Si le rôle des hommes dans le loyalisme nord-irlandais est souvent évoqué, celui des femmes reste largement méconnu. Pourtant, nombre d’entre elles ont contribué à façonner et soutenir ce mouvement durant les Troubles, que ce soit à travers l’engagement militant, le soutien logistique, ou la défense des droits de la classe ouvrière protestante. Parmi ces figures, Jean Moore incarne le dévouement et l’activisme féminins dans un contexte de lutte pour l’identité loyaliste en Irlande du Nord.
Jean Moore : la voix des femmes loyalistes de la classe ouvrière
Jean Moore, une Belfastoise née et élevée sur Shankill Road, a marqué son époque par son engagement en tant que présidente de la section féminine de la Loyalist Association of Workers (LAW). Créée en 1971, cette organisation émanait du Workers’ Committee for the Defence of the Constitution et avait pour but de défendre les droits des protestants loyalistes dans un contexte de tensions politiques croissantes. Jean Moore, initialement réticente à prendre la direction de la section féminine de LAW, a finalement accepté la responsabilité, rassemblant rapidement 600 branches à travers la province.
Moore exprimait son désir de voir les femmes et hommes de la classe ouvrière s’impliquer davantage dans les décisions politiques d’Ulster. Elle déplorait l’attitude des politiciens de l’élite, surnommés le « fur coat brigade », qui promettaient monts et merveilles lors des élections, mais oubliaient ensuite les préoccupations des classes populaires. Jean Moore défendait l’idée que ces classes sociales, souvent ignorées, devaient avoir un rôle dans la gestion des affaires d’Ulster, particulièrement dans les questions dites de « bread and butter », comme les conditions de vie et de travail.
Le rôle des femmes dans la défense et la mobilisation loyalistes
Les femmes loyalistes, bien que peu nombreuses dans les combats armés directs, jouaient un rôle stratégique au sein de LAW et des unités féminines de l’Ulster Defence Association (UDA). Les membres féminins étaient responsables de diverses activités : démonstrations de force, distribution de nourriture pour les prisonniers loyalistes, et soutien logistique aux quartiers loyalistes. Elles prenaient également part à des formations, notamment pour l’obtention du permis de conduire, dans la perspective de pouvoir agir comme conductrices en cas de guerre civile.
Jean Moore et ses collègues, inspirées par le Vanguard, croyaient fermement en la préparation à une possible guerre civile. En plus de se former à la conduite, les femmes de LAW se préparaient à des tâches de soutien comme l’évacuation des civils ou la gestion des centres de secours. Moore expliquait que le mouvement ne comptait pas se soumettre aux politiques d’apaisement à tout prix. Elle déclarait : « Nous mourrons pour notre pays avant tout ».
Les femmes loyalistes : entre espoir de paix et défense d’une Ulster fidèle à ses valeurs
Bien que Moore ait toujours espéré une résolution pacifique des tensions en Irlande du Nord, elle insistait sur la nécessité de rétablir le parlement de Stormont et s’opposait fermement à l’introduction de la représentation proportionnelle. Pour elle, si ce système n’était pas appliqué en Angleterre, il ne devait pas l’être en Irlande du Nord.
Jean Moore est devenue une figure symbolique de l’engagement loyaliste féminin, conciliant sa vie de mère et d’épouse avec ses responsabilités au sein de la Loyalist Association of Workers . Son combat pour les droits des protestants loyalistes et son refus de voir Ulster sacrifiée à une « paix à tout prix » ont inspiré des milliers de femmes, dont sans doute…une certaine Arlene Foster.
Un engagement dans un contexte de violences et de sacrifices
Les femmes loyalistes des classes populaires ont été les témoins directs des violences, assumant souvent la double responsabilité de gardiennes du foyer et de membres actifs de leur communauté. Elles jonglaient entre le travail, les soins aux enfants et les nombreuses difficultés que la guerre imposait. Dans les quartiers ouvriers de Belfast et au-delà, le quotidien était rythmé par la peur et les privations. Souvent seules, ces femmes devaient veiller sur leurs familles pendant que leurs maris, frères ou fils étaient emprisonnés ou participaient aux combats.
Au sein des organisations loyalistes comme l’Ulster Defence Association (UDA), les unités féminines ont joué des rôles variés et cruciaux. Ces femmes n’étaient pas seulement des « épouses » ou des « mères » : elles assuraient des fonctions logistiques et de soutien, telles que la préparation et la livraison de colis aux prisonniers loyalistes.
Le témoignage de « Patsy » (à lire dans le livre Unheard Voices), une femme ayant grandi à Belfast, illustre le quotidien difficile des femmes loyalistes pendant les Troubles. Elle raconte comment, en l’absence des hommes, souvent emprisonnés, elle et d’autres femmes devaient assumer à la fois le rôle de chef de famille et de soutien émotionnel pour leurs proches. Pour de nombreuses femmes, cela signifiait également de se rendre fréquemment en prison, apportant des colis de nourriture et de vêtements à leurs maris ou frères. Patsy décrit ce sentiment d’abandon, expliquant que « les hommes recevaient du steak en prison, tandis qu’à la maison, on ne mangeait souvent que du corned-beef ».
Le soutien mutuel entre femmes était essentiel dans ces quartiers loyalistes. Elles s’entraidaient pour surmonter les épreuves, qu’il s’agisse de difficultés économiques ou de tensions avec les autorités. Beaucoup de ces femmes ont également fait preuve de résilience face à la stigmatisation sociale, souvent isolées ou mal comprises par la société en raison de leurs liens familiaux avec le loyalisme militant
Le livre met en lumière des figures comme Dawn Purvis, qui, en tant que membre du Progressive Unionist Party, a milité pour une réforme sociale tout en assumant une identité loyaliste forte. Elle illustre la complexité d’être à la fois féministe et loyaliste dans un contexte où ces deux identités semblaient souvent opposées. Purvis et d’autres femmes ont combattu pour que les droits des femmes soient pris au sérieux au sein des communautés loyalistes.
Le rôle des femmes loyalistes d’Irlande du Nord pendant les Troubles est un pan méconnu de l’histoire du conflit nord-irlandais. Souvent dans l’ombre, ces femmes ont pourtant participé activement au soutien et à la défense de leur communauté. Qu’elles aient assumé des rôles de soutien aux prisonniers, de militantes ou de membres engagés dans des organisations loyalistes, leur implication était fondamentale, bien qu’elle demeure largement ignorée dans les récits historiques du fait notamment d’un manque de témoignages recueillis jusqu’ici.
YV
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2024, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine