depuis cette bataille, un héros national de l’autre côté du Rhin, à l’image du gaulois Vercingétorix en France.
Marini explique qu’« il n’y a pas de bon côté entre ces conquérants militaires et ces barbares : ce ne sont que deux peuples qui s’affrontent, et qui contiennent en eux le bien et le mal. Ces notions n’ont d’ailleurs pas lieu d’être, car cette histoire se déroule plusieurs dizaines années avant la crucifixion du Christ. Il n’y a donc pas de morale chrétienne dans Les Aigles de Rome, parce que les Romains ne possédaient encore ces valeurs judéo-chrétiennes qui nous semblent si légitimes » (ActuaBD, 24 novembre 2016).
Marini a réalisé un important travail de documentation. Il n’a pas représenté le Colisée, puisqu’il n’était pas encore construit à l’époque. Il s’est inspiré de l’amphithéâtre Statilius Taurus, dont il ne reste aujourd’hui aucune trace. Sur l’armement et la composition de l’armée romaine, il respecte par exemple la tenue de l’aquilifer, porteur de l’« aigle » dans une légion. Pour les germains, on retrouve leurs boucliers hexagonaux en bois ainsi que les motifs géométriques et les runes.
Il considère que « la BD est le lien entre le roman et le cinéma ». Au moment de préparer la mise en place de son scénario, il établit même un story-board de type cinématographique. Dans des cases horizontales panoramiques, il compose son plan. Puis il découpe en choisissant le format des cases, plus ou moins grandes.
Son trait somptueux, d’un réalisme saisissant, fourmille de détails. L’artiste reconstitue ainsi de spectaculaires batailles avec une grande maîtrise du mouvement. Dans le septième tome, Marini impressionne lors des scènes de batailles époustouflantes de réalisme, comme la double page montrant la charge des cavaliers romains.
Il apprécie de colorier lui-même ses cases. Ses couleurs directes sont des encres acryliques liquides, même si le rendu, superbe, est souvent proche de l’aquarelle.
Les Aigles de Rome, Tome 7, 64 pages, 17 euros. Editions Dargaud.
Kristol Séhec.
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